Une fête de Noël sous Jacques Cartier. Ernest Myrand

Une fête de Noël sous Jacques Cartier - Ernest Myrand


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      Note 12: Marc Antoine Brasdefer de Chasteaufort, administrateur jusqu'au 11 Juin 1636.

      Aux clartés rayonnantes de cette intelligence d'élite, ces grands personnages de l'histoire Canadienne Primitive apparaissaient comme des acteurs rentrés tout à coup en scène et jouant, sur le théâtre même de leurs fameux exploits, les premiers rôles comme les premiers actes de notre héroïque épopée. Seulement, ils avaient tous la voix, l'harmonieuse voix de Laverdière; ce qui, selon moi, ne gâtait en rien l'expression de leurs sentiments les plus nobles et de leurs plus fières pensées.

      Contraste étonnant! Plus l'évènement était vieux, plus il s'en allait à la dérive, au recul de cette irrésistible entraînement que nous appelons le passé--l'irrévocable Passé--et mieux la vaillante mémoire de l'archéologue historien l'arrêtait dans sa fuite lointaine, le fixait éclatant de sa propre lumière, le rajeunissait d'actualité, le sculptait, enfin en reliefs inoubliables sur l'épaisseur des ses propres ténèbres.

      Laverdière s'arrêtait longuement, avec une complaisance d'artiste, à regarder ainsi passer devant lui les plus humbles figurants de notre belle patrie. Il les faisait à plaisir défiler sous mon regard en une procession interminable.

      Ce ne sont que des figurants, me disait-il mais mon cher, quels figurants! Que serait devenue sans eux l'action même des premiers rôles? Qui l'aurait appuyée dans l'histoire, non pas cinq actes durant, comme au théâtre, mais pendant toute une vie d'homme? Qui l'aurait maintenue cent cinquante ans, solennelle et dramatique, au prix de silencieux dt pénibles travaux, d'obéissances obscures, fidèles, passives?

      Vous méprisez les figurants! De toute évidence vous avez le préjugé des auditoires modernes et vous croyez que les applaudissements frénétiques, les ovations délirantes valent mieux pour le succès d'une pièce, que le travail caché des machinistes ou la voix discrète du souffleur. Rappelez-vous, ami, qu'ici, au Canada, nous avons donné une tragédie devant une salle vide, sans auditoire, c'est-à-dire sans témoins. Nous avons joué pour l'art, comme nous nous sommes battus pour la gloire, à la française. Une bonne manière, croyez-m'en! N'en cherchez pas de meilleure. Donc, pour l'Histoire qui n'assistait pas à cette représentation dramatique, il faut nommer tous les personnages en scène, figurants comme premiers rôles.

      Aussi ne me parlait-il pas de Jacques Cartier, mais des compagnons de Jacques Cartier; et, sans une seule hésitation des lèvres du de la mémoire, il ne récitait, avec la volubilité du petit écolier qui apprend par coeur seulement, les soixante quatorze noms de marins inscrits à St. Malo, sur le rôle d'équipage, le trente-unième jour de Mars 1535.

      Il ne me disait rien de Samuel de Champlain, mais causait avec un attachant intérêt d'Étienne Brûlé, de Champigny, de Nicolas Marsolet, de Rouen, le petit roi de Tadoussac, de Jean Nicollet, de François Marguerie, de Jean Godefroy, de Normanville, de Jacques Hertel, de Fécamp, de Jean Amyot, de Guillaume Cousture, tos interprètes du Fondateur de Québec,13 et qui lui avaient rendu l'inestimable service d'apprendre pour lui la lettre et l'esprit des langues sauvages.

      Note 13: Benjamin Sulte: Histoire des Canadiens-Français--Tome Ier, page 149. Ferland: Histoire du Canada--Tome Ier, page 275.

      A quoi bon, disait-il, vous parler de Jacques Cartier, de Samuel Champlain? Vous en savez suffisamment pour garder à leur mémoire un culte d'éternelle reconnaissance. Mais leurs obscurs compagnons d'armes et de vaisseaux, leurs frères de courages surhumains et d'héroïques misères ne méritent-ils pas eux, l'aumône d'un souvenir?

      Croiriez-vous par exemple, que les missionnaires Jésuites aient seuls en ce pays donné des martyrs au Christ? Ignorance coupable qui ne rend pas justice à tous les témoins du Divin Maître! Ce n'est pas amoindrir la gloire immortelle de Brébeuf, de Lalemant, de Jogues, que d'en faire une part à Hébert, à Antoine de la Meslée, à Louys Guimont, à Pierre Rencontre, à Mathurin Franchetot,14 cinq paysans, cinq confesseurs de la Foi, cinq apôtres, qui Lui donnèrent le témoignage du sang. Cette terre vaillante du canada favorise ceux que l'aiment, et partage, entre les missionnaires qui l'évangélisent et les laboureurs qui l'ensemencent, l'honneur éternel du sacerdoce et le triomphe suprême du martyre!

      Note 14: Relations des Jésuites--année 1661--pages 35 et 36.

      Dites-moi, ami, croiriez-vous échapper à une accusation méritée d'ingratitude en vous rappelant seulement que Dollard des Ormeaux, le héros de Montréal, sauva la Nouvelle France en 1660?

      Dollard ne mourut pas seul: ils étaient dix-sept à la tâche glorieuse; nous sommes aujourd'hui un million de Canadiens-Français pour nous en souvenir. Dix-sept! un chiffre jeune, tous des noms de jeunes gens, faciles à retenir pour des mémoires jeunes aussi, vivaces et sympathiques. Avec un peu de coeur cela devient aisé comme un jeu de l'esprit. Voyez plutôt:

      Adam Dollard, sieur des Ormeaux, le chef de l'expédition, Jacques Brassier, l'armurier Jean Tavernier dit La Hochetière, le serrurier Nicolas Tillemont, Laurent Hébert dit LaRivière, le chaufournier Alonié de Lestres, Nicolas Josselin, Robert Jurée, Jacques Boisseau dit Cognac, Louis martin, Christophe Augier, Etienne Robin, Jean Valets, Réné Doussin, Jean Lecompte, Simon Grenet, François Crusson dit Pilote.15 Dites, m'avez-vous suivi? Avez-vous compté? J'ai bien mes dix-sept?

      Note 15: Leurs noms, recueillis par M. Souart, curé de Ville-Marie, furent insérés, avant la fin de l'année 1660, au régistre mortuaire de la paroisse, le seul monument qui les ait conservés.

      J'oubliai de lui répondre tant j'étais absorbé par la pensée accablante de ce qu'il avait fallu de temps, de travail ferme et de patient courage pour amener la Mémoire, cette grande Rebelle de l'intelligence, à un aussi merveilleux degré de souplesse et de docilité. Et devant ce miracle d'inflexible énergie, il me venait aux yeux, en regardant Laverdière, cette comparaison formidable du belluaire s'enfermant avec le tigre qu'il va dompter, qui barre la porte de la cage pour mieux enlever toute issue aux défaillances de la chair, rendre humainement impossibles la fuite ou le secours extérieur, compléter sciemment l'immense péril pour contraindre son coeur à ramasser tout son courage, préoccuper l'âme à ce point que la pensée même de la peur ne lui vienne pas au suprême élan du combat.

      Laverdière continua: En justice pour tous les héros de cette expédition fameuse, il convient d'ajouter à l'immortel Palmare de notre histoire le nom de l'algonquin Metiwemeg et celui du huron Anahotaha. Car le courage est une vertu humaine universelle qui ne se reconnaît pas seulement à la couleur du sang ou à la nationalité d'un drapeau!

      Laverdière dit encore: Je devrais ajouter, pour être complet, les noms de Nicolas du Val, Mathurin Soulard et Blaise Juillet, trois autres frères d'armes de Dollard qui périrent au début de l'expédition.

      L'étrange mémoire que la mienne! remarqua le maître-ès-arts en se frappant le front. Ce n'est pas l'orthographe bizarre des mots ou leurs consonances singulières que la frappent, mais l'agencement, le nombre des chiffres. Ainsi, dans le cas présent, ce n'est point l'originalité de ce nom de famille Blaise Juillet qui l'émeut, l'impressionne, l'éveille, mais l'hiéroglyphe même, le profil serpenté du chiffre trois, 3, un chiffre vivant pour moi, qui se tord et se dénoue, qui remue, ondoie, frissonne, quand on le regarde fixement, comme les anneaux d'un reptile.

      Vous ne sauriez imaginer quel essaim de souvenirs agréables cette pensée du chiffre trois fait lever dans mon intelligence. D'où provient ce phénomène? Je n'en sais rien. La raison comme le secret s'en rattachent peut-être à une lointaine habitude de ma jeunesse. J'avais extrême plaisir à chanter des chansons de marche. Vous savez les belles chansons de St. Joachim et vous vous rappelez sans doute avec quels élans de voix et de gaieté les disaient eux-mêmes, à l'âge d'or des vacances, Ernest Adette et Patrice Doherty.16

      Note 16: Prêtres du Séminaire de Québec. Le dernier, Patrice Doherty, spirituel au superlatif, toujours gai et d'une amabilité inaltérable, était le boute-en-train de toutes les fêtes, l'âme de tous les plaisirs, la meilleure application du vers immortel du poète: Eia age, nunc salta, non ita musa


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