Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан
Levez-vous…
Il le mena vers la fenêtre.
– Regardez… de l’autre côté de la grille…
– Dans le parc ?
– Oui. Vous ne voyez rien ?
– Je ne vois rien.
– Si, vous voyez quelque chose.
– Ah ! En effet, une ombre… deux même.
– N’est-ce pas ? Contre la grille… tenez, elles remuent. Ne perdons pas de temps.
À tâtons, en se tenant à la rampe, ils descendirent l’escalier, et arrivèrent dans une pièce qui donnait sur le perron du jardin. À travers les vitres de la porte, ils aperçurent les deux silhouettes à la même place.
– C’est curieux dit Sholmès, il me semble entendre du bruit dans la maison.
– Dans la maison ? Impossible ! Tout le monde dort.
– Écoutez cependant…
À ce moment, un léger coup de sifflet vibra du côté de la grille, et ils aperçurent une vague lumière qui paraissait venir de l’hôtel.
– Les d’Imblevalle ont dû allumer, murmura Sholmès. C’est leur chambre qui est au-dessus de nous.
– C’est eux sans doute que nous avons entendus, fit Wilson. Peut-être sont-ils en train de surveiller la grille.
Un second coup de sifflet, plus discret encore.
– Je ne comprends pas, je ne comprends pas, dit Sholmès, agacé.
– Moi non plus, confessa Wilson.
Sholmès tourna la clef de la porte, ôta le verrou et poussa doucement le battant.
Un troisième coup de sifflet, un peu plus fort celui-ci, et modulé d’autre sorte. Et au-dessus de leur tête, le bruit s’accentua, se précipita.
– On croirait plutôt que c’est sur la terrasse du boudoir, souffla Sholmès.
Il passa la tête dans l’entrebâillement, mais aussitôt recula en étouffant un juron. À son tour, Wilson regarda. Tout près d’eux, une échelle se dressait contre le mur, appuyée au balcon de la terrasse.
– Eh parbleu, fit Sholmès, il y a quelqu’un dans le boudoir ! Voilà ce qu’on entendait. Vite, enlevons l’échelle.
Mais à cet instant, une forme glissa du haut en bas, l’échelle fut enlevée, et l’homme qui la portait courut en toute hâte vers la grille, à l’endroit où l’attendaient ses complices. D’un bond, Sholmès et Wilson s’étaient élancés. Ils rejoignirent l’homme alors qu’il posait l’échelle contre la grille. De l’autre côté, deux coups de feu jaillirent.
– Blessé ? cria Sholmès.
– Non, répondit Wilson.
Il saisit l’homme par le corps et tenta de l’immobiliser. Mais l’homme se retourna, l’empoigna d’une main, et de l’autre lui plongea son couteau en pleine poitrine. Wilson exhala un soupir, vacilla et tomba.
– Damnation ! hurla Sholmès, si on me l’a tué, je tue.
Il étendit Wilson sur la pelouse et se rua sur l’échelle. Trop tard… l’homme l’avait escaladée et, reçu par ses complices, s’enfuyait parmi les massifs.
– Wilson, Wilson, ce n’est pas sérieux, hein ? Une simple égratignure.
Les portes de l’hôtel s’ouvrirent brusquement. Le premier, M. d’Imblevalle survint, puis des domestiques, munis de bougies.
– Quoi ! Qu’y a-t-il, s’écria le Baron, M. Wilson est blessé ?
– Rien, une simple égratignure, répéta Sholmès, cherchant à s’illusionner.
Le sang coulait en abondance, et la face était livide.
Le docteur, vingt minutes après, constatait que la pointe du couteau s’était arrêtée à quatre millimètres du cœur.
– Quatre millimètres du cœur ! Ce Wilson a toujours eu de la chance, conclut Sholmès d’un ton d’envie.
– De la chance… de la chance… grommela le docteur.
– Dame ! Avec sa robuste constitution, il en sera quitte…
– Pour six semaines de lit et deux mois de convalescence.
– Pas davantage ?
– Non, à moins de complications.
– Pourquoi diable voulezvous qu’il y ait des complications ?
Pleinement rassuré, Sholmès rejoignit le Baron au boudoir. Cette fois le mystérieux visiteur n’y avait pas mis la même discrétion. Sans vergogne, il avait fait main basse sur la tabatière enrichie de diamants, sur le collier d’opales et, d’une façon générale, sur tout ce qui pouvait prendre place dans les poches d’un honnête cambrioleur.
La fenêtre était encore ouverte, un des carreaux avait été proprement découpé, et, au petit, jour, une enquête sommaire, en établissant que l’échelle provenait de l’hôtel en construction, indiqua la voie que l’on avait suivie.
– Bref, dit M. d’Imblevalle avec une certaine ironie, c’est la répétition exacte du vol de la lampe juive.
– Oui, si l’on accepte la première version adoptée par la justice.
– Vous ne l’adoptez donc pas encore ? Ce second vol n’ébranle pas votre opinion sur le premier ?
– Il la confirme, Monsieur.
– Est-ce croyable ! Vous avez la preuve irréfutable que l’agression de cette nuit a été commise par quelqu’un du dehors, et vous persistez à soutenir que la lampe juive a été soustraite par quelqu’un de notre entourage ?
– Par quelqu’un qui habite cet hôtel.
– Alors comment expliquez-vous ?…
– Je n’explique rien, Monsieur, je constate deux faits qui n’ont l’un avec l’autre que des rapports d’apparence, je les juge isolément, et je cherche le lien qui les unit.
Sa conviction semblait si profonde, ses façons d’agir fondées sur des motifs si puissants, que le Baron s’inclina :
– Soit. Nous allons prévenir le commissaire…
– À aucun prix ! s’écria vivement l’Anglais, à aucun prix ! J’entends ne m’adresser à ces gens que quand j’ai besoin d’eux.
– Cependant, les coups de feu ?…
– Il n’importe !
– Votre ami ? …
– Mon ami n’est que blessé… obtenez que le docteur se taise. Moi, je réponds de tout du côté de la justice.
Deux jours s’écoulèrent, vides d’incidents, mais où Sholmès poursuivit sa besogne avec un soin minutieux et un amour-propre qu’exaspérait le souvenir de cette audacieuse agression, exécutée sous ses yeux, en dépit de sa présence, et sans qu’il en pût empêcher le succès. Infatigable, il fouilla l’hôtel et le jardin, s’entretint avec les domestiques, et fit de longues stations à la cuisine et à l’écurie. Et bien qu’il ne recueillît aucun indice qui l’éclairât, il ne perdait pas courage.
– Je trouverai, pensait-il, et c’est ici que je trouverai. Il ne s’agit pas, comme dans l’affaire de la Dame blonde, de marcher à l’aventure, et d’atteindre, par des chemins que j’ignorais, un but que je ne connaissais pas. Cette fois, je suis sur le terrain même de la bataille. L’ennemi n’est plus seulement l’insaisissable et invisible Lupin, c’est le complice en chair et en os qui vit et qui se meut dans les bornes