Légendes Normandes. Gaston Lavalley

Légendes Normandes - Gaston Lavalley


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On m'avait chargé de vous espionner...

      — Vous faites-là un joli métier, monsieur ! interrompit le prêtre, en ramenant avec soin autour de lui les plis de son manteau.

      — Croyez bien que c'est par patriotisme...

      — Vous ne me l'auriez pas dit que je l'eusse deviné ! interrompit encore le prêtre.

      — Vous avez tort de me persifler, citoyen, répliqua l'homme du peuple avec un accent ferme et digne, qui parut impressionner son interlocuteur, car il l'écouta cette fois avec un religieux silence. Je vous rends un vrai service, et si la Société populaire eût confié à tout autre que moi la mission que je remplis en ce moment, vous n'auriez peut-être pas eu lieu de vous en réjouir.

      — Mais, enfin, que veut-on ? demanda le prêtre.

      — On vous soupçonne d'avoir des relations avec Pitt.

      — On nous fait trop d'honneur, dit le proscrit en souriant.

      A ce moment la lune sortit d'un nuage et éclaira vivement le visage du prêtre. Barbare — le lecteur l'a déjà reconnu — ne put se défendre d'un étrange sentiment d'inquiétude.

      — Ah ! citoyen, dit-il d'une voix émue, vous êtes jeune !

      — Oui, répondit le prêtre. Mais qu'y a-t-il là d'étonnant ?

      — C'est que, pour être persécuté à votre âge...

      — La République s'est bien défiée des enfants ! dit le proscrit avec mélancolie.

      — Vous êtes donc obligé de vous cacher ? demanda Barbare.

      — Voilà mon interrogatoire qui commence ! dit le prêtre avec amertume. Tenez, monsieur, si la République a besoin d'une nouvelle victime, je ferai volontiers le sacrifice de ma vie. Mais, au nom du ciel, sauvez les personnes qui habitent cette maison ! Elles me sont chères, et c'est une prière que je vous fais du fond du coeur ! Vous parliez de ma jeunesse ? Eh bien ! vous êtes aussi à cet âge généreux où le pardon est doux et le dévouement facile. Épargnez mes amis. Sauvez-les, et, s'il vous faut du sang enfin, prenez ma vie ! Je me livre à vous !

      Barbare devint horriblement pâle.

      La jalousie s'empara de tout son être, et un frisson lui glaça le coeur.

      — Vous aimez donc bien ce vieillard et cette jeune fille ? dit-il d'une voix étranglée.

      — De toute mon âme !

      — Ah ! fit l'homme du peuple en jetant un regard étincelant sur celui qu'il regardait déjà comme un rival, vous les aimez ?

      — Comme on aime son père et sa soeur.

      — Pas autrement ? demanda encore le patriote.

      Le proscrit parut surpris de cette question ; et, pour la première fois, il osa regarder en face l'homme du peuple qui ne put supporter, sans se troubler, ce coup d'oeil pénétrant.

      — Vous préparez votre réponse ? dit Barbare, qui s'impatientait de ce long silence et de ce pénible examen. Vous ne voulez pas m'avouer que vous êtes l'amant de cette jeune fille ?

      — Oh ! fit le prêtre avec un vif sentiment d'indignation, je vous jure !...

      — Que me fait votre serment ? dit Barbare en haussant les épaules.

      — C'est juste, reprit le proscrit. Rien ne vous force à ajouter foi à mes paroles. Il vous faudrait une preuve matérielle ?

      — Oui ! dit Barbare avec explosion.

      Il y eut, dans la manière dont il accentua ce simple mot, tant de haine, d'inquiétude et de jalousie, que sa figure même sembla s'éclairer du feu intérieur qui le consumait. Le prêtre put lire dans son coeur et juger de l'état de son âme, comme on voit un ciel d'orage à la lueur d'un éclair.

      Le proscrit mesura aussitôt toute l'étendue du danger qui menaçait le marquis et sa fille. Mais il était déjà prêt au sacrifice.

      — Écoutez ! dit-il à l'homme du peuple. Je ne peux pas être l'amant de cette jeune fille... Il y a entre elle et moi un obstacle insurmontable.

      — Lequel ? demanda vivement Barbare.

      — Les devoirs de mon ministère, répondit le proscrit.

      En même temps il entr'ouvrit son manteau et laissa voir les plis de sa soutane.

      — Un prêtre ! s'écria Barbare avec joie.

      — Vous le voyez ! dit simplement le ministre de Dieu. Je vous ai fait le maître de ma vie. Doutez-vous encore de ma parole ?

      — Non, certes ! dit Barbare.

      Cependant il baissa la tête et ses traits s'assombrirent.

      — Eh bien ! demanda le proscrit, vous n'êtes pas encore convaincu ?

      — Aux termes de la Constitution, dit Barbare, les prêtres ont le droit de se marier.

      — Pauvre insensé ! dit le jeune prêtre en souriant avec tristesse, si j'avais reconnu l'autorité de cette loi, est-ce que je serais obligé de me cacher ?

      — C'est vrai ! je suis fou ! s'écria joyeusement Barbare. Vous êtes un noble coeur, citoyen ! et personne, tant que je vivrai, n'osera troubler votre solitude et menacer votre vie. Permettez-moi de vous regarder comme un ami !

      — Volontiers, dit le prêtre en serrant avec effusion la main que le jeune homme lui tendait.

      Après cette étreinte cordiale, Barbare se disposa à escalader le mur.

      — Ne vous exposez pas de nouveau, lui dit le prêtre avec bonté, et suivez-moi.

      En même temps, il le conduisit vers le fond du jardin, et ouvrit une petite porte qui donnait sur la campagne.

       Table des matières

       Table des matières

      Lorsque le patriote fut sorti, le proscrit ferma la porte à double tour et s'arrêta quelques instants comme un homme accablé sous le poids de pénibles pensées.

      Puis il doubla le pas, traversa rapidement le jardin, entra dans la cour, monta l'escalier et frappa à la porte de M. de Louvigny.

      — Entrez, dit une voix de jeune fille.

      — Ah ! pensa l'abbé avec douleur, mademoiselle Marguerite est avec son père.

      Néanmoins il entra chez le marquis. M. de Louvigny tenait sa fille sur ses genoux. Tout en écoutant l'innocent bavardage de Marguerite, il jonglait avec les boucles soyeuses de ses cheveux, qu'il se plaisait à faire sauter dans sa main.

      — Eh bien ! cher abbé, dit le marquis avec son aimable sourire, est-ce qu'il faut tant de précautions pour entrer chez ses amis ?

      — Je vous croyais au travail et je craignais de vous déranger, répondit le jeune prêtre en faisant de grands efforts pour cacher son émotion.

      — Il est neuf heures du soir, observa M. de Louvigny, et vous n'ignorez pas que c'est à partir de ce moment que je consens à perdre mon temps.

      — C'est joli ce que vous dites-là, mon père ! s'écria Marguerite en quittant les genoux du marquis.

      — J'ai dit une sottise ? demanda M. de Louvigny en remarquant la petite mine boudeuse que faisait Marguerite.

      —


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