Nouveaux contes bleus. Édouard Laboulaye

Nouveaux contes bleus - Édouard Laboulaye


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le petit homme gris sauta à bas de son gibet et mena tout doucement le taureau chez le paysan. Grande joie dans la maison; on mit la bête à l'étable en attendant qu'on la vendît.

      Quand les deux pâtres rentrèrent, le soir, au château, ils avaient l'oreille si basse et l'air si déconfit, que le roi vit de suite qu'on s'était joué de lui. Il envoya chercher le petit homme gris, qui se présenta avec la sérénité d'un grand coeur.

      —C'est toi qui m'as volé mon taureau, dit le roi.

      —Majesté, répondit le petit homme, je ne l'ai fait que pour vous obéir.

      —Fort bien, dit le roi; voici dix écus d'or pour le rachat de mon taureau; mais, si dans deux jours tu n'as pas volé les draps de mon lit tandis que j'y couche, tu seras pendu.

      —Majesté, dit le petit homme, ne me demandez pas une pareille chose. Vous êtes trop bien gardé pour qu'un pauvre homme tel que moi puisse seulement approcher du château.

      —Si tu ne le fais pas, dit le roi, j'aurai le plaisir de te voir pendu.

      Le soir venu, le petit homme gris, qui était rentré dans la chaumière, prit une longue corde et un panier. Dans ce panier garni de mousse, il plaça avec toute sa nichée une chatte qui venait d'avoir ses petits; puis, marchant au milieu de la plus sombre des nuits, il se glissa dans le château et monta sur le toit sans que personne l'aperçût.

      Entrer dans un grenier, scier proprement le plancher, et, par cette lucarne, descendre dans la chambre du roi, fut pour notre habile homme l'affaire de peu de temps. Une fois là, il ouvrit délicatement la couche royale et y plaça la chatte et ses petits; puis, il borda le lit avec soin, et, s'accrochant à la corde, il s'assit sur le baldaquin. C'est de ce poste élevé qu'il attendit les événements.

      Onze heures sonnaient à l'horloge du palais, quand le roi et la reine entrèrent dans leur appartement. Une fois déshabillés, tous deux se mirent à genoux et firent leur prière, puis le roi éteignit la lampe, la reine entra dans le lit.

      Tout d'un coup elle poussa un cri et se jeta au milieu de la chambre.

      —Êtes-vous folle? dit le roi. Allez-vous donner l'alarme au château?

      —Mon ami, dit la reine, n'entrez pas dans ce lit; j'ai senti une chaleur brûlante, et mon pied a touché quelque chose de velu.

      —Pourquoi ne pas dire de suite que le diable est dans mon lit? reprit le roi en riant de pitié. Toutes les femmes ont un coeur de lièvre et une tête de linotte.

      Sur quoi, en véritable héros, il s'enfonça bravement sous la couverture et sauta aussitôt en hurlant comme un damné, traînant après lui la chatte qui lui avait enfoncé ses quatre griffes dans le mollet.

      Aux cris du roi, la sentinelle s'approcha de la porte et frappa trois coups de sa hallebarde, comme pour demander si on avait besoin de secours.

      —Silence! dit le prince honteux de sa faiblesse, et qui ne voulait pas se laisser prendre en flagrant délit de peur.

      Il battit le briquet, ralluma la lampe et vit au milieu du lit la chatte, qui s'était remise à sa place et qui léchait tendrement ses petits.

      —C'est trop fort! s'écria-t-il; sans respect pour notre couronne, cet insolent animal se permet de choisir notre couche royale pour y déposer ses ordures et ses chats! Attends, drôlesse, je vais te traiter comme tu le mérites!

      —Elle va vous mordre, dit la reine; elle peut être enragée.

      —Ne craignez rien, chère amie, dit le bon prince; et, relevant les coins du drap de dessous, il enveloppa toute la nichée, puis il roula ce paquet dans la couverture et le drap de dessus, en fit une boule énorme, et la jeta par la fenêtre.

      —Maintenant, dit-il à la reine, passons dans votre chambre, et, puisque nous voilà vengés, dormons en paix.

      Dors, ô roi! et que des songes heureux bercent ton sommeil; mais, tandis que tu reposes, un homme grimpe sur le toit, y attache une corde et se laisse glisser jusque dans la cour. Il cherche à tâtons un objet invisible, il le charge sur son dos, le voilà qui franchit le mur et qui court dans la neige. Si l'on en croit les sentinelles, un fantôme a passé devant elles, et elles ont entendu les gémissements d'un enfant nouveau-né.

      Le lendemain, quand le roi s'éveilla, il rassembla ses idées et se mit à réfléchir pour la première fois. Il soupçonna qu'il avait été victime de quelque tricherie et que l'auteur du crime pourrait bien être le petit homme gris. Il l'envoya chercher aussitôt.

      Le petit homme arriva, portant sur l'épaule les draps fraîchement repassés; il mit un genou à terre devant la reine, et lui dit d'un ton respectueux:

      —Votre Majesté sait que tout ce que j'ai fait n'a été que pour obéir au roi; j'espère qu'elle sera assez bonne pour me pardonner.

      —Soit, dit la reine, mais n'y revenez plus. J'en mourrais de frayeur.

      —Et, moi, je ne pardonne pas, dit le roi, fort vexé que la reine se permît d'être clémente sans consulter son seigneur et maître. Écoute-moi, triple fripon. Si, demain soir, tu n'as pas volé la reine elle-même, dans son château, demain soir tu seras pendu.

      —Majesté, s'écrie le petit homme, faites-moi pendre tout de suite, vous m'épargnerez vingt-quatre heures d'angoisses. Comment voulez-vous que je vienne à bout d'une pareille entreprise? Il serait plus aisé de prendre la lune avec les dents.

      —C'est ton affaire et non la mienne, reprit le roi. En attendant, je vais faire dresser le gibet.

      Le petit homme sortit désespéré: il cachait sa tête dans ses deux mains et sanglotait à fendre le coeur; le roi riait pour la première fois.

      Vers la brume, un saint homme de capucin, le chapelet à la main, la besace sur le dos, vint, suivant l'usage, quêter au château pour son couvent. Quand la reine lui eut donné son aumône:

      —Madame, dit le capucin, Dieu reconnaîtra tant de charité. Demain, vous le savez, on pendra dans le château un malheureux bien coupable sans doute.

      —Hélas! dit la reine, je lui pardonne de grand coeur, et j'aurais voulu lui sauver la vie.

      —Cela ne se peut pas, dit le moine; mais cet homme, qui est une espèce de sorcier, peut vous faire un grand cadeau avant de mourir. Je sais qu'il possède trois secrets merveilleux dont un seul vaut un royaume. De ces trois secrets il peut en léguer un à celle qui a eu pitié de lui.

      —Quels sont ces secrets? demanda la reine.

      —En vertu du premier, répondit le capucin, une femme fait faire à son mari tout ce qu'elle veut.

      —Ah! dit la princesse en faisant la moue, ce n'est point une recette merveilleuse. Depuis Ève, de sainte mémoire, ce mystère est connu de mère en fille. Quel est le deuxième secret?

      —Le second secret donne la sagesse et la bonté.

      —Fort bien, dit la reine d'un ton distrait, et le troisième?

      —Le troisième, dit le capucin, assure à la femme qui le possède une beauté sans égale et le don de plaire jusqu'à son dernier jour.

      —Mon Père, c'est ce secret-là que je veux.

      —Rien n'est plus aisé, dit le moine. Il faut seulement qu'avant de mourir, et tandis qu'il est encore en pleine liberté, le sorcier vous prenne les deux mains et vous souffle trois fois dans les cheveux.

      —Qu'il vienne, dit la reine. Mon Père, allez le chercher.

      —Cela ne se peut pas, dit le capucin, le roi a donné les ordres les plus sévères pour que cet homme ne puisse entrer au château. S'il met les pieds dans cette enceinte, il est mort. Ne lui enviez pas les quelques heures qui lui restent.

      —Et moi, mon Père, le roi m'a défendu de sortir jusqu'à demain soir.

      —Cela


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