Quatre mois de l'expédition de Garibaldi en Sicilie et Italie. Durand-Brager

Quatre mois de l'expédition de Garibaldi en Sicilie et Italie - Durand-Brager


Скачать книгу
aussi sympathique à l'endroit de la liberté nationale.

      C'était un Croquemitaine en habit noir, que ce Maniscalco. Il savait tout ce qui se passait non-seulement en public, mais encore dans l'intérieur des familles et jusque dans les couvents. Nous le retrouverons d'ailleurs à Palerme, et nous aurons occasion d'en parler longuement.

      Les Garibaldiens passèrent donc cette première nuit comme ils purent, les uns dans les églises métamorphosées pour l'instant en casernes de passage, les autres dans les maisons; beaucoup restèrent dans les rues. Sous le beau ciel de la Sicile, ce n'étaient pas les plus mal partagés. Le matin du 12, vers trois heures, les premiers éveillés parmi les habitants purent les voir capeler leurs petites sacoches, essuyer leurs fusils, ternis par l'humidité qui, même dans les plus beaux jours, règne sur le littoral de la mer, puis s'acheminer vers la porte de Calatafimi où les compagnies se reformèrent, attendant l'ordre du départ. A quatre heures, le mouvement commençait, et les érudits de la bande pouvaient s'écrier comme César: Alea jacta est! Les colonels Bixio, Orsini, Türr, Carini, etc., marchaient en tête de leurs régiments ou plutôt de leurs petits bataillons. L'artillerie se composait de deux ou trois pièces assez mal outillées, encore plus mal attelées; les munitions étaient rares, presque nulles. Quant à la cavalerie, une douzaine de chevaux, dont les cavaliers portaient le nom de guides, en représentaient l'effectif.

      La voilà donc en route, cette intrépide colonne, et pendant qu'elle s'avance ainsi pêle-mêle, flanquée de quelques éclaireurs qui ne se préoccupent guère d'une rencontre avec l'armée napolitaine, regardons-la défiler, et observons-en l'ensemble et les types particuliers. Pour l'ensemble, c'est une poignée d'hommes déterminés, des fusils de tous modèles, de l'entrain et de la gaieté, le bagage du Juif errant moins les cinq sous, des costumes dont la variété ferait envie au parterre le plus émaillé, et dont l'originalité exciterait la verve de Callot ou d'Hogarth.

      Quant aux types, ils ne sont pas moins curieux: Ici, c'est un Hongrois, à la taille élevée, aux larges épaules et à la démarche de Madgyar. Il porte en se jouant son escopette aussi facilement qu'une femme fait manoeuvrer son ombrelle. Derrière lui s'avance un blond Anglais; mais sa figure, pour être rasée comme celle d'un bon bourgeois, n'en respire pas moins ce courage froid et calme que rien ne pourra troubler. Celui-là porte un peu son fusil comme un promeneur fait de sa canne; la baïonnette, attachée par un bout de ficelle, bat la breloque avec un petit sac de voyage. En vrai fils d'Albion, il n'a pas oublié une gourde à la panse rebondie. On peut parier que ce n'est pas de l'eau qu'elle contient.

      Puis voici un compatriote. Ils sont rares encore. Celui-là chante avec insouciance le Sire de Framboisy, et, si on fouillait dans un sac de toile accroché sur son épaule, on y trouverait, j'en suis sûr, quelque poule assassinée traîtreusement, car il est peu probable que les plumes accusatrices qui se faufilent à travers les coutures de ce havre-sac soient le commencement d'un édredon. Son armement se compose d'une carabine, qui ressemble terriblement à celles de nos chasseurs à pied, et d'un énorme bâton, complice de bien des forfaits et dont la vue seule doit faire frémir la volaille. Qui vient après lui? Un enfant. Il a seize ans, tout au plus. C'est un petit Niçois, entraîné par l'amour de la gloire ou de la liberté, comme vous voudrez, et qui vient essayer ses forces dans les hasards de cette guerre aventureuse. Le pauvre garçon a déjà bien de la peine à supporter le poids de ses bibelots et de son lourd fusil de munition. Courage! Il arrivera comme les autres, peut-être même avant. Les gardes mobiles de France étaient aussi, pour la plupart, des enfants. Mais quel est ce nouveau costume étonné de son entourage? Quoi, un cordelier! Dieu me pardonne! c'est celui de la Pointe-aux-Blagueurs. Son capuchon, rejeté militairement sur le dos; laisse apercevoir une encolure d'Hercule. Sa face barbue semble celle d'un zouave ou d'un Arabe. Sa cotte est retroussée jusqu'aux hanches au moyen d'une corde; dans cette ceinture improvisée passe un pistolet dont le canon défierait en longueur une canardière; et ses jambes mises ainsi à nu font saillir des muscles dont la vigueur doit résister merveilleusement à la fatigue et aux marches forcées. Sa croix en sautoir, probablement par un reste d'habitude, se balance de droite à gauche, étonnée de la récente désinvolture de son maître; un foulard quelque peu troué sert de képi, et complète l'équipement. C'est sans doute l'uniforme des aumôniers de l'armée: honni soit qui mal y pense! Mais que vient faire ce pantalon garance dans ce pêle-mêle? Parle-t-il français? non. C'est un Toscan; car ce bon duc de Toscane, séduit par la couleur brillante des pantalons de notre armée, en avait, comme feu le roi de Naples, affublé les jambes de ses troupes. Puis, passent quelques Suisses, deux ou trois Allemands, puis des Lombards; puis surtout des Romains en grand nombre, vieux compagnons de Garibaldi, débris des défenseurs de Rome.

      Enfin, la colonne est presque passée, lorsque apparaît une guérilla bizarre. C'est le noyau des volontaires siciliens autour desquels vont se grouper tous les picchiotti de la montagne. Le musée d'artillerie, dans sa collection, ne possède rien de plus curieux que les engins auxquels ils sont accrochés. Armes d'autrefois, exhumées on ne sait d'où, calibres à chevrotines ou à biscaïens; il serait difficile de dire de quelques-uns de ces instruments s'ils partent par la culasse ou par le bout du canon. Ce sont de ces vieux tromblons dans lesquels on pourrait facilement loger toute une grappe de raisin, tout un paquet de mitraille, ou ces petites carabines, au canon de cuivre, chères aux voleurs de grands chemins. Il y a encore nombre de stylets et de couteaux corses ou catalans. Les costumes sont comme les armes: des vestes de velours et des guenilles. Des figures que l'on n'aimerait pas à rencontrer au coin d'un bois. On dirait presque la bande de Fra Diavolo. Quelques femmes les accompagnent et, petit à petit, les quittent pour s'en retourner vers la ville en leur donnant de ces poignées de main qui disent à elles seules plus que tous les discours.

      Tout ce monde chemine, marche, aux rayons du soleil levant, et la colonne, semblable à un long serpent bariolé, commence à gravir les contre-forts des montagnes qui s'élèvent dans l'intérieur de la Sicile.

      Cette première marche fut peut-être l'une des plus pénibles du commencement de la campagne. Un soleil brûlant, beaucoup de poussière, peu ou presque pas d'eau; pour des hommes encore engourdis par leur séjour forcé à bord, c'était dur. Enfin, on arriva sans encombre à Rambingallo.

      Rambingallo est une petite ville ou, pour mieux dire, un misérable bourg qui offre peu de ressources pour une armée en marche. Aussi n'y fit-on qu'une courte halte; on repartait le soir même pour Saleni, où l'on entrait le 14 au matin. Il y eut là séjour nécessaire pour organiser plus militairement la petite armée, et pour laisser le temps aux traînards de rallier.

      Jusque-là, la colonne n'avait été inquiétée que par des bruits ou de fausses nouvelles apportées par des espions empressés: les Napolitains sont ici; les royaux sont là; ils sont devant vous, sur votre flanc, etc. Somme toute, on ne les voyait nulle part.

      Mais le général Garibaldi, mieux informé, savait qu'un corps de troupes détaché de Palerme s'avançait à marches forcées, et qu'il devait le rencontrer quelque part comme à Vita, Calatafimi ou Alcamo. Ce corps possédait de l'artillerie, et même un peu de cavalerie.

      A Saleni, le rôle de chaque chef et de chaque corps fut bien spécifié. Les munitions furent partagées aussi également que possible. Un corps de chasseurs fut organisé; Menotti, le fils de Garibaldi, en prit le commandement, ainsi que d'une réserve destinée à protéger les quelques chariots de bagages et de munitions appartenant à l'armée libératrice. Quant à la caisse, elle se défendait toute seule: elle était vide. Plusieurs soldats napolitains déserteurs avaient rejoint dans la soirée du 14, et avaient donné des renseignements précis sur la position des troupes royales qui attendaient les libérateurs à Calatafimi, non pas les bras ouverts, mais dans de fortes positions militaires.

      On devait donc prévoir une première et sérieuse affaire pour le lendemain. De ce combat allait dépendre sans doute tout le succès de cette aventureuse expédition. Pour les Napolitains, la défaite, c'était le désarroi, le découragement et la désertion. Pour les Garibaldiens, la victoire, c'était presque la certitude du succès dans tout le reste de la Sicile. Mais aussi pour eux, la défaite, c'était le danger d'une fuite dans les montagnes, autant dire la mort! Aussi, dans la petite


Скачать книгу