Nouveaux contes bleus. Édouard Laboulaye

Nouveaux contes bleus - Édouard Laboulaye


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en été comme en hiver. Nous serons plus riches que le roi.

      Et, sans s'inquiéter des prières ni des reproches de sa femme, notre maître fou se mit à bâtir son étable, au grand étonnement des voisins.

      L'oeuvre achevée, le bonhomme passa une corde au cou de sa vache et la mena tout droit chez le curé. Il le trouva qui causait avec deux étrangers qu'il ne regarda guère, tant il était pressé de faire son cadeau et d'en recevoir le prix. Qui fut étonné de cette charité de nouvelle espèce, ce fut le pasteur. Il fit un long discours à cette brebis imbécile, pour lui démontrer que Notre-Seigneur n'avait jamais parlé que de récompenses spirituelles; peine perdue, le paysan répétait toujours: «Vous l'avez dit, monsieur le curé, vous l'avez dit.» Las enfin de raisonner avec une brute pareille, le pasteur entra dans une sainte colère et ferma sa porte au nez du paysan, qui resta dans la rue tout ébahi, répétant toujours: «Vous l'avez dit, monsieur le curé, vous l'avez dit.»

      Il fallut reprendre le chemin du logis; ce n'était pas chose facile. On était au printemps, la glace fondait, le vent soulevait la neige en tourbillons. A chaque pas l'homme glissait, la vache beuglait et refusait d'avancer. Au bout d'une heure, le paysan avait perdu son chemin et craignait de perdre la vie. Il s'arrêta tout perplexe, maudissant sa mauvaise fortune et ne sachant plus que faire de l'animal qu'il traînait. Tandis qu'il songeait tristement, un homme chargé d'un grand sac s'approcha de lui et lui demanda ce qu'il faisait là avec sa vache, et par un si mauvais temps.

      Quand le paysan lui eut raconté sa peine: «Mon brave homme, lui dit l'étranger, si j'ai un conseil à vous donner, c'est de faire un échange avec moi. Je demeure près d'ici; cédez-moi votre vache que vous ne ramènerez jamais chez vous, et prenez-moi ce sac; il n'est pas trop lourd, et tout ce qu'il contient est bon: c'est de la chair et des os.»

      Le marché fait, l'étranger emmena la vache avec lui; le paysan chargea sur son dos le sac, qu'il trouva terriblement pesant. Une fois rentré au logis, comme il craignait les reproches et les railleries de sa femme, il conta tout au long les dangers qu'il avait courus, et comment, en homme habile, il avait échangé une vache qui allait mourir contre un sac qui contenait des trésors. En écoutant cette belle histoire, la femme commença à montrer les dents; le mari la pria de garder pour elle sa mauvaise humeur, et de mettre dans l'âtre son plus grand pot-au-feu.—Tu verras ce que je t'apporte, lui répétait-il; attends un peu, tu me remercieras.

      Disant cela, il ouvrit le sac; et voilà que de cette profondeur sort un petit homme tout habillé de gris comme une souris.

      —Bonjour, braves gens, dit-il avec la fierté d'un prince! Ah ça, j'espère qu'au lieu de me faire bouillir vous allez me servir à manger. Cette petite course m'a donné un grand appétit.

      Le paysan tomba sur son escabeau, comme s'il était foudroyé.

      —Là, dit la femme, j'en étais sûre. Voici une nouvelle folie. Mais d'un mari que peut-on attendre sinon quelque sottise? Monsieur nous a perdu la vache qui nous faisait vivre, et maintenant que nous n'avons plus rien, monsieur nous apporte une bouche de plus à nourrir! Que n'es-tu resté sous la neige, toi, ton sac et ton trésor!

      La bonne dame parlerait encore, si le petit homme gris ne lui avait remontré par trois fois que les grands mots n'emplissent pas la marmite, et que le plus sage était d'aller en chasse et de chercher quelque gibier.

      Il sortit aussitôt, malgré la nuit, le vent et la neige, et revint au bout de quelque temps avec un gros mouton.

      —Tenez, dit-il, tuez-moi cette bête, et ne nous laissons pas mourir de faim.

      Le vieillard et sa femme regardèrent de travers le petit homme et sa proie. Cette aubaine, tombée des nues, sentait le vol d'une demi-lieue. Mais, quand la faim parle, adieu les scrupules! Légitime ou non, le mouton fut dévoré à belles dents.

      Dès ce jour, l'abondance régna dans la demeure du paysan. Les moutons succédaient aux moutons, et le bonhomme, plus crédule que jamais, se demandait s'il n'avait pas gagné au change, quand, au lieu des cent vaches qu'il attendait, le ciel lui avait envoyé un pourvoyeur aussi habile que le petit homme gris.

      Toute médaille a son revers. Tandis que les moutons se multipliaient dans la maison du vieillard, ils diminuaient à vue d'oeil dans le troupeau royal, qui paissait aux environs. Le maître berger, fort inquiet, prévint le roi que, depuis quelque temps, quoiqu'on redoublât de surveillance, les plus belles têtes du troupeau disparaissaient l'une après l'autre. Assurément quelque habile voleur était venu se loger dans le voisinage. Il ne fallut pas longtemps pour savoir qu'il y avait dans la cabanne du paysan un nouveau venu, tombé on ne sait d'où et que personne ne connaissait. Le roi ordonna aussitôt qu'on lui amenât l'étranger. Le petit homme gris partit sans sourciller; mais le paysan et sa femme commencèrent à sentir quelques remords en songeant qu'on pendait à la même potence les receleurs et les voleurs.

      Quand le petit homme gris parut à la cour, le roi lui demanda si par hasard il n'avait pas entendu dire qu'on avait volé cinq gros moutons au troupeau royal.

      —Oui, Majesté, répondit le petit homme, c'est moi qui les ai pris.

      —Et de quel droit? dit le prince.

      —Majesté, répondit le petit homme, je les ai pris parce qu'un vieillard et sa femme souffraient de la faim, tandis que vous, roi, vous nagez dans l'abondance et ne pouvez même pas consommer la dîme de vos revenus. Il m'a semblé juste que ces bonnes gens vécussent de votre superflu plutôt que de mourir de misère, tandis que vous ne savez que faire de votre richesse.

      Le roi resta stupéfait de tant de hardiesse; puis, regardant le petit homme d'une façon qui n'annonçait rien de bon:

      —A ce que je vois, lui dit-il, ton principal talent, c'est le vol.

      Le petit homme s'inclina avec une orgueilleuse modestie.

      —Fort bien, dit le roi. Tu mériterais d'être pendu, mais je te pardonne, à la condition que demain, à pareille heure, tu auras pris à mes pâtres mon taureau noir, que je leur fais soigneusement garder.

      —Majesté, répondit le petit homme gris, ce que vous me demandez est chose impossible. Comment voulez-vous que je trompe une pareille vigilance?

      —Si tu ne le fais, reprit le roi, tu seras pendu.

      Et, d'un signe de main, il congédia notre voleur, à qui chacun répétait tout bas: Pendu! pendu! pendu!

      Le petit homme gris retourna dans la cabane, où il fut tendrement reçu par le vieillard et sa femme. Mais il ne leur dit rien, sinon qu'il avait besoin d'une corde et qu'il partirait le lendemain au point du jour. On lui donna l'ancien licou de la vache; sur quoi il alla se coucher et dormit en paix.

      Aux premières lueurs de l'aurore, le petit homme gris partit avec sa corde. Il alla dans la forêt, sur le chemin où devaient passer les pâtres du roi, et, choisissant un gros chêne bien en vue, il se pendit par le cou à la plus grosse branche. Il avait eu grand soin de ne pas faire un noeud coulant.

      Bientôt après, deux pâtres arrivèrent, escortant le taureau noir.

      —Ah! dit l'un d'eux, voilà notre fripon qui a reçu sa récompense. Cette fois, du moins, il n'a pas volé son licou. Adieu, mon drôle, ce n'est pas toi qui prendras le taureau du roi.

      Dès que les pâtres furent hors de vue, le petit homme gris descendit de l'arbre, prit un chemin de traverse et s'accrocha de nouveau à un gros chêne près duquel passait la route. Qui fut surpris à l'aspect de ce pendu? ce furent les pâtres du roi.

      —Qu'est-ce là? dit l'un d'eux; ai-je la berlue? Voilà le pendu de là-bas qui se trouve ici!

      —Que tu es bête! dit l'autre. Comment veux-tu qu'un homme soit pendu en deux places à la fois? C'est un second voleur, voilà tout.

      —Je te dis que c'est le même, reprit le premier berger; je le reconnais à son habit et à sa grimace.

      —Et moi, reprit le second, qui était


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