Rencontres décisives. Roberto Bandenas

Rencontres décisives - Roberto Bandenas


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y pensant, il remarque que son cœur bat plus fort. Ce maître qui a déjà transformé la vie de son frère commence à le troubler lui aussi.

      Le maître a enfin fini de parler aux gens et il s’avance d’un pas ferme le long du rivage. André et ses amis l’accompagnent. Sa tunique blanche ondoie au vent dans la splendeur joyeuse du matin comme la voile d’un navire sans amarres.

      Promenant son regard autour de lui comme s’il scrutait l’horizon, le maître s’arrête soudain et se dirige vers Simon. Honteux d’avoir abandonné son travail pour épier le visiteur, celui-ci baisse la tête. Étourdi, il ramasse le filet et simule le réparer.

      Le maître s’approche résolument du pêcheur.

      « Voici ta barque, Pierre. - Le maître s’entête à l’appeler ainsi. - Je te remercie de me l’avoir prêtée. »

      Sans lui donner le temps de souffler, il le toise du regard, sourit et lui dit de but en blanc en impliquant ses compagnons dans le projet :

      Dans d’autres circonstances, Simon aurait répliqué que tenter de pêcher à une heure aussi inopportune était de la folie. Mais cette fois il se contient et répond, laconique :

      « Maître, nous avons trimé toute la nuit sans rien prendre. Mais si tu le demandes, en ton nom je jetterai le filet. »

      Simon regarde avec méfiance autour de lui, espérant que personne du métier ne le voie. Il se sent quelque peu ridicule de reprendre la pêche en plein jour. Mais son frère et ses amis enthousiasmés le précèdent. Peut-être le désir inconscient d’échapper au magnétisme du Nazaréen le pousse-t-il contre toute logique à gréer la barque et à se mettre à ramer ?

      Tandis qu’il s’éloigne du rivage, Simon ne peut éviter de tourner la tête vers la côte et d’observer du coin de l’œil l’étrange maître qui les suit à pied sur la plage en dirigeant l’opération. Un sourire flotte constamment sur ses lèvres, dévoilant la blancheur éclatante de ses dents, comme s’il voyait au-delà de ce que l’on peut voir d’ordinaire.

      « Oui, là, à droite. »

      Au signe du Nazaréen, les pêcheurs jettent les filets récemment réparés, du même geste habituel tant de fois répété cette nuit. Mais au moment de les sortir de l’eau, Simon n’en croit pas ses yeux : ils craquent de toutes parts ! Quelle prise incroyable ! Simon n’y comprend rien. Ce ne peut être qu’un miracle…

      Les poissons argentés se trémoussent en scintillant sous les rayons du soleil et lui éclaboussent la figure. De sa vie il n’a vu meilleure pêche. S’ils arrivent à temps, ses voisins pourront lui prêter main forte pour traîner ensemble les poissons sur la plage avant que les mailles ne se rompent à nouveau. Il va enfin pouvoir s’acheter de nouveaux filets. Peut-être même une nouvelle barque.

      En suivant les indications du mystérieux maître, le rêve de sa vie est en train de se réaliser. Cette prise dépasse tout ce qu’il a jamais pu imaginer. Ses amis arrivent avec deux barges supplémentaires pour l’aider. Les trois embarcations débordantes de poissons menacent de s’enfoncer sous le poids de leur précieuse cargaison. Après tout, la vie de pêcheur n’est peut-être pas si ingrate que cela.

      L’accostage est triomphal. Simon exulte. Ses compagnons crient d’allégresse. La liesse est telle qu’une foule de voisines curieuses, de pêcheurs intrigués et de petits à demi nus accourent à la rencontre des barques pour remplir leurs paniers - toujours plus de paniers - débordants de poissons bondissants.

      Simon exulte, jouissant de cette heure de gloire, de cette subite richesse qui fait de lui un héros.

      Quand les filets qui ont résisté par miracle à la pression de tant de poids sont enfin vides et que les paniers ont disparu vers le marché sur la tête des femmes et dans les bras vigoureux des hommes, Simon se tourne vers le maître resté là sur la plage, comme s’il l’attendait. Pieds nus sur le sable, il s’amuse à remettre dans l’eau quelques poissons qui sautent sur les galets, scintillants et inquiets, dédaignés par les pêcheurs parce qu’ils étaient trop petits.

      Simon entre dans l’eau du lac pour se débarbouiller un peu. Il savoure le plaisir de la fraîcheur de l’onde relaxante qui masse et nettoie son corps fatigué.

       Lorsqu’il en sort propre et déjà dispos, son regard croise à nouveau les yeux rieurs et pénétrants du maître qui l’attend. Il l’entend alors formuler une invitation inattendue :

      « Pierre, si tu me suis, un jour tu pêcheras des hommes. »

      Simon hésite un instant. A-t-il bien entendu ? L’appel est pour le moins insolite. Non qu’il ne se fie pas au Nazaréen. Mais il réalise qu’il joue son futur sur une simple décision qu’il doit prendre ici et à l’instant même. Il en a le vertige. Il peut choisir de continuer à pêcher, peut-être même avec une barque neuve. Ou il peut décider de suivre le maître qui l’appelle et qui lui promet de lui apprendre à « pêcher des hommes », comme à son frère André et à ses amis Jean et Jacques.

      « Qu’est-ce que tu désires vraiment le plus au monde ? »

      Cette pêche miraculeuse lui révèle au moins clairement une chose : un seul moment avec Jésus vaut plus que toute la vie sans lui.

      Troublé, Simon tombe à genoux devant lui et lui dit :

      « Non, rabbi, je ne suis pas digne d’être ton disciple. Éloigne-toi de moi qui suis davantage pécheur que pêcheur. »

      Le maître pose la main sur son épaule qui frémit légèrement à ce contact chaud. Puis il l’attire énergiquement vers lui et l’étreint comme on embrasse un ami.

      Simon – n’était-il pas déjà Pierre ? – soutient le regard de celui qui lit dans les cœurs. Il y saisit une étincelle qui lui promet de combler ses plus beaux rêves. De quoi enfin donner un sens, une orientation, un but à sa vie. Il a l’intuition que pêcher des hommes l’impliquerait dans l’énorme mission du Nazaréen : tenter de sauver le monde.

      Les étranges paroles du maître, aussi destinées à ses amis pêcheurs, résonnent pleines de force et de mystère aux oreilles émerveillées du nouveau disciple :

      « Suis-moi et je te ferai pêcheur d’hommes. »

      Simon, qui est désormais Pierre, comprend bien ce que Jésus lui demande :

      « Abandonne tes filets et ta barque à ta famille. Celle-ci en aura besoin. Quant à toi, je te promets de t’embarquer sur un autre genre de bateau, de t’enseigner à utiliser d’autres filets et à chercher d’autres prises. Bien entendu, sur une autre mer. Sans rivages. »

      Pêcheur d’hommes… Si cela correspond à être comme Jésus, alors c’est ce que Pierre désire. Il ne comprend pas le sens exact de cette formule troublante. Mais sachant de qui elle vient, il l’accepte.

      Les empreintes du maître s’impriment sur le sable doré de la plage, telles un sillage lumineux invitant à le suivre. Les pas de celui qui ne veut pas rester un simple pêcheur de poissons viennent s’y confondre, tantôt vigoureux, tantôt encore hésitants.

      Le soleil rayonne encore avec force sur le lac.

      Le petit hameau de pêcheurs, sa maison, sa barque et ses filets rapetissent au loin. Là reste aussi sa famille,


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