Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан
par ce vol !… Cependant je me souviens qu’elle m’avait demandé la veille l’autorisation de sortir le dimanche matin… pour voir une cousine de passage à Paris, je crois. Mais je ne suppose pas que vous la soupçonniez ?…
– Certes, non… cependant je voudrais la voir.
Il monta jusqu’à la chambre de Wilson. Une femme, vêtue, comme les infirmières, d’une longue robe de toile grise, était courbée sur le malade et lui donnait à boire. Quand elle se tourna, Sholmès reconnut la jeune fille qui l’avait abordé devant la gare du Nord.
Il n’y eut pas entre eux la moindre explication. Alice Demun sourit doucement, de ses yeux charmants et graves, sans aucun embarras. L’Anglais voulut parler, ébaucha quelques syllabes et se tut. Alors elle reprit sa besogne, évolua paisiblement sous le regard étonné de Sholmès, remua des flacons, déroula et roula des bandes de toile, et de nouveau lui adressa son clair sourire.
Il pivota sur ses talons, redescendit, avisa dans la cour l’automobile de M. d’Imblevalle, s’y installa et se fit mener à Levallois, au dépôt de voitures dont l’adresse était marquée sur le bulletin de fiacre livré par l’enfant. Le cocher Duprêt, qui conduisait le 8279 dans la matinée du dimanche, n’étant pas là, il renvoya l’automobile et attendit jusqu’à l’heure du relais.
Le cocher Duprêt raconta qu’il avait en effet « chargé » une dame aux environs du parc Monceau, une jeune dame en noir qui avait une grosse violette et qui paraissait très agitée.
– Elle portait un paquet ?
– Oui, un paquet assez long.
– Et vous l’avez menée ?
– Avenue des Ternes, au coin de la place Saint-Ferdinand. Elle y est restée une dizaine de minutes, et puis on s’en est retourné au parc Monceau.
– Vous reconnaîtriez la maison de l’avenue des Ternes ?
– Parbleu ! Faut-il vous y conduire ?
– Tout à l’heure. Conduisez-moi d’abord au 36, quai des Orfèvres.
À la Préfecture de police il eut la chance de rencontrer aussitôt l’inspecteur principal Ganimard.
– Monsieur Ganimard, vous êtes libre ?
– S’il s’agit de Lupin, non.
– Il s’agit de Lupin.
– Alors je ne bouge pas.
– Comment ! Vous renoncez…
– Je renonce à l’impossible ! Je suis las d’une lutte inégale, où nous sommes sûrs d’avoir le dessous. C’est lâche, c’est absurde, tout ce que vous voudrez… je m’en moque ! Lupin est plus fort que nous. Par conséquent, il n’y a qu’à s’incliner.
– Je ne m’incline pas.
– Il vous inclinera, vous comme les autres.
– Eh bien, c’est un spectacle qui ne peut manquer de vous faire plaisir !
– Ah ! Ça, c’est vrai, dit Ganimard ingénument. Et puisque vous n’avez pas votre compte de coups de bâtons, allons-y.
Tous deux montèrent dans le fiacre. Sur leur ordre, le cocher les arrêta un peu avant la maison et de l’autre côté de l’avenue, devant un petit café à la terrasse duquel ils s’assirent, entre des lauriers et des fusains. Le jour commençait à baisser.
– Garçon, fit Sholmès, de quoi écrire.
Il écrivit, et rappelant le garçon :
– Portez cette lettre au concierge de la maison qui est en face. C’est évidemment l’homme en casquette qui fume sous la porte cochère.
Le concierge accourut, et, Ganimard ayant décliné son titre d’inspecteur principal, Sholmès demanda si, le matin du dimanche, il était venu une jeune dame en noir.
– En noir ? Oui, vers neuf heures… celle qui monte au second.
– Vous la voyez souvent ?
– Non, mais depuis quelque temps, davantage… la dernière quinzaine, presque tous les jours.
– Et depuis dimanche ?
– Une fois seulement… sans compter aujourd’hui.
– Comment ! Elle est venue !
– Elle est là.
– Elle est là !
– Voilà bien dix minutes. Sa voiture attend sur la place Saint-Ferdinand, comme d’habitude. Elle, je l’ai croisée sous la porte.
– Et quel est ce locataire du second ?
– Il y en a deux, une modiste, Mlle Langeais, et un Monsieur qui a loué deux chambres meublées, depuis un mois, sous le nom de Bresson.
– Pourquoi dites-vous « sous le nom » ?
– Une idée à moi que c’est un nom d’emprunt. Ma femme fait son ménage : eh bien, il n’a pas deux chemises avec les mêmes initiales.
– Comment vit-il ?
– Oh ! Dehors presque. Des trois jours, il ne rentre pas chez lui.
– Est-il rentré dans la nuit de samedi à dimanche ?
– Dans la nuit de samedi à dimanche ? Écoutez voir, que je réfléchisse… oui, samedi soir, il est rentré et il n’a pas bougé.
– Et quelle sorte d’homme est-ce ?
– Ma foi je ne saurais dire. Il est si changeant ! Il est grand, il est petit, il est gros, il est fluet… brun et blond. Je ne le reconnais toujours pas.
Ganimard et Sholmès se regardèrent.
– C’est lui, murmura l’inspecteur, c’est bien lui.
Il y eut vraiment chez le vieux policier un instant de trouble qui se traduisit par un bâillement et par une crispation de ses deux poings.
Sholmès aussi, bien que plus maître de lui, sentit une étreinte au cœur.
– Attention, dit le concierge, voici la jeune fille.
Mademoiselle en effet apparaissait au seuil de la porte et traversait la place.
– Et voici M. Bresson.
– M. Bresson ? Lequel ?
– Celui qui porte un paquet sous le bras.
– Mais il ne s’occupe pas de la jeune fille. Elle regagne seule sa voiture.
– Ah ! Ça, je ne les ai jamais vus ensemble.
Les deux policiers s’étaient levés précipitamment. À la lueur des réverbères ils reconnurent la silhouette de Lupin, qui s’éloignait dans une direction opposée à la place.
– Qui préférez-vous suivre ? demanda Ganimard.
– Lui, parbleu ! C’est le gros gibier.
– Alors, moi, je file la demoiselle, proposa Ganimard.
– Non, non, dit vivement l’Anglais, qui ne voulait rien dévoiler de l’affaire à Ganimard, la demoiselle, je sais où la retrouver… ne me quittez pas.
À distance, et en utilisant l’abri momentané des passants et des kiosques, ils se mirent à la poursuite de Lupin. Poursuite facile d’ailleurs, car il ne se retournait pas et marchait rapidement, avec une légère claudication de la jambe droite, si légère qu’il fallait l’œil exercé d’un observateur pour la percevoir, Ganimard dit :
– Il fait semblant de boiter.
Et il reprit :
– Ah ! Si l’on pouvait ramasser deux ou trois agents et sauter sur notre individu ! Nous risquons