La destinée. Ages Lucie des

La destinée - Ages Lucie des


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fleur à la main, les autres avec un trousseau de clefs, symbole de leurs attributions de ménagères.

      On respirait dans cette pièce cette vague odeur de moisi et de renfermé, particulière aux anciennes maisons de province habitées depuis des siècles par des familles enserrées dans les humbles préoccupations d'une économie obligatoire ou voulue. Mme Martelac aérait pourtant l'appartement lorsque son fils venait à Poitiers; car d'ordinaire le salon restait fermé, la bonne dame se tenant dans sa chambre et y recevant ses connaissances intimes. Mais lorsque le docteur annonçait son arrivée, on permettait au soleil d'entrer et de venir caresser les murs tendus de papier à fleurs bleues que l'humidité faisait tourner au jaune ou au vert en certains endroits.

      Connaissant les goûts artistiques de son fils et ayant entrevu le luxe raffiné qui pénètre les plus sévères intérieurs parisiens, elle avait essayé de donner à cette pièce une apparence plus élégante. Sa tâche était difficile, surtout pour elle, dont la vie sévère et uniquement remplie par d'obscurs devoirs l'avait rendue inhabile en ces sortes de choses.

      Au-dessus de la cheminée, un grand christ attestait les idées chrétiennes de Mme Martelac; au-dessous étaient suspendues les photographies de son mari et de son fils. Devant la pendule à colonnes recouverte d'un globe, se voyait une petite statue de sainte Radegonde, reine de France et patronne de Poitiers, où son culte demeure populaire malgré la diminution de la foi dans notre temps.

      Certainement, l'aspect de ce salon était peu agréable, pour suite de sa nudité mesquine. Mais la paisible physionomie de Mme Martelac mettait un rayon adouci au milieu de cette pauvreté.

      - Ma mère, je vous présente mon ami, Jacques Hilleret, dit

       Robert en entrant.

      La tête de la maîtresse de maison, penchée sur son ouvrage, se releva et son sourire fut éclairé par la lumière de la lampe près de laquelle elle travaillait. Jacques ne vit plus cette pièce froide et sombre, mais seulement ce sourire bienveillant, et il se sentit immédiatement conquis.

      La mère du docteur était une femme de cinquante ans dont le visage presque diaphane laissait entrevoir au regard attentif une partie des privations et des souffrances qu'elle avait endurées. D'un caractère calme et fort, elle avait supporté les longues épreuves d'une vie difficile, non seulement sans se plaindre, mais sans paraître même les remarquer, courageusement, le regard vers Dieu, demandant peu de chose aux autres et beaucoup à elle-même. Bien qu'elle fût très intelligente, elle ne s'était jamais départie du rôle effacé que la plupart des femmes de sa classe jouent dans la famille. Son mari, très inférieur à elle sous le rapport de l'instruction, ne s'en était jamais douté, tant il avait confiance en lui et tant elle savait mettre d'affectueuse humilité à entretenir cette confiance.

      - Pardonnez-moi de me présenter à pareille heure, Madame, dit Jacques en s'avançant dans le cercle de lumière circonscrit par l'abat-jour de la lampe. Arrivé dans la journée, je me promenais avant d'aller me renfermer dans une chambre d'hôtel lorsque j'ai eu le bonheur de rencontrer Robert. Il a insisté pour m'amener ici et je me suis laissé tenter.

      Mme Martelac tendit la main au jeune homme:

      - Je suis enchantée de vous recevoir, Monsieur, et Robert sait combien je suis heureuse de faire la connaissance d'un ami dont je lui ai souvent entendu prononcer le nom.

      Elle pria son fils de sonner afin de prévenir Catherine qu'elle eût à préparer la chambre du lieutenant.

      - Je ne sais si vous vous trouverez mieux chez moi que dans une chambre d'hôtel, mais, du moins, vous dormirez sous un toit ami.

      - Demain, afin de ne pas abuser de votre hospitalité, Madame, dit Jacques, je me mettrai en quête d'un logement; mais je suis on ne peut plus reconnaissant d'échapper ce soir à la banalité de l'hôtel, grâce à votre aimable invitation. Dans notre vie de campements souvent transportés d'une endroit à l'autre, c'est un vrai plaisir pour nous de saisir au passage une soirée de famille.

      - Peut-être trouvera-t-on à te loger dans nos environs, dit le docteur.

      - Il y a un petit appartement à louer chez Nicolas Larousse, le marchand de vieux meubles, dit Mme Martelac. J'ai vu l'affiche ces jours-ci en passant.

      - C'est assez près de nous, au bas de la rue. Si tu veux, Jacques, nous pourrons aller voir ensemble s'il te convient? demanda Robert.

      - Volontiers. Je serai heureux d'habiter dans votre voisinage.

      - Mais rien ne presse, reprit la maîtresse de la maison. Restez avec nous jusqu'à ce que vous trouviez à vous caser à votre fantaisie.

      A peine les deux jeunes gens étaient-ils dans le salon qu'on sonna de nouveau à la porte de la rue, et un instant après une jeune fille, grande, belle et fraîche comme la jeunesse elle-même, entra dans l'appartement. Elle embrassa Mme Martelac en la nommant sa tante, donna une poignée de main à Robert, dont le regard se leva vers elle avec une expression qui n'échappa point à Jacques et salua celui-ci, tandis que la mère du docteur les présentait l'un à l'autre.

      Comme vous avez bien fait de venir, Anne! dit Robert en s'empressant pour lui offrir un fauteuil.

      - Mon père m'a amenée en allant à son cercle. Je n'étais pas à la maison tantôt quand vous y êtes venu et j'ai voulu vous voir un moment ce soir.

      Le visage du docteur s'illumina à cette réponse, et profitant d'un moment où Mme Martelac détournait l'attention du lieutenant en lui adressant une question, il se pencha vers sa voisine et demanda à voix basse:

      - Vous êtes venue pour moi, alors? Merci, Anne.

      Celle-ci sourit sans répondre et ses grands yeux bleus se détournèrent du regard reconnaissant qu'ils semblaient refuser de comprendre.

      La soirée se passa gaiement jusqu'au moment où M. Duplay vint reprendre sa fille. Anne plaisantait, causait, brillait et paraissait ravie. Les yeux de Jacques s'arrêtaient involontairement sur ce beau visage resplendissant, et la jeune fille, à laquelle n'échappait point cette admiration, semblait l'agréer comme un tribut auquel elle était accoutumée.

      - Ma tante, dit-elle tout à coup, mon père consent à m'emmener à Royan cette année. Nous y passerons un mois et je suis en ce moment fort occupée de mes toilettes.

      - Ceci est une grave question! dit Mme Martelac en souriant.

      - Oh! très grave, répéta Anne en frappant ses deux mains l'une contre l'autre.

      - Ne serez-vous pas toujours la plus belle? dit Robert, regardant le fin visage auquel la lumière laissait des ombres adoucies et vaporeuses.

      Un sourire le remercia de ce compliment échappé à sa gravité habituelle.

      - Peut-être! répondit Anne, avec un doute mélangé pourtant d'une naïve confiance. Toutefois, il faut venir en aide à la nature et j'ai passé de longues heures à combiner mes costumes.

      - Et qu'as-tu choisi, chère enfant?

      - Une toilette rose, une bleue et une… Oh! mais je n'ose pas vous le dire! Cela va vous sembler absurde.

      En disant ce dernier mot, elle parut s'adresser, non pas à Mme Martelac, à laquelle elle répondait, mais à Robert. Penché devant elle et paraissant sous le charme, il écoutait à peine le babillage de sa cousine, absorbé qu'il était par la contemplation de sa beauté. Il revint à lui en voyant son regard devenu subitement interrogateur.

      - N'est-ce pas, Robert, vous allez blâmer mon goût?

      - Pourquoi cela?

      - Parce que vous êtes la raison même, vous! dit-elle avec une légère expression de raillerie.

      - Eh bien! la troisième? demanda Mme Martelac.

      - La troisième est rouge des pieds à la tête! Et même au-dessus de la tête, car l'ombrelle est assortie. Robe, chapeau, voile, tout d'un rouge éclatant! Ce sera délicieux!

      -


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