Une fête de Noël sous Jacques Cartier. Ernest Myrand

Une fête de Noël sous Jacques Cartier - Ernest Myrand


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font un devoir sacré, une religion sévère de leur souvenir; dans la crainte que les aïeux, que les ancêtres ne soient hélas! pour l'avenir, contraints de compléter la mesure de leurs inestimables bienfaits en en pardonnant l'ingratitude.

      C'était le maître-ès-arts, Charles Honoré Laverdière qui me parlait ainsi, à Québec, la nuit du vingt-quatre Décembre, mil-huit-cent-quatre-vingt-cinq. Il pouvait être onze heures et demie du soir; conséquemment, pour parler le langage moderne, le style rapide du chemin de fer, nous n'étions plus qu'à trente minutes de Noël;--trente minutes, un temps égal à la distance qui nous séparait tous deux de la ville où nous allions rentrer.

      Aussi fallait-il marcher très vite pour arriver à Notre-Dame au temps de la Messe de Minuit. Car nous étions encore loin, très loin même sur la route, la Grande Allée, la rue fashionable par excellence du quartier à la mode de notre actuelle cité, l'antique chemin du Cap Rouge, trois fois centenaire comme la mémoire de Jacques Cartier. L'incomparable beauté de la nuit, le besoin d'être seul, de penser librement, longuement, l'idée et la raison d'un livre m'avaient engagé à refaire une fois de plus, et certes sans regrets, la fascinante promenade du belvédère.

      Or, Laverdière était mort le 11 mars 1873. Rien, comme la date précise de son décès et le quantième de son enterrement, n'était plus facile à relever dans les régistres de l'état civil. Je dis bien aux régistres de l'état civil, car, dans la chapelle du Séminaire des Missions Etrangères6, où le saint prêtre dormait enterré depuis douze ans, il n'y avait point de mausolée, de marbre funéraire, pas même une épitaphe gravée à son nom, qui rappelât à la mémoire distraite des vivants ce mort enseveli sous le parvis du sanctuaire. En cela, il n'était pas plus maltraité par l'ingratitude des hommes que son frère illustre d'études et de sacerdoce, Jean-Baptiste Antoine Ferland, couché, aussi lui, quelque part sous le choeur de Notre-Dame de Québec, moins oublié même que Messieurs de Frontenac, de Callières, de Vaudreuil, de la Jonquière 7, quatre des plus fameux gouverneurs de notre Canada Français, obscurément enfouis à la Basilique, sous je ne sais plus quelle chapelle latérale 8.

      Note 6: Nous avons pris habitude d'appeler Séminaire de Québec, le Séminaire des Missions Etrangères à Québec.

      Note 7: Ce fut en septembre 1796, que les cendres du comte de Frontenac, du chevalier de Callières, du marquis de Vaudreuil et du marquis de la Jonquière, furent transportées de l'Église incendiée des Récollets à la Cathédrale de Québec.

      On agita l'idée d'élever dans la cathédrale un modeste marbre funéraire à chacun de ces grands noms et de ces grands chefs de notre race. La chose fut mis à l'étude, et ce bel et si bien, que quatre-vingt trois ans après la translation de ces ossements tout est encore à faire! Frontenac, Callières, Vaudreuil, La Jonquière dorment dans la ville qui a été le siège de leur gouvernement sans avoir même une épitaphe pour rappeler aux vivants où ils sont, et ce qu'ils étaient! Il est vrai que Champlain, le fondateur de notre ville, n'a pas encore de monument et que le chevalier de Mésy, autre gouverneur de la Nouvelle France, gît ignoré dans le cimetière des pauvres de l'Hôtel-Dieu de Québec!

      Faucher de Saint Maurice--Relation des Fouilles faites au Collège des Jésuites, page 11.

      Note 8: Très probablement la chapelle Notre-Dame de Pitié. L'Histoire du Canada par Smith, publiée à Québec en 1815, nous a conservé les inscriptions gravées sur les cercueils de ces quatre Gouverneurs de la Nouvelle France. Les voici:

      I. M. DE FRONTENAC.--Cy gyt le Haut et Puissant Seigneur Louis de Buade, Comte de Frontenac, Gouverneur Général de la Nouvelle France, mort à Québec, le 28 Novembre 1698.

      II. M. DE CALLIÈRES.--Cy gyst Haut et puissant Seigneur Hector de Callières, Chevalier de Saint-Louis, Gouverneur et Lieutenant Général de la Nouvelle France, décédé le 26 mai 1703.

      III. M. DE VAUDREUIL.--Cy gist haut et puissant Seigneur Messire Philippe Rigaud, Marquis de Vaudreuil, Grand Croix de l'ordre militaire de Saint Louis, Gouverneur et Lieutenant Général de toute la Nouvelle France, décédé le dixième octobre 1525.

      IV. M. DE LA JONQUIÈRE.--Cy repose le corps de Messire Jacques Pierre de Taffeneil, Marquis de la Jonquière, Baron de Castelnau, Seigneur de Hardaramagnas et autres lieux, Commandeur de l'ordre royal et militaire de Saint Louis, Chef d'Escadre des armées Navales, Gouverneur et Lieutenant Général pour le Roy en toute la Nouvelle France, terres et passes de la Louisiane. Décédé à Québec le 17 may 1752, à six heures et demie du soir, âgé de 67 ans.

      En vérité j'aurais dû me rappeler que Laverdière était mort, et mort depuis douze ans, quand son fantôme m'adressa la parole, la nuit de Noël 1885. Quels motifs occultes, quelles raisons majeures, quelles urgences surnaturelles amenaient donc sur ma route ce revenant d'outre-tombe? Pourquoi, comment, et depuis quand Laverdière était-il là? Encore aujourd'hui ma mémoire ne donne à ces questions rétrospectives que de flottantes et tardives réponses. Par contre, ce dont je me souviens parfaitement est qu'il m'apparut si brusquement et me reconnut si vite, que, dans la joie première de notre mutuelle surprise, cette pensée de lui demander d'où il venait me manqua absolument.

      Ce mot joie en étonnera plusieurs. Et cependant, je le dis sans vantardise, l'idée même d'avoir peur ne me vint pas, non par excès de courage, mais pour cette autre raison non moins singulière et rare que j'oubliai de me rappeler... que Laverdière était mort! Je n'ai pas encore eu de pire distraction.

      La présence quotidienne de sa photographie, la lecture de ses oeuvres, l'habitude constante de les étudier, une discussion historique toute récente, où l'on avait longtemps et bien parlé de lui, m'avaient sans doute, et à mon insu, préparé doucement à cette rencontre, terrifiante é tous égards, mais qui, dans l'état actuel de mon esprit, me parut alors aussi naturelle que fortuite. Comme les organes corporels, les facultés de l'âme ont leurs torpeurs; torpeurs partielles et temporaires, si l'on veut, de la capricieuse mémoire, mais suffisantes cependant, et de mesure à expliquer autant qu'à produire ce bizarre phénomène cérébral.

      Rien de fantastique d'ailleurs ne trahissait la présence du revenant chez le prêtre archéologue: ni le vêtement flottant sur la charpente du squelette, ni la démarche solennelle de silence glacial eu de sinistre gravité, ni l'accent sépulcral de la voix creuse, ni la pâleur jaunâtre du visage. Le vent ne faisait pas osciller son fantôme et les lumières oranges du gaz, ou les rayons bleu-acier des lampes électriques n'en traversaient pas le spectre à la manière du jour pénétrant une vitre, mais projetaient, au contraire sur la blancheur immaculée de la neige, l'ombre intense de son corps palpable.

      Devinez d'où je viens? me dit-il Je lui avouai que je ne devenais pas du tout.

      Je suis allé à Sillery, voir le monument que les citoyens de cette localité ont élevé à la mémoire du fondateur de leur paroisse9 et au premier missionnaire10 de la Nouvelle-France.11

      Puis Laverdière me raconta le détail attachant de cette découverte historique dont il avait partagé l'honneur avec son frère d'études et de sacerdoce, l'abbé Raymond Casgrain.

      De celle-ci il passa à une autre, puis à une autre, et de cette autre à une quatrième, toujours en remontant à travers les dates,--de Brûlart de Sillery, Commandeur de l'Ordre de Malte, au Chevalier de St. Jean de Jérusalem Charles Huault de Montmagny;--de Montmagny, à Brasdefer de Chasteaufort12;--de Chasteaufort, à Samuel de Champlain; de Champlain, à M. De Monts;--de M. De Monts, à M. De Chates;--De M. de Chates, à Chauvin;--de Chauvin, au marquis de la Roche;--du Marquis de la Roche, à Roberval;--de Roberval, à Jacques Cartier;--de Jacques Cartier au florentin Jean Verrazzano.

      Note 9: Noël Brûlart de Sillery, fondateur de la résidence de Saint Joseph. Il a donné son nom à la paroisse actuelle de Sillery.

      Note 10: Ennemond Massé, premier missionnaire jésuite au Canada.

      Note 11: Ce fut à son voyage de 1524, que Jean Verrazzano, florentin au service de François Ier, prit possession du Canada au nom du Roi et


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