Une fête de Noël sous Jacques Cartier. Ernest Myrand

Une fête de Noël sous Jacques Cartier - Ernest Myrand


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faute d'études archéologiques.

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      Ce procédé, qui donne à l'histoire le coloris de la légende et l'intrigue du roman, n'est pas neuf: le Cinq Mars d'Alfred de Vigny en est un frappant exemple. Son autre célèbre ouvrage, Stello, n'est rien que la trilogie biographique des poëtes Gilbert, Chatterton et André Chénier. Mais, dans cette littérature apparemment légère par le titre et le mécanisme des moyens, quel butin de connaissances et de souvenirs historiques!

      Ce procédé, les nouvellistes de notre littérature canadienne française l'ont employé avec un succès relativement considérable et de vogue et d'argent. L'histoire du Canada en a retiré un étonnant profit de vulgarisation. Les compositions de Marmette, de DeGaspé, de Bourassa, de Kirby, de Leprohon de John Lespérance, lui ont valu un peu de cette popularité que l'on envie, à juste titre, aux oeuvres artistiques, scientifiquement littéraires de Jules Verne, Arthur Mangin, Camille Flammarion et autres lettrés, partisans déguisés des sciences exactes auprès de la jeunesse frivole qui passe en badinant à travers un cours d'études.

      Pour combien d'intelligentes et spirituelles lectrices la grande et martiale figure de Louis de Buade comte de Frontenac fût demeurée aussi inconnue qu'étrangère sans la lecture de Bienville? C'est un portrait coloré, si l'on veut, mais un portrait vivant, un portrait historique, saisissant de vérité photographique, lumineux de gloire comme l'époque à laquelle il appartient.

      Combien encore, sans le roman-feuilleton du même auteur--l'Intendant Bigot,--combien, dis-je, des 14,000 abonnés du défunt Opinion Publique n'auraient jamais lu le savant, exact et patriotique récit de la première bataille des plaines d'Abraham?

      Et cette autre description magistrale, merveilleusement empoignante de la Revanche du 13 septembre 1759, la victoire du 28 avril 1760, gagnée dans les champs de la vieille paroisse de Notre-Dame de Foye, sous les remparts mêmes de Québec avec son point stratégique légendaire, l'immortel moulin Dumont; où l'avons-nous lue, nous les jeunes?--Chez Garneau, Ferland, Laverdière?--Non pas; mais dans Les Anciens Canadiens de cet octogénaire littérateur Philippe Aubert DeGaspé, publiés en feuilletons dans la Revue Canadienne de 1860. Notre premier cours d'Histoire du Canada s'est donc fait dans un roman très canadien-français, et, disons-le à la gloire de son incontestable mérite, très historique, absolument historique.

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      Dans Les Plaideurs de Racine, Petit Jean exposant son cas, dit, au troisième acte de la comédie:

      "Ce que je sçay le mieux, c'est mon commencement."

      Ça, mes lecteurs, la main sur la conscience, en pouvons-nous dire autant de notre Histoire du Canada? Pour être aussi vrais que sincères ne conviendrait-il pas de renverser ce vers-proverbe et de confesser en toute humilité de coeur et d'esprit:

      "Ce que je sçay le moins, c'est mon commencement."

      Et cependant, combien l'on sait d'autres choses! Oserai-je dire de préférence?

      J'ai connu, quelque part, dans un séminaire classique, un écolier, véritable bourreau de travail, qui vous défilait toute la série chronologique des anciens rois de l'Égypte, de Mesraïm (2,200 ans avant Jésus-Christ), à Néchao, sans oublier un seul Pharaon! Sa prodigieuse mémoire se faisait un jeu de répéter ce tour de force pour chacune des nomenclatures royales des vieux empires de Syrie, d'Assyrie, de Perse, de Macédoine, toutes étiquetées par ordre de millésimes. Or, ce bachelier virtuose, cette vivante encyclopédie ne savait même pas l'humble successions, liste brusquement interrompue, de nos Vice-Rois, Lieutenants-Généraux, Gouverneurs, Grands Maîtres des Eaux et Forêts, Administrateurs, etc., etc., alors que notre patrie se nommait la Nouvelle-France, en Géographie comme en Histoire. Chacun son goût; mais, au mien, j'aime mieux savoir le rôle d'équipage de la flottille de Jacques Cartier allant à la découverte du Canada, que les noms et prénoms des Argonautes partis avec Jason, à la conquête de la Toison d'Or.--Que vous servira, en définitive, de connaître que Nemrod fonda Babylone; Cécorps, Athènes; Eurotas, Sparte; Salomon, Palmyre; et si vous ne savez pas que Samuel de Champlain fonda Québec; Laviolette, Trois-Rivières; De Maisonneuve, Montréal; De Tracy, Sorel; Frontenac, Kingston; De la Motte-Cadillac, Détroit; De la Galissonnière, Ogdensburg; De Contrecoeur, Pittsburg; d'Iberville, Mobile; De Bienville, la Nouvelle-Orléans? Saint Ignace ne dirait-il pas avec un meilleur à-propos: Quid prodest?

      Il était donc rigoureusement logique, pour qui voulait populariser les archives canadiennes-françaises de commencer ce travail de vulgarisation suivant l'ordre des dates. Or la Relation du second Voyage de Jacques Cartier est sans contredit notre premier document historique puisque l'on y raconte la découverte du Canada. Il était difficile, le lecteur en conviendra, d'étudier un document authentique à la fois plus précieux et plus vénérable d'antiquité.

      Non travail ne sera donc, à proprement parler, que la paraphrase littéraire du Second Voyage de Jacques Cartier.

      Oeuvre d'imagination, dira-t-on, bagatelle! Oeuvre d'imagination si l'on veut, composition fantaisiste où cependant la folle du logis n'est qu'une esclave de la vérité historique. A ce point, qu'elle accepte les noms de personnes, les mots anciens de la géographie, et consent à suivre les événements, les faits, les circonstances dans leur ordre. Elle ne les combine pas, elle les regarde; elle se promène au milieu d'eux, les interroge, les critique, les admire, à la manière d'un voyageur intelligent, d'un connaisseur artiste étudiant les curiosités d'un musée ou les monuments d'une ville étrangère. Le travail d'Une Fête de Noël sous Jacques Cartier se compose d'une série de tableaux historiques peints sur nature, de vues exactes prises sur le terrain, photographiées à la faveur de la lumière que peuvent concentrer à cette distance (sept demi-siècles) les meilleurs instruments des archivistes et des archéologues.

      Aussi le public instruit qui jugera l'épreuve sera-t-il d'autant plus sévère pour l'ouvrier, qu'il se trouvera toujours en mesure de comparer la copie à l'original. Car, la raison essentielle de ce travail étant de faire CONNAÎTRE ET LIRE NOS ARCHIVES, j'annote le récit littéraire du texte de la relation primitive2 non pas tant pour démontrer, par la vérité des événements, la vraisemblance de la fantaisie, que pour multiplier aux lecteurs les occasions de lire ce brief récit et succincte narration de la navigation faicte en 1535-36 par le capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada, Hochelaga, Saguenay et autres3. Occasion rare et précieuse, s'il en fut jamais, exceptionnelle bonne fortune de pouvoir déguster, comme un fruit d'exquise saveur, ce beau français du 16ième siècle, un français vieux, ou plutôt jeune comme l'âge de Rabelais et de Montaigne, exhalant en parfum la fraîcheur éternelle de l'esprit.

      Forcément, l'attention des plus légers liseurs s'arrêtera sur ces passages empruntés à l'original unique--imprimés à dessein avec d'anciens caractères typographiques--- extraits bizarres, étranges comme un grimoire, où l'orthographe primitive des mots, le suranné des expressions, la latinisme des tournures de phraser, donnent un cachet de haute valeur archéologique.

      Note 2: Je me suis servi pour mon travail de la "Réimpression figurée de l'édition originale rarissime de 1545 avec les variantes des manuscrits de la bibliothèque impériale."--Paris--Librairie Tross--1863--J'ai aussi consulté l'édition canadienne des Voyages de Jacques Cartier publiée en 1843 sous les auspices de la Société Littéraire et Historique de Québec.

      Note 3: D'Avezac. Introduction historique à la Relation du Second Voyage de Jacques Cartier, page xvj.

      Et de même que la lecture des romans de Jules Verne a développé le goût des études scientifiques, de même la paraphrase littéraire d'un document archéologique éveillera-t-elle peut-être, chez plusieurs jeunes gens instruits, l'idée de consulter nos archives, de les lire, et de se prendre, eux aussi, à leur savante et fascinante étude. Ce sera du même coup développer chez les lettrés le goût de l'histoire par excellence, celle de notre pays.

      Tout


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