La destinée. Ages Lucie des

La destinée - Ages Lucie des


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nous nous sommes décidés à ouvrir et votre rire de toute à l'heure nous a amenés vers vous.

      - Comme vous êtes belle! dit Jacques en montrant du doigt le collier de l'enfant. Vous êtes couverte de bijoux comme les fées des contes enfantins.

      La comparaison, en ce moment, semblait juste. Debout, car elle avait enfin quitté l'abri des coussins pour répondre à Robert, elle retenait autour d'elle l'étoffe aux vives couleurs avec sa main chargée de bracelets trop grands pour son poignet délicat. Sa chevelure, à travers laquelle glissaient les épingles de corail qui l'avaient retenue, tombait sur ses épaules et elle regardait, de ses grands yeux sauvages et encore effrayés, les deux jeunes gens étonnés. A la remarque de Jacques, elle tourna les yeux vers la glace et dit:

      - Mon grand-père a tant de choses comme celles-là!

      - Il est donc riche?

      - Oui, je pense. Il doit l'être, il aime beaucoup l'argent et en amasse le plus possible.

      Puis, oubliant un instant sa timidité pour raconter le secret surpris:

      - Tenez, là, ajouta-t-elle en montrant la direction dans laquelle se trouvait le cabinet de Nicolas, il a beaucoup d'or. Il ne croit pas que je le sais, car il se plaint toujours devant moi et ne cesse de m'engager à économiser sur notre nourriture. Un soir qu'il me croyait endormie, je suis venue doucement pour savoir ce qu'il faisait; j'ai vu la lueur de sa lampe à travers la porte entrebâillée et je me suis avancée. Assis devant un grand coffre où il y avait des billets et des pièces d'or, il mettait les pièces en piles, les comptait et les remettait dans la caisse.

      - Rit-il souvent? demanda Robert, frappé de l'expression sérieuse de cette figure enfantine.

      - Jamais, dit Sarah en secouant la tête.

      - Vous aime-t-il?

      - Je ne sais pas.

      L'aimer? Elle? Qui donc l'avait aimée? Peut-être celle à laquelle elle avait donné le dom de mère. Encore, Sarah n'avait aucun souvenir de ces expansives tendresses par lesquelles tant de jeunes têtes se trouvent entourées, mais seulement d'un amour glacé, souvent dur, tel que peuvent l'éprouver les créatures inférieures dont l'instinct maternel consiste à sauvegarder la vie de ceux auxquels elles ont donné le jour.

      Puis la mort était venue fermer cette source avare et sa main enfantine placée dans la main desséchée de Nicolas, elle avait commencé à marcher dans cette vie dont les duretés imprévues avaient imprégné ses regards d'une tristesse singulière.

      Tout en parlant, elle enlevait le collier, les bracelets et les épingles piquées dans ses cheveux; alors, elle laissa retomber à ses pieds l'étoffe rayée dont son innocente vanité s'était fait une toilette fantaisiste et parut revêtue de ses misérables vêtements, absolument comme l'héroïne des contes de Perrault, subitement dépouillée des riches parures dues à la baguette magique de sa marraine.

      Sarah était petite, même pour son âge. Mais ses membres délicats parfaitement modelés, sa taille gracieuse, son teint d'une blancheur mate sous laquelle on voyait par instant glisser un sang pâle qui donnait à ses joues une teinte rosée, ses yeux grands et intelligents, si lumineux qu'on les eût dits parfois pailletés d'or, tout cela en faisait une jolie enfant, malgré les vêtements misérables dont elle était revêtue. Ce fut l'avis des deux jeunes gens, et Jacques murmura à l'oreille de son ami:

      - Elle a du feu dans les yeux, cette enfant, sous la couche de tristesse qui semble leur être habituelle. Puis, quelle délicatesse de teint! On dirait une petite rose de Bengale, à mesure que ses joues se colorent sous l'empire de la timidité. Ne voilà-t-il pas un délicieux modèle de jeune princesse! Car il n'y a pas à dire, la petite-fille de ce vieux grippe-sou ne déparerait [pas] les marches d'un trône!

      Le docteur sourit. Mais remarquant le regard inquiet de Sarah en voyant remuer les lèvres du lieutenant, dont elle ne pouvait entendre les paroles, il ne répondit pas à ses remarques et dit en s'adressant à l'enfant:

      - Il y a ici une chambre à louer, nous sommes venus la visiter. Voulez-vous nous la montrer?

      - Volontiers. Elle est de l'autre côté de la cour. Suivez-moi.

      Les guidant, elle leur fit parcourir de longs corridors tortueux, monter un escalier et ouvrit une porte dont la clef était dans la serrure. La pièce dans laquelle ils entrèrent précédait une grande chambre gaie, bien aérée, donnant sur le boulevard et à laquelle on avait accès par un second escalier ouvrant directement dans la cour.

      Lorsque Robert et Jacques sortirent de chez le marchand d'antiquités, le premier dit en regardant interrogativement son ami:

      - Eh bien?

      - Ce logement me convient, je m'en contenterai si ce brave homme ne m'étrangle pas trop.

      - Ce brave homme, comme tu dis, t'étranglera autant qu'il le pourra, attendu qu'il est juif ou à peu près, à ce qu'il paraît, et cette qualité lui concède le droit de pressurer de son mieux les honnêtes chrétiens qui ont affaire à lui. Toutefois, si juif qu'il soit, il ne peut avoir la prétention de te demander une somme folle pour la location de ce palais.

      - Palais en rapport avec mon opulence! reprit le jeune lieutenant en riant. Sais-tu que ce fils d'Israël me paraît devoir être riche? ajouta-t-il.

      - Tu vois ce que nous a dit sa petite-fille.

      - Si son vieil avare de grand-père l'avait entendue!

      - Pourquoi?

      - Comment, pourquoi? Ne vois-tu pas qu'il y a de quoi faire venir l'eau à la bouche d'un voleur? Des monceaux d'or derrière la porte qu'elle nous a montrée! Ah! si j'étais voleur!

      - Heureusement, tu n'exerces pas cette honorable profession. Espérons qu'elle ne fera cette confidence qu'à d'honnêtes gens comme nous.

       Table des matières

      Jacques Hilleret, lieutenant au 33e régiment de ligne, en garnison à Poitiers, et Robert Martelac, docteur en médecine, étaient deux amis de collège, bien que le second fût un peu plus âgé que le jeune officier.

      Lorsque Jacques était arrivé en pension, il avait une douzaine d'années; son visage pâle et maladif, son air timide, le désignaient tout naturellement comme victime aux plaisanteries inconsciemment cruelles parfois des autres enfants de sa classe. On se trouvait en été et les élèves prenaient leurs récréations dans la cour, les petits d'un côté et les grands de l'autre, sans qu'aucune séparation les empêchât de se confondre souvent dans l'ardeur du jeu.

      Un matin de juillet, Robert et quelques jeunes gens de son âge se promenaient en causant sous une rangée d'arbres rabougris plantés à une petite distance du mur. Le soleil, en ce moment très élevé, tombait d'aplomb sur cette immense cour, dans laquelle l'ombre de ces arbres jetait la seule note adoucie au milieu de la lumière brûlante réfléchie de tous les côtés par les hautes murailles. Resserrés les uns contre les autres et couverts d'une couche de poussière sous laquelle leur feuillage avait une teinte sale, on eût dit qu'ils boudaient contre leur sort et consentaient à regret à égayer la cour d'un établissement que tant d'enfants, habitués aux gâteries du foyer paternel, considéraient comme une prison.

      Depuis un instant, les regards de Robert s'étaient arrêtés sur un groupe d'élève acharnés autour de Jacques. Celui-ci, debout contre le mur, sur lequel sa fluette petite personne s'appuyait, avait une expression dans laquelle la crainte se mêlait à une impuissante colère à la vue du nombre grossissant de ses adversaires.

      - Lâches! lâches! criait-il tandis que ses mains faibles et tremblantes essayaient vainement de les repousser.

      Son poing, dirigé au hasard, s'abattit sur une tête brune qui se redressa en riant d'un air


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