Rencontres décisives. Roberto Bandenas
trouver des moyens plus solidaires de partager les fatigues humaines.
La plupart des gens de la communauté religieuse dans laquelle il est né vivent leur spiritualité d’une manière qui ne lui plaît guère. Or au lieu de l’abandonner comme le font les mécontents, il opte pour quelque chose d’infiniment meilleur mais combien bien plus difficile : construire avec ses disciples une nouvelle communauté qu’il décide d’appeler son « église ».31
Les représentants du clergé et les chefs politiques murmurent :
« N’y faites pas attention. Ce charpentier n’est pas qualifié. C’est un mégalomane ignorant. Il ne sait pas ce qu’il fait. »
Cela ne le décourage pas. Il est convaincu que lorsque quelqu’un décide d’entreprendre quelque chose d’important, il doit affronter l’opposition de ceux qui auraient voulu faire la même chose mais sans oser en assumer les risques, ni les critiques des opposants, ni surtout la résistance de ceux qui ne font jamais rien.
Au début il ne peut compter que sur lui-même. Mais la passion des premiers disciples gagnés à sa cause est si contagieuse qu’ils vont eux-mêmes en attirer d’autres.
Lorsqu’il décide de commencer à construire la communauté de croyants dont il rêve, le maître spécifie clairement son but : il ne veut pas fonder une religion mais une école. La vraie religion est déjà la sienne : celle que Dieu a révélée. Il veut maintenant enseigner comment la mettre en pratique. L’essence de sa doctrine peut se résumer en deux éléments :
« Aux yeux de Dieu, la religion pure et sans tache consiste à prendre soin des nécessiteux en détresse et à ne pas se laisser contaminer par le monde. »32 Autrement dit, être un bon croyant consiste à vivre en communion avec Dieu et à traiter son prochain avec l’empathie et la solidarité que l’on voudrait recevoir soi-même en toute circonstance.33
Pour lui, l’objectif commun de la spiritualité et de l’éducation est d’enseigner à penser, à être, à vivre. À vivre ensemble. Donc à aimer.34
Ce courageux réformateur a beaucoup d’idées innovatrices et très peu de préjugés. D’où la présence dans son équipe de jeunes et de vieux, d’instruits et d’ignorants, d’hommes et de femmes.35 C’est nouveau dans le monde où il évolue. Surtout qu’il les accepte sans aucune préparation préalable. Il fait tout cela en marge du temple et de la synagogue, les institutions religieuses les mieux établies de son temps. Il sait que « les vérités destinées spécialement à notre époque ne se trouvent pas chez les autorités ecclésiastiques, mais chez des hommes et des femmes qui ne sont ni trop savants ni trop sages à leurs propres yeux pour croire à la parole de Dieu. »36
Ses grands thèmes sont la vérité, le courage, l’amour sincère, la vraie liberté, le bonheur authentique. Tout ce qui touche à la formation du caractère. Il persuade ses disciples que s’ils sont mécontents de la société dans laquelle ils vivent et veulent la changer, ils doivent commencer par se laisser transformer eux-mêmes. C’est la condition pour convaincre les autres, pour leur apporter de meilleures raisons de vivre et une échelle de valeurs digne de ce nom. À cette fin il exige d’eux de la réflexion, la discipline du corps et de l’esprit, le goût du travail, la joie du partage, le sens du devoir et le respect pour tous.
Il leur enseigne à ne pas confondre l’humilité avec la peur ni le contentement avec la paresse.37 À reconnaître leurs limites mais sans refuser d’utiliser leurs capacités. À se laisser guider par Dieu afin de les exploiter au maximum.
Être capable de se satisfaire de peu de biens matériels ne signifie pas être dénué de grands projets. Ni de nobles ambitions. Ni d’accepter comme excuse l’inexcusable. Ni de confondre la spontanéité avec la superficialité. Pour chaque être humain, Dieu tient en réserve un idéal de progrès et d’excellence. D’où ses perpétuels encouragements à servir au maximum de nos possibilités sans toutefois tomber dans le complexe d’infériorité, encore moins dans l’arrogance.38
Le jeune maître sait encourager, enthousiasmer, corriger avec tact, motiver à se dépasser. Il le fait avec patience, fermeté et tendresse. Par de constantes analogies, des histoires, des images. Et surtout par son exemple. Il enseigne à ses disciples à comprendre les Écritures, à interpréter la réalité, à écouter la nature, à tirer profit des expériences, à ne pas craindre la mort, à prendre au sérieux l’existence. À prier intelligemment et à imprégner son quotidien de force spirituelle. À vivre solidairement. À pratiquer le pardon. À être disposé à souffrir avant de faire souffrir, à subir le mal avant de le causer.39 En un mot à vivre une vie foncièrement positive qui transforme son entourage en un monde meilleur.40
En peu de temps, la vie pour le moins commune de Jean, André, Simon, Philippe et Nathanaël deviendra exceptionnelle en reflétant celle du maître.41 Ils n’auront besoin que de le suivre, de continuer à avancer avec lui sur ce chemin étroit et escarpé mais passionnant qui conduit des plus sombres abîmes de la médiocrité humaine aux plus hautes cimes du divin.
Ils vont le suivre de si près que bientôt les membres de leur groupe en pleine croissance seront connus de leur entourage comme « ceux du Chemin ».42
1 . Jean 1.43-44.
2 . F. Lenoir, Le Christ philosophe, Paris : Plon, 2007, p. 89-95.
3 . « Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement, qu’il semble qu’il ne les a pas pensées, et si nettement néanmoins, qu’on voit bien ce qu’il en pensait. Cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable » (Blaise Pascal, Pensées, Paris : Classiques Garnier, 1961, p. 295).
4 . N. Hugedé, Jésus poète, Dammarie-les-Lys : Vie et Santé, 2002, p. 51-61.
5 . Matthieu 23.13; voir aussi Luc 11.52.
6 . Jean 1.40-51. Bethsaïda signifie « maison de la pêche ». Au moins deux endroits se disputent ce nom, tous deux situés au bord du lac de Génésareth.
7 . À l’époque, Jean et Jacques, fils de Zébédée, devaient être assez jeunes puisqu’environ trois ans plus tard, leur mère voulait leur chercher du travail (Matthieu 20.20). Le fait que Jean s’appuie naturellement sur Jésus lors du dernier souper se comprend mieux comme un geste de confiance juvénile (Jean 13.23-26) que comme le geste ambigu d’un adulte. Que ce même disciple ait été encore actif vers l’an 100 est plausible s’il avait environ dix ans de moins que Jésus.
8 . Jean 1. 40-51.
9 . N. Hugedé, Si Jésus te disait…, Paris : Fischbacher, 1976, p. 17-31.
10 . Texte basé sur Jean 1.43-51.
11 . « Philippe savait que son ami était occupé à sonder les prophéties; il découvrit sa retraite alors qu’il priait sous son figuier. Souvent, ainsi cachés par le feuillage, ils avaient prié ensemble dans cet endroit écarté » (E. G. White, Jésus-Christ, p. 122).
12 . Jean 7.52.
13 .