Une fête de Noël sous Jacques Cartier. Ernest Myrand
ouvrir le livre... et à le lire! Et on ne lirait pas? Je ne puis croire à cet excès d'indifférence ou de paresse!
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"PRENDRE PAR L'IMAGINATION CEUX-LA QUI NE VEULENT PAS DE BON GRÉ SE LIVRER A L'ÉTUDE," tel est l'objet entier de ce livre.
Encore l'imagination de celui qui invente à conditions pareilles aux miennes se trouve-t-elle, avec un semblable canevas, terriblement réduite, affreusement bridée, dans le champ même de ses évolutions, le terrain par excellence de ses manoeuvres, la description. Son action restreinte demeure étroitement liée aux causeries d'équipages que défraient un petit nombre de circonstances inconnues, mais vraisemblables, aussi rares et aussi vulgaires cependant que les événements quotidiens, traversant la monotonie d'un long et triste hivernage. Qui plus est, ces causeries de matelot se rattachent à très peu de sujets; sujets difficiles que l'imagination ne trouve qu'en évoquant la vérité des sentiments intenses, vivaces, je le veux bien admettre, mais aussi, communs à tous les hommes: sentiments de regrets amers, angoisses lancinantes, d'illusions éblouies, croisées presqu'aussitôt de désespoirs extrêmes, tous sentiments personnels à ces Français, acteurs d'une héroïque aventure, encore plus rongés de nostalgie que de scorbut.
Aussi, ai-je cru devoir introduire dès le départ de l'action, un interprète qui l'accompagne à travers l'intrigue, jusqu'à la fin du récit. Cet interprète n'est pas mis là uniquement pour traduire les pensées ou les sentiments des principaux rôles, la seule clarté du langage devant suffire à cela, mais pour compléter chez le lecteur la connaissance historique de ces mêmes personnages, de l'époque et du pays où ils ont vécu, de leurs travaux, de leurs oeuvres.
Pour créer le type de ce personnage je n'ai eu qu'à me souvenir. Car j'ai connu, intimement connu, dans ma vie d'écolier, au Séminaire de Québec, Monsieur l'abbé Charles Honoré Laverdière, l'érudit archéologue, l'éminent prêtre historien; et nul autre que lui ne m'a semblé plus apte à remplir vaillamment ce premier rôle.
J'ai dit interprète, j'aurais mieux fait d'écrire coryphée; car mon cicerone fantaisiste lui correspond et lui ressemble étonnamment. Avec cette différent toutefois que le coryphée des tragédies grecques donne la réplique aux acteurs en scène, cause, discute approuve, censure, pleure, se lamente s'inquiète, se réjouit, se glorifie, s'exalte avec eux; tandis que, dans le cas actuel, notre Mentor donne la réplique à l'auditoire, c'est-à-dire aux lecteurs du livre. Il cause avec eux, discute, approuve, condamne les idées, les sentiments, les espérances, les désespoirs, les ambitions, les étonnements, les rêves des compagnons de Jacques Cartier. Il profite conséquemment de l'occasion continuellement présente de donner à ses auditeurs un Cours quasi complet d'Histoire du Canada. Un nom d'homme ou de ville, une parole, une action, une place, un monument, cités aux dialogues, ou mentionnés dans la partie descriptive de l'ouvrage, sont pour lui autant de raison de prendre la parole.
Ajoutez encore, comme prétextes de causerie, les analogies d'événements ou de circonstances, les coïncidences heureuses ou bizarres, les antithèses surprenantes d'une vie toute semée d'aventures singulières, les parallèles glorieux, ou les fâcheux contrastes providentiellement établis entre les hommes et leur vocation, et vous aurez autant d'à-propos, autant d'excuses, pour ce coryphée historique de reprendre la parole, de la garder plus longtemps même que les personnages en scène, sa qualité de cicerone officiel lui permettant d'être prolixe, voire même bavard sas trop d'inconvénient pour l'auteur du livre, qui cause à sa place.
Et de même que, dans les choeurs de la tragédie antique, le coryphée parlait quelquefois au nom de la foule, de même Laverdière parlera, de sa voix claire et forte, au nom de l'histoire du Canada. Cet homme autorisé en sera l'interprète accompli, et sa parole sera si vraie, si juste, que chacun, en l'écoutant, croira entendre un écho de ses propres pensées.
Et si le lecteur constate une divergence, ou plus, une contradiction entre Laverdière, prononçant le jugement de la postérité, l'opinion publique actuellement reçue, quelques heures de sage réflexions ne tarderont pas à lui faire reconnaître et accepter la sentence du prêtre historien. Car Laverdière ne tergiverse jamais et jamais n'hésite entre l'opinion que l'on a et l'opinion que l'on devrait avoir sur tel homme, telle époque ou tel événement historique.
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C'est donc au milieu d'un groupe de matelots que Laverdière se présente. Les hardis malouins, les audacieux Bretons, compagnons de la fortune et de la gloire de Jacques Cartier apparaissent; au lieu d'une troupe de comédiens, c'est l'équipage d'une marine française qui donne à bord de trois vaisseaux, je ne dirai pas le premier acte, mais la première scène de cet immortel drame historique joué au Canada par la France Catholique royale, pendant trois siècles consécutifs, et sans chute de rideau. Laverdière n'est que le coryphée du spectacle; conséquemment il lui appartient, et, comme toutes les opinions que je lui prête, la critique qu'il en peut faire est réversible, et les lecteurs de ce livre ont le droit de l'applaudir ou de le siffler.
Un rôle d'équipage pour canevas! J'avoue la désespérante aridité de mon sujet; mais la logique de mon raisonnement autant que le but de mon travail n'empêchent de choisir. D'autre part, le mot Noël, pour qui le médite profondément, nous ouvre tout un horizon de l'histoire canadienne-française. Ce vieux cri de joie gauloise portera-t-il bonheur à cet essai littéraire? Mes espérances veulent répondre oui; mais je me souviens à temps que l'Avenir seul a la parole. D'ailleurs, étant donné l'ingratitude et le fardeau d'une pareille étude, je n'en estimerai mon succès que meilleur, si toutefois le succès... arrive.
S'il arrive! Eh! viendra-t-il jamais? Franchement j'aimerais mieux attendre la Justice. Cette redoutable Boiteuse tarde souvent jusqu'au soir de la vie; elle est lente, si lente quelquefois que les méchants, que les coupables, les impunis de tous les forfaits comme les heureux de tous les crimes, finissent par croire qu'il existe pour elle une vieillesse et qu'elle pourrait bien mourir avant eux. Mais Elle vient à son heure, toujours avant la fin, jamais trop tard. Le Succès, lui, n'est pas tenu d'arriver. Voilà ce qui inquiète. A tout événement, l'on me tiendra peut-être compte de n'avoir pas apporté à l'appui de ma thèse un exemple facile ou de labeur ou d'imagination.
ERNEST MYRAND
Québec, 25 décembre 1887.
ÉCOLE NORMALE-LAVAL
Québec, 4 avril 1887.
L'honorable G. OUIMET.
Surintendant de l'Instruction Publique.
MONSIEUR LE SURINTENDANT.
J'ai entendu lire l'ouvrage de Monsieur Ernest Myrand, Une fête de Noël sous Jacques Cartier. L'impression qui m'est restée de cette lecture est des plus favorables.
Au point de vue religieux, il ne m'a paru y avoir absolument rien à reprendre; au contraire, tout y est édifiant, moral, rempli de cette foi naïve et ardente qui animait nos pieux ancêtres Bretons et Normands.
Au point de vue historique ce travail ne mérite que des éloges. L'auteur, pénétré de respect et d'affection pour les vénérables monuments de notre histoire a pris pour base de son récit nos plus anciennes annales, et a voulu rassurer et satisfaire les lecteurs sceptiques ou incrédules en mettant toujours en note le texte primitif des documents sur lesquels il s'appuie.
Cet ouvrage, qui a dû coûter à son auteur beaucoup de recherches, me paraît propre à faire aimer notre histoire et à faire étudier nos vieilles archives, mine précieuse qui gît depuis si longtemps dans la poussière de l'oubli et qui renferme encore tant de richesses inexplorées. Chaque fois que l'occasion s'en est présentée, le brillant écrivain à travaillé à grouper habilement une foule de faits historiques, à les lier en faisceaux et à en former comme une gerbe de lumière propre à éclairer la marche et à soulager la mémoire de l'étudiant; la vérité est partout respectée et l'on s'instruit en s'amusant à une saine lecture.
C'est