Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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      – Du toc, du carton-pâte !

      – Ah ! ça… est-ce possible ?

      – Du soufflé ! Du vide ! Du néant !

      Le comte se baissa et ramassa un débris de statuette.

      – Regardez bien, Monsieur le comte… du plâtre ! Du plâtre patiné, moisi, verdi comme de la pierre ancienne… mais du plâtre, des moulages de plâtre… voilà tout ce qui reste du pur chef-d’œuvre… voilà ce qu’ils ont fait en quelques jours !… Voilà ce que le sieur Charpenais, le copiste des Rubens, a préparé, il y a un an.

      À son tour, il saisit le bras de M. Filleul.

      – Qu’en pensez-vous, Monsieur le juge d’instruction ? Est-ce beau ? est-ce énorme ? gigantesque ? la chapelle enlevée ! Toute une chapelle gothique recueillie pierre par pierre ! Tout un peuple de statuettes, captivé ! Et remplacé par des bonshommes en stuc ! Un des plus magnifiques spécimens d’une époque d’art incomparable, confisqué ! la Chapelle-Dieu, enfin, volée ! N’est-ce pas formidable ! Ah ! Monsieur le juge d’instruction, quel génie que cet homme !

      – Vous vous emballez, monsieur Beautrelet.

      – On ne s’emballe jamais trop, Monsieur, quand il s’agit de pareils individus. Tout ce qui dépasse la moyenne vaut qu’on l’admire. Et celui-là plane au-dessus de tout. Il y a dans ce vol une richesse de conception, une force, une puissance, une adresse et une désinvolture qui me donnent le frisson.

      – Dommage qu’il soit mort, ricana M. Filleul… sans quoi il eût fini par voler les tours de Notre-Dame.

      Isidore haussa les épaules.

      – Ne riez pas, Monsieur. Même mort, celui-là vous bouleverse.

      – Je ne dis pas… monsieur Beautrelet, et j’avoue que ce n’est pas sans une certaine émotion que je m’apprête à le contempler… si toutefois ses camarades n’ont pas fait disparaître son cadavre.

      – Et en admettant surtout, remarqua le comte de Gesvres, que ce fut bien lui que blessa ma pauvre nièce.

      – Ce fut bien lui, Monsieur le comte, affirma Beautrelet, ce fut bien lui qui tomba dans les ruines sous la balle que tira Mlle de Saint-Véran ; ce fut lui qu’elle vit se relever, et qui retomba encore, et qui se traîna vers la grande arcade pour se relever une dernière fois – cela par un miracle dont je vous donnerai l’explication tout à l’heure – et parvenir jusqu’à ce refuge de pierre… qui devait être son tombeau.

      Et de sa canne, il frappa le seuil de la chapelle.

      – Hein ? Quoi ? s’écria M. Filleul stupéfait… son tombeau ?… Vous croyez que cette impénétrable cachette…

      – Elle se trouve ici… là…, répéta-t-il.

      – Mais nous l’avons fouillée.

      – Mal.

      – Il n’y a pas de cachette ici, protesta M. de Gesvres. Je connais la chapelle.

      – Si, Monsieur le comte, il y en a une. Allez à la mairie de Varengeville, où l’on a recueilli tous les papiers qui se trouvaient dans l’ancienne paroisse d’Ambrumésy, et vous apprendrez, par ces papiers datés du XVIIIe siècle, qu’il existait sous la chapelle une crypte. Cette crypte remonte, sans doute, à la chapelle romane, sur l’emplacement de laquelle celle-ci fut construite.

      – Mais, comment Lupin aurait-il connu ce détail ? demanda M. Filleul.

      – D’une façon fort simple, par les travaux qu’il dut exécuter pour enlever la chapelle.

      – Voyons, voyons, monsieur Beautrelet, vous exagérez… Il n’a pas enlevé toute la chapelle. Tenez, aucune de ces pierres d’assise n’a été touchée.

      – Évidemment, il n’a moulé et il n’a pris que ce qui avait une valeur artistique, les pierres travaillées, les sculptures, les statuettes, tout le trésor des petites colonnes et des ogives ciselées. Il ne s’est pas occupé de la base même de l’édifice. Les fondations restent.

      – Par conséquent, monsieur Beautrelet, Lupin n’a pu pénétrer jusqu’à la crypte.

      À ce moment, M. de Gesvres, qui avait appelé l’un de ses domestiques, revenait avec la clef de la chapelle. Il ouvrit la porte. Les trois hommes entrèrent.

      Après un instant d’examen, Beautrelet reprit :

      – … Les dalles du sol, comme de raison, ont été respectées. Mais il est facile de se rendre compte que le maître-autel n’est plus qu’un moulage. Or, généralement, l’escalier qui descend aux cryptes s’ouvre devant le maître-autel et passe sous lui.

      – Vous en concluez ?

      – J’en conclus que c’est en travaillant là que Lupin a trouvé la crypte.

      À l’aide d’une pioche que le comte envoya chercher, Beautrelet attaqua l’autel. Les morceaux de plâtre sautaient de droite et de gauche.

      – Fichtre, murmura M. Filleul, j’ai hâte de savoir…

      – Moi aussi, dit Beautrelet, dont le visage était pâle d’angoisse.

      Il précipita ses coups. Et soudain, sa pioche qui, jusqu’ici, n’avait point rencontré de résistance, se heurta à une matière plus dure, et rebondit. On entendit comme un bruit d’éboulement, et ce qui restait de l’autel s’abîma dans le vide à la suite du bloc de pierre que la pioche avait frappé. Beautrelet se pencha. Il fit flamber une allumette et la promena sur le vide :

      – L’escalier commence plus en avant que je ne pensais, sous les dalles de l’entrée, presque. J’aperçois les dernières marches.

      – Est-ce profond ?

      – Trois ou quatre mètres… Les marches sont très hautes… et il en manque.

      – Il n’est pas vraisemblable, dit M. Filleul, que pendant la courte absence des trois gendarmes, alors qu’on enlevait Mlle de Saint-Véran, il n’est pas vraisemblable que les complices aient eu le temps d’extraire le cadavre de cette cave… Et puis, pourquoi l’eussent-ils fait, d’ailleurs ? Non, pour moi, il est là.

      Un domestique leur apporta une échelle que Beautrelet introduisit dans l’excavation et qu’il planta, en tâtonnant, parmi les décombres tombés. Puis il en maintint vigoureusement les deux montants.

      – Voulezvous descendre, monsieur Filleul ?

      Le juge d’instruction, muni d’une bougie, s’aventura. Le comte de Gesvres le suivit. À son tour Beautrelet posa le pied sur le premier échelon.

      Il y en avait dix-huit qu’il compta machinalement, tandis que ses yeux examinaient la crypte où la lueur de la bougie luttait contre les lourdes ténèbres. Mais, en bas, une odeur violente, immonde, le heurta, une de ces odeurs de pourriture dont le souvenir, par la suite, vous obsède. Oh ! Cette odeur, il en eut le cœur qui chavira…

      Et tout à coup, une main tremblante lui agrippa l’épaule.

      – Eh bien ! quoi ? Qu’y a-t-il ?

      – Beautrelet, balbutia M. Filleul.

      Il ne pouvait parler, étreint par l’épouvante.

      – Voyons, Monsieur le juge d’instruction, remettez-vous…

      – Beautrelet… il est là…

      – Hein ?

      – Oui… il y avait quelque chose sous la grosse pierre qui s’est détachée de l’autel… j’ai poussé la pierre… et j’ai touché… Oh je n’oublierai jamais…

      – Où est-il ?

      – De ce côté… Sentez-vous cette odeur ?… et puis, tenez… regardez…

      Il


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