Quatre mois de l'expédition de Garibaldi en Sicilie et Italie. Durand-Brager

Quatre mois de l'expédition de Garibaldi en Sicilie et Italie - Durand-Brager


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18, la petite armée, bien réorganisée, arrivait à Rena, après une rude étape, en passant par Valguarnero et Partenico. Sur toute la route, des bandes de volontaires descendant des montagnes avaient rallié la colonne; mais Garibaldi leur avait enjoint de se tenir sur les flancs ou en arrière. Il craignait avec raison le désordre que pourraient apporter dans une attaque l'inexpérience et souvent même la frayeur de ces soldats improvisés. Il avait promptement jugé leur valeur, et les regardait dans une action comme un embarras plutôt que comme une aide. Cependant leur présence autour de l'armée garantissait de toute surprise, et leur feu pouvait gêner et même embarrasser les tentatives de l'armée royale. Leurs tirailleurs éclairaient de fait toute la marche. On passa la journée du 19 à Rena, et, dans l'après-midi, les picchiotti, soutenus par quelques avant-postes de l'armée régulière, attaquèrent Ensiti évacué incontinent par une petite arrière-garde napolitaine qui l'occupait.

      Plus on avançait, et plus on rencontrait de sympathies pour la cause libérale. Les picchiotti commençaient à se réunir en grand nombre et à marcher moins isolément. Une partie fut enrégimentée tant bien que mal, et choisit pour colonel Roselino Pilo, qui devait le surlendemain payer de sa vie l'honneur que lui faisaient ses compatriotes. On leur assigna leurs postes de combat à l'avant-garde et à l'arrière-garde.

      Partie dans la nuit du 19, l'armée venait s'arrêter le 20 à Piappo ou Misere-Canone. Là, le général Garibaldi eut de nouveaux renseignements sur les opérations de l'armée napolitaine. Elle s'était concentrée aux abords de Palerme, et occupait les crêtes des montagnes voisines. Plusieurs fortes colonnes mobiles, avec de l'artillerie, s'étaient lancées sur la route de Palerme à Trapani et Marsala, ainsi que sur celles de Messine et de Castellamare. On savait aussi qu'il leur était arrivé des renforts et un général envoyé par la cour de Naples. Une nouvelle rencontre était donc imminente, et cette pensée ne fit qu'exalter le courage des Garibaldiens en leur laissant entrevoir un nouveau succès. Le régiment des picchiotti partit le soir même. Il devait marcher sur le flanc de l'armée, qui s'acheminait elle-même vers Palerme. On avançait avec précaution, prenant garde aux surprises. On était déjà arrivé à quelques milles de San-Martino lorsqu'une vive fusillade se fit entendre. C'était un engagement des picchiotti avec l'ennemi. Abordés par les troupes royales, ils plièrent d'abord sous le choc; mais, valeureusement ramenés au feu par leur colonel et quelques officiers dévoués, ils reprirent l'offensive, et, à leur tour, arrêtèrent la marche en avant de la colonne napolitaine. Le combat ne fut plus alors qu'une affaire de tirailleurs qui dura quelques heures, et finit sans résultat de part ni d'autre. Malheureusement, Roselino Pilo fut frappé à mort au milieu de l'engagement. C'était une grande perte, car il était aimé et avait beaucoup d'empire sur ces bandes indisciplinées. Cette affaire de San-Martino eut lieu le 21 dans la matinée.

      L'armée libératrice avait fait halte, prête à se porter au secours des picchiotti. Sans doute, pendant ce laps de temps, des nouvelles importantes parvinrent au général Garibaldi; car, faisant volte-face, il revint sur ses pas, et prit l'embranchement de la route de Rena à Parco. Il faisait un temps affreux. La pluie tombait par torrents, et la nuit était tellement obscure, que les hommes se distinguaient à peine eux-mêmes. La route, défoncée, arrêtait à chaque instant la marche de l'artillerie, et les chevaux refusaient d'avancer. Il fallut porter les pièces à dos, laissant les affûts seuls attelés. Les troupes n'avaient pas mangé et étaient harassées par cette longue et pénible étape à travers les montagnes. Dans cette triste nuit, leur persévérance fut mise à une rude épreuve. Enfin, le 22, au petit jour, on arrivait sur le mont Calvaire, et on y prenait le bivouac de grand coeur. La pluie avait cessé; un beau soleil fit bientôt oublier aux volontaires les fatigues de la nuit.

      Le mont Calvaire est à environ cinq ou six kilomètres au-dessus de Montreal. Une étroite vallée le sépare des montagnes sur lesquelles est située cette petite ville. Des bois, des jardins et des maisons occupent tout le vallon, et remontent de chaque côté jusqu'à mi-côte. La route royale, qu'avait quittée l'armée garibaldienne, passe du côté de Montreal, tracée dans le flanc des montagnes, à peu près au tiers de leur hauteur. Toute cette route, jusqu'en face le mont Calvaire, était gardée par de grand'gardes napolitaines. Du bivouac, on les voyait distinctement, et la ville paraissait remplie de troupes. Parco est immédiatement au-dessous du mont Calvaire, à deux kilomètres au plus de distance, et la route qui conduit de Palerme à Parco, Piano, etc., se déroule sur le versant de la chaîne de montagnes dont fait partie le mont Calvaire, qu'elle commence à gravir après avoir tourné Parco, passant à mi-hauteur de la montagne. L'armée avait grand besoin de repos, et quoique l'on manquât de bien des choses, on resta au bivouac jusqu'au 23. Vers le soir de ce dernier jour, les avant-postes s'engagèrent avec les grand'gardes napolitaines qui, descendues dans la vallée, avaient commencé à gravir le mont Calvaire. Après une fusillade insignifiante elles se retirèrent, et reprirent leurs premières positions.

      Le matin du 24, de bonne heure, à l'instant où l'armée nationale se mettait en mouvement, on aperçut sur la route de Palerme de profondes colonnes s'avançant sur Parco. En même temps on apprenait que les troupes qui étaient à Montreal exécutaient un mouvement tournant par le sommet de la montagne.

      On ne tarda pas en effet à apercevoir leurs têtes de colonnes descendant des plateaux élevés qui sont un peu plus loin que Parco, et qui se relient avec le mont Calvaire. L'ennemi menaçait l'aile gauche de Garibaldi: évidemment, son but était de la couper.

      Derrière les crêtes d'où descendait l'armée de Montreal se trouve une suite d'autres sommets qui se relient aussi aux premiers. Le général Garibaldi embrassa d'un seul coup d'oeil toute la situation. Ordre fut donné à l'aile gauche de tenir bon jusqu'à la dernière extrémité. Une section de deux pièces placées sur le mont Calvaire, une autre en batterie sur la route, prenaient à revers tout à la fois les colonnes venant de Palerme et celles de Montreal.

      L'affaire s'engagea vivement. Pendant ce temps, le général Garibaldi dérobait, grâce aux sinuosités de la montagne, la marche de son centre et de son aile droite, et, tournant la route vers Piano, il les lançait sur le versant des crêtes les plus élevées. Cette manoeuvre fut accomplie au pas gymnastique et avec une rapidité inouïe. Une heure ne s'était pas écoulée depuis le commencement de l'action, que la brigade venue de Montreal, qui attendait, pour aborder franchement l'armée garibaldienne, l'approche des colonnes venant de Palerme, voyait son aile droite compromise, et se trouvait elle-même presque entièrement tournée par le centre et l'aile droite de Garibaldi qui prenaient une position menaçante en arrière de ses lignes. Les Napolitains se hâtèrent alors de se replier, les uns sur Montreal, et les autres sur Palerme. De son côté, l'armée de Garibaldi se dirigeait, par une marche de flanc, sur Piano, où elle arriva à la nuit tombante. Chacun pensait que le général allait profiter de ce premier et important succès pour se porter rapidement en avant. Mais, à la stupéfaction générale, l'artillerie et les bagages reçurent l'ordre de se séparer du corps d'armée, et de filer grand train sur la route de Corleone, battant ainsi ostensiblement en retraite.

      Corleone est une petite ville située de l'autre côté des monts Mata-Griffone, à environ quarante à quarante-cinq kilomètres de Piano. Le colonel Orsini, suivant les instructions qu'il avait reçues, se mit immédiatement en marche, pendant que l'armée, à la faveur de la nuit, se dirigeait elle-même sur les forêts de Fienza qu'elle atteignait vers une heure du matin. Garibaldi savait en effet que le général commandant l'armée napolitaine avait réuni toutes ses troupes dans Palerme. La plus grande partie était massée dans la rue de Tolède et au Palazzo-Reale; d'autres étaient renfermées dans la citadelle; deux ou trois bataillons se trouvaient près du mont Pellegrini, et, enfin, une division entière gardait l'entrée de Palerme vers la route de Missilmeri et Abbate. Il fallait tromper cette division, et lui faire abandonner sa position pour suivre un ennemi qui paraissait fuir en désordre. C'était le rôle attribué au colonel Orsini. Garibaldi, de son côté, se dérobant par une marche de nuit dans les profondeurs des forêts de Fienza, tournait le mouvement de la colonne napolitaine de manière à arriver promptement aux positions que l'ennemi abandonnait.

      Ce projet, bien conçu, et encore mieux exécuté, réussit complètement.


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