Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан
camarade.
– Enfin ! Ça ne va pas trop mal, et si les chemins que je suis sont un peu obscurs, je commence à m’y retrouver. Tout d’abord je vais être fixé sur le sieur Bresson. Ganimard et moi nous avons rendez-vous au bord de la Seine, à l’endroit où Bresson a jeté son paquet, et le rôle du Monsieur nous sera connu. Pour le reste, c’est une partie à jouer entre Alice Demun et moi. L’adversaire est de mince envergure, hein, Wilson ? Et ne pensez-vous pas qu’avant peu je saurai la phrase de l’album, et ce que signifient ces deux lettres isolées, ce C et ce H ? Car tout est là, Wilson.
Mademoiselle entra au même instant, et apercevant Sholmès qui gesticulait, elle lui dit gentiment :
– Monsieur Sholmès, je vais vous gronder si vous réveillez mon malade. Ce n’est pas bien à vous de le déranger. Le docteur exige une tranquillité absolue.
Il la contemplait sans un mot, étonné comme au premier jour de son calme inexplicable.
– Qu’avez-vous à me regarder, Monsieur Sholmès ? Rien ? Mais si… vous semblez toujours avoir une arrière-pensée… laquelle ? Répondez, je vous en prie.
Elle l’interrogeait de tout son clair visage, de ses yeux ingénus, de sa bouche qui souriait, et de toute son attitude aussi, de ses mains jointes, de son buste légèrement penché en avant. Et il y avait tant de candeur en elle que l’Anglais en éprouva de la colère. Il s’approcha et lui dit à voix basse :
– Bresson s’est tué hier soir.
Elle répéta, sans avoir l’air de comprendre :
– Bresson s’est tué hier…
En vérité aucune contraction n’altéra son visage, rien qui révélât l’effort du mensonge.
– Vous étiez prévenue, lui dit-il avec irritation… sinon, vous auriez au moins tressailli… ah ! Vous êtes plus forte que je ne croyais… mais pourquoi dissimuler ?
Il saisit l’album à images qu’il venait de déposer sur une table voisine et, l’ouvrant à la page découpée :
– Pourriez-vous me dire dans quel ordre on doit disposer les lettres qui manquent ici, pour connaître la teneur exacte du billet que vous avez envoyé à Bresson quatre jours avant le vol de la lampe juive ?
– Dans quel ordre ?… Bresson ?… Le vol de la lampe juive ?…
Elle redisait les mots, lentement, comme pour en dégager le sens.
Il insista.
– Oui. Voici les lettres employées… sur ce bout de papier. Que disiez-vous à Bresson ?
– Les lettres employées… ce que je disais…
Soudain elle éclata de rire :
– Ça y est ! Je comprends ! Je suis la complice du vol ! Il y a un M. Bresson qui a pris la lampe juive et qui s’est tué. Et moi, je suis l’amie de ce Monsieur. Oh ! que c’est amusant !
– Qui donc avez-vous été voir hier dans la soirée, au second étage d’une maison de l’avenue des Ternes ?
– Qui ? Mais ma modiste, Mlle Langeais. Est-ce que ma modiste et mon ami M. Bresson ne feraient qu’une seule et même personne ?
Malgré tout, Sholmès douta. On peut feindre, de manière à donner le change, la terreur, la joie, l’inquiétude, tous les sentiments, mais non point l’indifférence, non point le rire heureux et insouciant.
Cependant il lui dit encore :
– Un dernier mot : pourquoi l’autre soir, à la gare du Nord, m’avez vous abordé ? Et pourquoi m’avez-vous supplié de repartir immédiatement sans m’occuper de ce vol ?
– Ah vous êtes trop curieux, Monsieur Sholmès, répondit-elle en riant toujours de la façon la plus naturelle. Pour votre punition, vous ne saurez rien, et en outre vous garderez le malade pendant que je vais chez le pharmacien… une ordonnance pressée… je me sauve.
Elle sortit.
– Je suis roulé, murmura Sholmès. Non seulement je n’ai rien tiré d’elle, mais c’est moi qui me suis découvert.
Et il se rappelait l’affaire du diamant bleu et l’interrogatoire qu’il avait fait subir à Clotilde Destange. N’était-ce pas la même sérénité que la Dame blonde lui avait opposée, et ne se trouvait-il pas de nouveau en face d’un de ces êtres qui, protégés par Arsène Lupin, sous l’action directe de son influence, gardaient dans l’angoisse même du danger le calme le plus stupéfiant ?
– Sholmès… Sholmès…
Il s’approcha de Wilson qui l’appelait, et s’inclina vers lui.
– Qu’y a-t-il, vieux camarade ? On souffre ?
Wilson remua les lèvres sans pouvoir parler. Enfin, après de grands efforts, il bégaya :
– Non.., Sholmès… ce n’est pas elle… il est impossible que ce soit elle…
– Qu’est-ce que vous me chantez là ? Je vous dis que c’est elle, moi ! Il n’y a qu’en face d’une créature de Lupin, dressée et remontée par lui, que je perds la tête et que j’agis aussi sottement… la voilà maintenant qui connaît toute l’histoire de l’album… je vous parie qu’avant une heure Lupin sera prévenu. Avant une heure ? Que dis-je ! Mais tout de suite ! Le pharmacien, l’ordonnance pressée… des blagues !
Il s’esquiva rapidement, descendit l’avenue de Messine, et avisa Mademoiselle qui entrait dans une pharmacie. Elle reparut, dix minutes plus tard, avec des flacons et une bouteille enveloppés de papier blanc. Mais, alors qu’elle remontait l’avenue, elle fut accostée par un homme qui la poursuivit, la casquette à la main et l’air obséquieux, comme s’il demandait la charité.
Elle s’arrêta et lui fit l’aumône, puis reprit son chemin.
– Elle lui a parlé, se dit l’Anglais.
Plutôt qu’une certitude, ce fut une intuition, assez forte cependant pour qu’il changeât de tactique. Abandonnant la jeune fille, il se lança sur la piste du faux mendiant.
Ils arrivèrent ainsi, l’un derrière l’autre, à la place Saint-Ferdinand, et l’homme erra longtemps autour de la maison de Bresson, levant parfois les yeux aux fenêtres du second étage, et surveillant les gens qui pénétraient dans la maison.
Au bout d’une heure, il monta sur l’impériale d’un tramway qui se dirigeait vers Neuilly. Sholmès y monta également et s’assit derrière l’individu, un peu plus loin, et à côté d’un Monsieur que dissimulaient les feuilles ouvertes de son journal. Aux fortifications, le journal s’abaissa, Sholmès aperçut Ganimard, et Ganimard lui dit à l’oreille en désignant l’individu :
– C’est notre homme d’hier soir, celui qui suivait Bresson. Il y a une heure qu’il vagabonde sur la place.
– Rien de nouveau pour Bresson ? demanda Sholmès.
– Si, une lettre qui est arrivée ce matin à son adresse.
– Ce matin ? Donc elle a été mise à la poste hier, avant que l’expéditeur ne sache la mort de Bresson.
– Précisément. Elle est entre les mains du juge d’instruction. Mais j’en ai retenu les termes : « Il n’accepte aucune transaction. Il veut tout, la première chose aussi bien que celles de la seconde affaire. Sinon, il agit. » Et pas de signature, ajouta Ganimard. Comme vous voyez, ces quelques lignes ne nous serviront guère.
– Je ne suis pas du tout de votre avis, Monsieur Ganimard, ces quelques lignes me semblent au contraire fort intéressantes.
– Et pourquoi, mon Dieu !
– Pour des raisons qui me sont personnelles, répondit Sholmès avec le sans-gêne dont il usait