Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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les avait déchargés sur une autre automobile qui avait traversé la Seine en amont ou en aval de Caudebec. En aval, le premier bac était celui de Quillebeuf, passage fréquenté, par conséquent dangereux. En amont, il y avait le bac de La Mailleraye, gros bourg isolé, en dehors de toute communication.

      Vers minuit, Isidore avait franchi les dix-huit lieues qui le séparaient de la Mailleraie, et frappait à la porte d’une auberge située au bord de l’eau. Il y couchait, et dès le matin, interrogeait les matelots du bac. On consulta le livre des passagers. Aucune automobile n’avait passé jeudi le 23 avril.

      – Alors, une voiture à chevaux ? insinua Beautrelet, une charrette ? un fourgon ?

      – Non plus.

      Toute la matinée, Isidore s’enquit. Il allait partir pour Quillebeuf, quand le garçon de l’auberge où il avait couché lui dit :

      – Ce matin-là, j’arrivais de mes treize jours, et j’ai bien vu une charrette, mais elle n’a pas passé.

      – Comment ?

      – Non. On l’a déchargée sur une sorte de bateau plat, de péniche, comme ils disent, qui était amarrée au quai.

      – Et cette charrette, d’où venait-elle ?

      – Oh ! je l’ai bien reconnue. C’était à maître Vatinel, le charretier.

      – Qui demeure ?

      – Au hameau de Louvetot.

      Beautrelet regarda sa carte d’état-major. Le hameau de Louvetot était situé au carrefour de la route d’Yvetot à Caudebec et d’une petite route tortueuse qui s’en venait à travers bois jusqu’à la Mailleraie !

      Ce n’est qu’à six heures du soir qu’Isidore réussit à découvrir dans un cabaret maître Vatinel, un de ces vieux Normands finauds qui se tiennent toujours sur leurs gardes, qui se méfient de l’étranger, mais qui ne savent pas résister à l’attrait d’une pièce d’or et à l’influence de quelques petits verres.

      – Bien oui, Monsieur, ce matin-là, les gens à l’automobile m’avaient donné rendez-vous à cinq heures au carrefour. Ils m’ont remis quatre grandes machines, hautes comme ça. Il y en a un qui m’a accompagné. Et nous avons porté la chose jusqu’à la péniche.

      – Vous parlez d’eux comme si vous les connaissiez déjà.

      – Je vous crois que je les connaissais ! C’était la sixième fois que je travaillais pour eux.

      Isidore tressaillit.

      – Vous dites la sixième fois ?… Et depuis quand ?

      – Mais tous les jours d’avant celui-là, parbleu ! Mais alors, c’étaient d’autres machines… des gros morceaux de pierre… ou bien des plus petites assez longues qu’ils avaient enveloppées et qu’ils portaient comme le saint sacrement. Ah ! Fallait pas y toucher à celles-là… Mais qu’est-ce que vous avez ? Vous êtes tout blanc.

      – Ce n’est rien… la chaleur…

      Beautrelet sortit en titubant. La joie, l’imprévu de la découverte l’étourdissaient.

      Il s’en retourna tout tranquillement, coucha le soir au village de Varengeville, passa, le lendemain matin, une heure à la mairie avec l’instituteur, et revint au château. Une lettre l’y attendait aux bons soins de M. le comte de Gesvres.

      Elle contenait ces lignes :

       Deuxième avertissement. Tais-toi. Sinon…

      – Allons, murmura-t-il, il va falloir prendre quelques précautions pour ma sûreté personnelle. Sinon, comme ils disent…

      Il était neuf heures ; il se promena parmi les ruines, puis s’allongea près de l’arcade et ferma les yeux.

      – Eh bien ! Jeune homme, êtes-vous content de votre campagne ?

      C’était M. Filleul qui arrivait à l’heure fixée.

      – Enchanté, Monsieur le juge d’instruction.

      – Ce qui veut dire ?

      – Ce qui veut dire que je suis prêt à tenir ma promesse, malgré cette lettre qui ne m’y engage guère.

      Il montra la lettre à M. Filleul.

      – Bah ! des histoires, s’écria celui-ci, et j’espère que cela ne vous empêchera pas…

      – De vous dire ce que je sais ? Non, Monsieur le juge d’instruction. J’ai promis : je tiendrai. Avant dix minutes, nous saurons… une partie de la vérité.

      – Une partie ?

      – Oui, à mon sens, la cachette de Lupin, cela ne constitue pas tout le problème. Mais pour la suite, nous verrons.

      – Monsieur Beautrelet, rien ne m’étonne de votre part. Mais comment avez-vous pu découvrir ?…

      – Oh ! tout naturellement. Il y a dans la lettre du sieur Harlington à M. Étienne de Vaudreix, ou plutôt à Lupin…

      – La lettre interceptée ?

      – Oui. Il y a une phrase qui m’a toujours intrigué. C’est celle-ci : « À l’envoi des tableaux, vous joindrez le reste, si vous pouvez réussir, ce dont je doute fort. »

      – En effet, je me souviens.

      – Quel était ce reste ? Un objet d’art, une curiosité ? Le château n’offrait rien de précieux que les Rubens et les tapisseries. Des bijoux ? Il y en a fort peu et de valeur médiocre. Alors quoi ? Et, d’autre part, pouvait-on admettre que des gens comme Lupin, d’une habileté aussi prodigieuse, n’eussent pas réussi à joindre à l’envoi ce reste, qu’ils avaient évidemment proposé ? Entreprise difficile, c’est probable, exceptionnelle, soit, mais possible, donc certaine, puisque Lupin le voulait.

      – Cependant, il a échoué : rien n’a disparu.

      – Il n’a pas échoué : quelque chose a disparu.

      – Oui, les Rubens… mais…

      – Les Rubens, et autre chose… quelque chose que l’on a remplacé par une chose identique, comme on a fait pour les Rubens, quelque chose de beaucoup plus extraordinaire, de plus rare et de plus précieux que les Rubens.

      – Enfin, quoi ? vous me faites languir.

      Tout en marchant à travers les ruines, les deux hommes s’étaient dirigés vers la petite porte et longeaient la Chapelle-Dieu.

      Beautrelet s’arrêta.

      – Vous voulez le savoir, Monsieur le juge d’instruction ?

      – Si je le veux !

      Beautrelet avait une canne à la main, un bâton solide et noueux. Brusquement, d’un revers de cette canne, il fit sauter en éclats l’une des statuettes qui ornaient le portail de la chapelle.

      – Mais vous êtes fou clama M. Filleul, hors de lui, et en se précipitant vers les morceaux de la statuette. Vous êtes fou ! Ce vieux saint était admirable…

      – Admirable ! proféra Isidore en exécutant un moulinet qui jeta bas la Vierge Marie.

      M. Filleul l’empoigna à bras-le-corps.

      – Jeune homme, je ne vous laisserai pas commettre…

      Un roi mage encore voltigea, puis une crèche avec l’Enfant Jésus…

      – Un mouvement de plus et je tire.

      Le comte de Gesvres était survenu et armait son revolver.

      Beautrelet éclata de rire.

      – Tirez donc là-dessus, Monsieur le comte… tirez là-dessus, comme à la foire… Tenez… ce bonhomme qui


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