Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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pas. Je réfléchis.

      – Il s’agit bien de réfléchir ! Il faut voir d’abord. Il faut étudier les faits, chercher les indices, établir les points de repère. C’est après que, par la réflexion, on coordonne tout cela et que l’on découvre la vérité.

      – Oui, je sais… c’est la méthode usuelle… la bonne sans doute. Moi, j’en ai une autre… je réfléchis d’abord, je tâche avant tout de trouver l’idée générale de l’affaire, si je peux m’exprimer ainsi. Puis j’imagine une hypothèse raisonnable, logique, en accord avec cette idée générale. Et c’est après, seulement, que j’examine si les faits veulent bien s’adapter à mon hypothèse.

      – Drôle de méthode et rudement compliquée !

      – Méthode sûre, monsieur Filleul, tandis que la vôtre ne l’est pas.

      – Allons donc, les faits sont les faits.

      – Avec des adversaires quelconques, oui. Mais pour peu que l’ennemi ait quelque ruse, les faits sont ceux qu’il a choisis. Ces fameux indices sur lesquels vous bâtissez votre enquête, il fut libre, lui, de les disposer à son gré. Et vous voyez alors, quand il s’agit d’un homme comme Lupin, où cela peut vous conduire, vers quelles erreurs et quelles inepties ! Sholmès lui-même est tombé dans le piège.

      – Arsène Lupin est mort.

      – Soit. Mais sa bande reste, et les élèves d’un tel maître sont des maîtres eux-mêmes.

      M. Filleul prit Isidore par le bras, et l’entraînant :

      – Des mots, jeune homme. Voici qui est plus important. Écoutez bien. Ganimard, retenu à Paris à l’heure actuelle, n’arrive que dans quelques jours. D’autre part, le comte de Gesvres a télégraphié à Herlock Sholmès, lequel a promis son concours pour la semaine prochaine. Jeune homme, ne pensez-vous pas qu’il y aurait quelque gloire à dire à ces deux célébrités, le jour de leur arrivée : « Mille regrets, chers messieurs, mais nous n’avons pu attendre davantage. La besogne est finie » ?

      Il était impossible de confesser son impuissance avec plus d’ingéniosité que ne le faisait ce bon M. Filleul. Beautrelet réprima un sourire et, affectant d’être dupe, répondit :

      – Je vous avouerai, Monsieur le juge d’instruction, que, si je n’ai pas assisté tantôt à votre enquête, c’était dans l’espoir que vous consentiriez à m’en communiquer les résultats. Voyons, que savez-vous ?

      – Eh bien ! voici. Hier soir, à 11 heures, les trois gendarmes que le brigadier Quevillon avait laissés de faction au château, recevaient dudit brigadier un petit mot les appelant en toute hâte à Ouville où se trouve leur brigade. Ils montèrent aussitôt à cheval, et quand ils arrivèrent…

      – Ils constatèrent qu’ils avaient été joués, que l’ordre était faux et qu’ils n’avaient plus qu’à retourner à Ambrumésy.

      – C’est ce qu’ils firent, sous la conduite du brigadier. Mais leur absence avait duré une heure et demie, et pendant ce temps, le crime avait été commis.

      – Dans quelles conditions ?

      – Dans les conditions les plus simples. Une échelle empruntée aux bâtiments de la ferme fut apposée contre le second étage du château. Un carreau fut découpé, une fenêtre ouverte. Deux hommes, munis d’une lanterne sourde, pénétrèrent dans la chambre de Mlle de Gesvres et la bâillonnèrent avant qu’elle n’ait eu le temps d’appeler. Puis, l’ayant attachée avec des cordes, ils ouvrirent très doucement la porte de la chambre où dormait Mlle de Saint-Véran. Mlle de Gesvres entendit un gémissement étouffé, puis le bruit d’une personne qui se débat. Une minute plus tard, elle aperçut les deux hommes qui portaient sa cousine également liée et bâillonnée. Ils passèrent devant elle et s’en allèrent par la fenêtre. Épuisée, terrifiée, Mlle de Gesvres s’évanouit.

      – Mais les chiens ? M. de Gesvres n’avait-il pas acheté deux molosses ?

      – On les a retrouvés morts, empoisonnés.

      – Mais par qui ? Personne ne pouvait les approcher.

      – Mystère ! Toujours est-il que les deux hommes ont traversé sans encombre les ruines et sont sortis par la fameuse petite porte. Ils ont franchi le bois-taillis, en contournant les anciennes carrières… Ce n’est qu’à cinq cents mètres du château, au pied de l’arbre appelé le Gros-Chêne, qu’ils se sont arrêtés… et qu’ils ont mis leur projet à exécution.

      – Pourquoi, s’ils étaient venus avec l’intention de tuer Mlle de Saint-Véran, ne l’ont-ils pas frappée dans sa chambre ?

      – Je ne sais. Peut-être l’incident qui les a déterminés ne s’est-il produit qu’à leur sortie du château. Peut-être la jeune fille avait-elle réussi à se débarrasser de ses liens. Ainsi, pour moi, l’écharpe ramassée avait servi à lui attacher les poignets. En tout cas, c’est au pied du Gros-Chêne qu’ils ont frappé. Les preuves que j’ai recueillies sont irréfutables…

      – Mais le corps ?

      – Le corps n’a pas été retrouvé, ce qui d’ailleurs ne saurait nous surprendre outre mesure. La piste suivie m’a conduit, en effet, jusqu’à l’église de Varengeville, à l’ancien cimetière suspendu au sommet de la falaise. Là, c’est le précipice… un gouffre de plus de cent mètres. Et, en bas, les rochers, la mer. Dans un jour ou deux, une marée plus forte ramènera le corps sur la grève.

      – Évidemment, tout cela est fort simple.

      – Oui, tout cela est fort simple et ne m’embarrasse pas. Lupin est mort, ses complices l’ont appris et pour se venger, ainsi qu’ils l’avaient écrit, ils ont assassiné Mlle de Saint-Véran, ce sont là des faits qui n’avaient même pas besoin d’être contrôlés. Mais Lupin ?

      – Lupin ?

      – Oui, qu’est-il devenu ? Tout probablement, ses complices ont enlevé son cadavre en même temps qu’ils emportaient la jeune fille, mais quelle preuve avons-nous de cet enlèvement ? Aucune. Pas plus que de son séjour dans les ruines, pas plus que de sa mort ou de sa vie. Et c’est là tout le mystère, mon cher Beautrelet. Le meurtre de Mlle Raymonde n’est pas un dénouement. Au contraire, c’est une complication. Que s’est-il passé depuis deux mois au château d’Ambrumésy ? Si nous ne déchiffrons pas cette énigme, d’autres vont venir qui nous brûleront la politesse.

      – Quel jour vont-ils venir, ces autres ?

      – Mercredi… mardi, peut-être…

      Beautrelet sembla faire un calcul, puis déclara :

      – Monsieur le juge d’instruction, nous sommes aujourd’hui samedi. Je dois rentrer au lycée lundi soir. Eh bien ! lundi matin, si vous voulez être ici à dix heures, je tâcherai de vous le révéler, le mot de l’énigme.

      – Vraiment, monsieur Beautrelet… vous croyez ? Vous êtes sûr ?

      – Je l’espère, du moins.

      – Et maintenant, où allez-vous ?

      – Je vais voir si les faits veulent bien s’accommoder à l’idée générale que je commence à discerner.

      – Et s’ils ne s’accommodent pas ?

      – Eh bien Monsieur le juge d’instruction, ce sont eux qui auront tort, dit Beautrelet en riant, et j’en chercherai d’autres plus dociles. À lundi, n’est-ce pas ?

      – À lundi.

      Quelques minutes après, M. Filleul roulait vers Dieppe, tandis qu’Isidore, muni d’une bicyclette que lui avait prêtée le comte de Gesvres, filait sur la route de Yerville et de Caudebec-en-Caux.

      Il y avait un point sur lequel le jeune homme tenait à se faire avant tout une opinion nette, parce que ce point lui semblait justement le point


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