Une fête de Noël sous Jacques Cartier. Ernest Myrand

Une fête de Noël sous Jacques Cartier - Ernest Myrand


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Jules Verne, ce lecteur sérieux popularisant chez les liseurs de romans les notions premières des sciences positives et les données mathématiques des arts, se garde bien de prévenir, voire même d'éveiller, au cours du récit merveilleux, l'attention de son public. Public dangereux s'il en fut jamais, excessivement difficile à retenir et à fixer, public capricieux, changeant, mobile à l'extrême, s'abattant sur un livre nouveau avec la pétulance gourmande d'une volée de moineaux, s'enlevant de même à grands bruits d'ailes et des cris colères, sitôt que l'un des rongeurs s'est écrié: "livre d'études!"

      L'auteur n'approche qu'avec une prudence extrême ce volage et farouche lecteur. Comme aux petits enfants que l'on veut guérir, il ne dit pas: "Voici le remède"; mais câlinement: "Qui veut du bonbon?" Tout aussitôt le lecteur mord à l'amorce, se prend à l'hameçon et se noierait au bout de la ligne plutôt que de lâcher l'appas. A travers l'intrigue du récit, comme avec un filet à mailles inextricables, l'auteur amène doucement, doucement, mais sûrement aussi, le lecteur frivole à sa barque, c'est-à-dire, à son avis. Jules Verne éblouit, captive, capture son lecteur avec l'éclat de style, tout comme l'autre, le pêcheur de poissons, amorce sa clientèle avec des mouches à corselet d'or et à plumes rouges. Un tel lecteur une fois pris ne lui échappe... qu'au dernier chapitre. Et encore le reprendra-t-il infailliblement à son prochain roman scientifique.

      Pareils ouvrages instruisent leurs lecteurs qu'ils amusent, et l'excellence de leurs résultats est par trop évidente pour être signalée. Passe-Partout, Nemo, le capitaine Grant, sont de véritables professeurs de géographie, d'histoire naturelle, de physique, déguisés grimés convenablement en héros de romans. L'intrigue même du récit n'est le plus souvent qu'une thèse scientifique, exposée, développée, soutenue, établie au cours d'une aventure imaginaire autant qu'originale et raconté en un très beau style, qui fleurit, comme un jardin de rhétorique, les plaines arides du chiffre et les solitudes austères où les savants de toutes les langues parlent le mot exact du théorème et de l'équation.

      Il est souvent advenu qu'un lecteur frivole, alléché par la description brillante mais précise d'un monument, d'une ville, d'un pays, intéressé par le détail inédit, mais toujours exact, des religions, des gouvernements, des langues, des moeurs, des costumes, des industries, des arts professés par les peuples de latitudes différentes, s'en est allé compléter (en même temps que vérifier) dans les ouvrages classiques de la science, les connaissances acquises à la lecture de Jules Verne. Ses romans auront fait alors, mieux et plus vite que les pédagogues et leurs sermons, un lecteur sérieux d'un lecteur frivole et reconquis à l'amour du savoir une intelligence perdue de romanesque et d'aventure.

      Alors, dans les bibliothèques publiques comme au foyer de la famille, les livres sérieux occuperont une place d'honneur et de préséance, la seule d'ailleurs qu'ils doivent tenir dans la demeure d'un homme instruit. Alors ce ne sera plus, pour parler avec à propos le langage excellent du rapporteur de l'Institut Canadien de Québec, ce ne sera plus un véritable événement quand quelqu'un demandera au conservateur d'une bibliothèque publique l'usage d'un livre sérieux.

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      Ce que Jules Verne a tenté avec un éclatant succès pour l'enseignement populaire de la géographie universelle; ce que Flammarion réalise avec un triomphe é en faveur des connaissances astronomiques; ce qu'enfin la Bibliothèque des Merveilles poursuit, en vulgarisant dans les foules les sciences exactes et les arts, je crois devoir aujourd'hui l'essayer en faveur des archives de notre Histoire du Canada.

      A part ce que nous avons appris de force au collège, que savons-nous de l'Histoire du Canada? Combien d'entre nous ont eu la bravoure de compléter les notions rudimentaires des Abrégés suivis en classe, par la lecture entière de Ferland ou de Garneau? Quels rares étudiants, les érudits de l'avenir, sont allés vérifier après coup, dans les archives nationales, les données mêmes de l'histoire, ont remonté le cours des faits et retrouvé les sources, analysé ces eaux de vérité où les auteurs disaient avoir puisé la science, de crainte que le Mensonge ne les eut empoisonnées d'infâmes calomnies?

      Et cependant, ce ne sont pas les archives précieuses, uniques, originales, qui manquant à Québec. L'inestimable bibliothèque de l'Université Laval, vaut, elle seule, en trésors archéologiques toutes les collections particulières ou publiques du pays.

      Le travail archéologique se réduit maintenant à la peine de lire.

      En effet, les chercheurs bibliophiles de notre Histoire du Canada, Fribault, Jacques Viger, Laverdière, Holmes, Papineau, Sir Lafontaine, parmi les morts, les abbés Bois, Raymond Casgrain, Tanguay, Verreault, Messieurs Joseph Charles Taché, Douglas Brymner, Benjamin Sulte, James Lemoine, parmi les vivants, ont taillé toute la besogne, parachevé la tâche avant même que nous jeunes gens, fussions sortis du collège.

      Le vénérable doyen de notre littérature canadienne-française, l'Honorable M. Chauveau, a publié, dans son Introduction aux Jugements et Délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle France, une nomenclature aussi complète qu'intéressante des principales archives relevées au pays depuis quarante ans, et en particulier dans la province de Québec.

      Hélas! les archives de notre histoire, nos belles et glorieuses archives, imprimées sur papier de luxe avec du caractère antique, reliées à grands frais, tranchées d'or ou de carmin, continuent aujourd'hui, sur les rayons de nos bibliothèques publiques, le sommeil de mort qu'elles dormaient autrefois dans la poussière des greniers ou l'humidité des caves, alors qu'elles étaient seulement de vieux manuscrits, des parchemins racornis, des bouquins noirs et luisants, livrés à la merci des ménagères qui les utilisaient à allumer le feu. 1

      Note 1: Je me rappelle que ce fut dans le fond d'une boite à bois que l'on découvrit un des volumes du Journal des Jésuites, le seul qui ait échappé au même usage. L'autre ou les autres volumes ont eu l'honneur de griller les poulets ou mêler leurs cendres vénérables aux tisons moins historiques d'une bûche d'érable ou d'un rondin de merisier!

      Pour atténuer, sinon excuser, notre criminelle incurie, il convient d'ajouter qu'en France aussi bien qu'au Canada, les archéologues se plaignent amèrement de ces désastreuses négligences. Ecoutez ce qu'en dit un archiviste célèbre:

      Que de précieux documents ont allumé la pipe d'un goujat! Que de nobles parchemins, au bas desquels était la signature d'un roi, ont couvert les pots de conserves de femmes de préfets, bonnes ménagères qui les faisaient prendre dans les greniers de la préfecture... Je n'en dis pas davantage et je ne nomme personne; il n'est pas besoin d'autres exemples que ceux auxquels je fais allusion, et que je connais, pour montrer que les parchemins qui ont servi à faire des gargousses, et par cela même, à faire de l'histoire nouvelle, n'ont pas eu la destinée la plus triste.

      Pierre Margry, Découvertes françaises, 40 et 41.

      Une poussière d'oubli, froide et silencieuse comme la neige, tombe sur elles, tombe encore, tombe toujours, les recouvre, les ensevelit sous l'épaisseur ténébreuse d'un linceul et menace de les cacher à jamais aux regards des hommes, de les faire disparaître, comme des cadavres de voyageurs morts de froid, sous l'uniforme niveau, l'égalité fatale de la steppe.

      Et cependant quel labeur colossal, quels argents, quelles études n'ont-elles pas coûté aux bibliophiles, aux chroniqueurs, aux archéologues, aux historiens qui ont eu l'héroïque courage, la patriotique vaillance de publier en éditions d'honneur, les manuscrits originaux, les annales primitives de la Colonie! Par contre, combien apparaissent mesquins désespérants, ironiques, misérablement petits, les résultats obtenus comparés à l'effort gigantesque apporté au parachèvement d'une aussi monumentale entreprise!

      Nos archives nationales! Elles ont cependant porté bonheur aux littérateurs de la génération précédente. Elles ont porté bonheur au regretté Louis P. Turcotte, le vaillant auteur du Canada sous l'Union (1841-1867), au romancier Joseph Marmette, qui leur doit François de Bienville, son meilleur ouvrage; elles ont porté bonheur à notre


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