L'Éducation sentimentale histoire d'un jeune homme. Gustave Flaubert

L'Éducation sentimentale histoire d'un jeune homme - Gustave Flaubert


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jeta dans la voiture.

      – «Et ton bouquet?» dit Arnoux.

      – «Non! non! ce n’est pas la peine!»

      Frédéric courait pour l’aller prendre; elle lui cria:

      – «Je n’en veux pas!»

      Mais il l’apporta bientôt, disant qu’il venait de le remettre dans l’enveloppe, car il avait trouvé les fleurs à terre. Elle les enfonça dans le tablier de cuir, contre le siège, et l’on partit.

      Frédéric, assis près d’elle, remarqua qu’elle tremblait horriblement. Puis, quand on eut passé le pont, comme Arnoux tournait à gauche:

      – «Mais non! tu te trompes! par là, à droite!»

      Elle semblait irritée; tout la gênait. Enfin, Marthe ayant fermé les yeux, elle tira le bouquet et le lança par la portière, puis saisit au bras Frédéric, en lui faisant signe, avec l’autre main, de n’en jamais parler.

      Ensuite, elle appliqua son mouchoir contre ses lèvres, et ne bougea plus.

      Les deux autres, sur le siège, causaient imprimerie, abonnés. Arnoux, qui conduisait sans attention, se perdit au milieu du bois de Boulogne. Alors, on s’enfonça dans de petits chemins. Le cheval marchait au pas; les branches des arbres frôlaient la capote. Frédéric n’apercevait de Mme Arnoux que ses deux. yeux, dans l’ombre; Marthe s’était allongée sur elle, et il lui soutenait la tête.

      – «Elle vous fatigue!» dit sa mère.

      Il répondit;

      – «Non! oh non!»

      De lents tourbillons de poussière se levaient; on traversait Auteuil; toutes les maisons étaient closes; un réverbère, çà et là, éclairait l’angle d’un mur, puis on rentrait dans les ténèbres; une fois, il s’aperçut qu’elle pleurait.

      Était-ce un remords? un désir? quoi donc? Ce chagrin, qu’il ne savait pas, l’intéressait comme une chose personnelle; maintenant, il y avait entre eux un lien nouveau, une espèce de complicité; et il lui dit, de la voix la plus caressante qu’il put:

      – «Vous souffrez?»

      – «Oui, un peu,» reprit-elle.

      La voiture roulait, et les chèvrefeuilles et les seringats débordaient les clôtures des jardins, envoyaient dans la nuit des bouffées d’odeurs amollissantes. Les plis nombreux de sa robe couvraient ses pieds. Il lui semblait communiquer avec toute sa personne par ce corps d’enfant étendu entre eux. Il se pencha vers la petite fille, et, écartant ses jolis cheveux bruns, la baisa au front, doucement.

      – «Vous êtes bon!» dit Mme Arnoux.

      – «Pourquoi?»

      – «Parce que vous aimez les enfants.»

      – «Pas tous!»

      Il n’ajouta rien, mais il étendit la main gauche de ion côté et la laissa toute grande ouverte, – s’imaginant qu’elle allait faire comme lui, peut-être, et qu’il —’encontrerait la sienne. Puis il eut honte, et la reira.

      On arriva bientôt sur le pavé. La voiture allait plus ite, les becs de gaz se multiplièrent, c’était Paris. lussonnet, devant le Garde-Meuble, sauta du siège. Frédéric attendit pour descendre que l’on fût arrivé lans la cour; puis il s’embusqua au coin de la rue de Choiseul, et aperçut Arnoux qui remontait lentement ers les boulevards.

      Dès le lendemain, il se mit à travailler de toutes ses orces.

      Il se voyait dans une cour d’assises, par un soir l’hiver, à la fin des plaidoiries, quand les jurés sont) âles et que la foule halelante fait craquer les cloisons du prétoire, parlant depuis quatre heures déjà, résunant toutes ses preuves, en découvrant de nouvelles, et entant à chaque phrase, à chaque mot, à chaque geste, 3couperet de la guillotine, suspendu derrière lui, se elever; puis, à la tribune de la Chambre, orateur qui sorte sur ses lèvres le salut de tout un peuple, noyant es adversaires sous ses prosopopées, les écrasant d’une iposte, avec des foudres et des intonations musicales Lans la voix, ironique, pathétique, emporté, sublime; Elle serait là, quelque part, au milieu des autres, cachant sous son voile ses pleurs d’enthousiasme; ils se retrouveraient ensuite;—et les découragements, les calomnies et les injures ne l’atteindraient pas, si elle disait – «Ah1cela est beau1» en lui passant sur le front ses mains légères.

      Ces images fulguraient, comme des phares, à l’horizon de sa vie. Son esprit, excité, devint plus leste et plus fort. Jusqu’au mois d’août, il s’enferma, et fut reçu à son dernier examen.

      Deslauriers, qui avait eu tant de mal à lui seriner encore une fois le deuxième à la fin de décembre et le troisième en février, s’étonnait de son ardeur. Alors, les vieux espoirs revinrent. Dans dix ans, il fallait que Frédéric fût député; dans quinze, ministre; pourquoi pas? Avec son patrimoine qu’il allait toucher bientôt, il pouvait, d’abord, fonder un journal; ce serait le début; ensuite, on verrait. Quant à lui, il ambitionnait toujours une chaire à l’École de droit; et il soutint sa thèse pour le doctorat d’une façon si remarquable, qu’elle lui valut les compliments des professeurs.

      Frédéric passa la sienne trois jours après. Avant de partir en vacances, il eut l’idée d’un pique-nique, pour clore les réunions du samedi.

      Il s’y montra gai. Mme Arnoux était maintenant près de sa mère, à Chartres. Mais il la retrouverait bientôt, et finirait par être son amant. «

      Deslauriers, admis le jour même à la parlotte d’Orsay, avait fait un discours fort applaudi. Quoiqu’il fût sobre, il se grisa, et dit au dessert à Dussardier:

      – «Tu es honnête, toi! Quand je serai riche, je t’instituerai mon régisseur.»

      Tous étaient heureux; Cisy ne finirait pas son droit; Martinon allait continuer son stage en province, où il serait nommé substitut; Pellerin se disposait à un grand tableau figurant le Génie de la Révolution; Hussonnet, la semaine prochaine, devait lire au directeur des Délassements le plan d’une pièce, et ne doutait pas du succès:

      – «Car la charpente du drame, on me l’accorde! Les passions, j’ai assez roulé ma bosse pour m’y connaître; quant aux traits d’esprit, c’est mon métier!»

      Il fit un saut, retomba sur les deux mains, et marcha quelque temps autour de la table, les jambes en ’air.

      Cette gaminerie ne dérida pas Sénécal. Il venait l’être chassé de sa pension, pour avoir battu un fils l’aristocrate. Sa misère augmentant, il s’en prenait à ’ordre social, maudissait les riches; et il s’épancha lans le sein de Regimbart, lequel était de plus en lus désillusionné, attristé, dégoûté. Le Citoyen se Durnait, maintenant, vers les questions budgétaires, t’accusait la Camarilla de perdre des millions en Alérie.

      Comme il ne pouvait dormir sans avoir stationné à estaminet Alexandre, il disparut dès onze heures. Les utres se retirèrent plus tard; et Frédéric, en faisant es adieux à Hussonnet, apprit que Mme Arnoux avait û revenir la veille.

      Il alla donc aux Messageries changer sa place pour le ndemain, et, vers six heures du soir, se présenta lez elle. Son retour, lui dit le concierge, était différé une semaine. Frédéric dîna seul, puis flâna sur les oulevards.

      Des nuages roses, en forme d’écharpe, s’allongeaient delà des toits; on commençait à relever les tentes les boutiques; des tombereaux d’arrosage versaient ne pluie sur la poussière, et une fraîcheur inattendue mêlait aux émanations des cafés, laissant voir par curs portes ouvertes, entre des argenteries et des doures, des fleurs en gerbes qui se miraient dans les autes glaces, La foule marchait lentement. Il y avait es groupes d’hommes causant au milieu du trottoir; t des femmes passaient, avec une mollesse dans les yeux et ce teint de camélia que donne aux chairs féminines la lassitude des grandes chaleurs. Quelque chose d’énorme s’épanchait, enveloppait les maisons. Jamais Paris ne lui avait semblé si beau. Il n’apercevait, dans l’avenir, qu’une


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