Iza Lolotte et Compagnie. Alexis Bouvier

Iza Lolotte et Compagnie - Alexis Bouvier


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      –Mais c’est un cabaret, cela.

      –Peut-être bien.

      Il lut au-dessus de la porte:

      A LA VUE DE LA FONTAINE.

      Chadi se tourna de tous les côtés pour voir s’il y avait une fontaine dans la rue; il n’y en avait pas trace. Il ignorait, le pauvre garçon, que c’était là une des enseignes familières du quartier. Il ignorait que, lorsque l’on établit un chantier pour la construction d’une gare, d’un monument ou pour l’érection d’une statue, on ouvre en face un cabaret pour donner à manger et à boire aux ouvriers. Souvent, les travaux ne s’achèvent pas ou se transforment.

      Où devait être une place passe une rue, ou la gare se trouve reportée plus loin; mais l’enseigne reste toujours.

      En Belgique, sur cent enseignes, on en peut bien compter dix «A la vue de quelque chose», et, sur ces dix, il y en a au moins cinq qui ne sont pas plus justifiées que celle du petit cabaret de la rue du Cadran.

      Au-dessous de l’enseigne, on lisait:

      VEUVE VAN BOEM

      DONNE A BOIRE ET A MANGER

      Et au-dessous encore:

       Quartier garni.

      –Au fait, dit Chadi regardant l’heure à sa montre, vous savez qu’il est l’heure de déjeuner, monsieur Huret.

      –Comment, déjà? tu as mangé cette nuit, tu as donc toujours faim?

      –Vous ne pouvez pas vous figurer comme l’air de ce pays me donne de l’appétit. Si nous entrions «A la Vue de la Fontaine», nous pourrions y déjeuner, et vous seriez à l’aise pour prendre vos renseignements.

      –Tu as absolument raison. Ainsi, il demeure là, au premier?

      –Oui.

      –Et elle est entrée par la boutique, hier?

      –Non, par la porte, là, au coin.

      –Ah! la porte de l’allée. Bien, entrons.

      Ils entrèrent, se firent servir à déjeuner, et Huret, s’adressant à la grosse Flamande qui les servait, lui demanda:

      –Vous louez des chambres, madame?

      Et dans un jargon épouvantable, qui effraya Chadi, mais compris parfaitement par Huret, elle répondit:

      –Oui, nous avons des quartiers garnis.

      –Je cherche un ami qui demeure dans cette rue; il m’avait conseillé de louer une chambre à côté de lui; c’est peut-être chez vous? Je ne sais pas le numéro.

      –Ça se pourrait; j’en ai deux, de chambres garnies: une qui est louée à Mme Obaneck, épouse divorcée de Van Tarreck, et l’autre habitée par M. Eugène Pesth, qui ne l’habite plus à cause qu’il est parti ce matin. Si c’est celle-là que vous voulez?

      Chadi éclata de rire.

      –Ah! il est parti, exclama Huret. C’était celui-là, Eugène Pesth, comme vous dites; un brun, n’est-ce pas? Brun de cheveux, de peau, des moustaches?

      –Oui, c’est ça: brun, oh! un beau brun, de belles moustaches et toute sa barbe avec.

      Du regard, Huret interrogea Chadi sur ce détail.

      Celui-ci fit oui de la tête.

      –Ainsi, il est parti?

      –Oui, monsieur, ce matin, à quatre heures.

      –Voyez-vous, si vous m’aviez écouté, fit Chadi, nous aurions attendu le jour.

      –Il n’est plus temps de penser à cela; il est parti. Savez-vous où il est allé?

      –Il a fait porter sa malle au chemin de fer du Luxembourg. Bien sûr qu’il devait retourner dans son pays. Il est Autrichien, Hongrois.

      –Ah! c’est cela, comme elle, murmura Huret.

      Et l’agent alors, regardant la femme, n’ayant plus de réserve, en raison du départ de l’individu, lui dit nettement:

      –Voulez-vous me donner des renseignements?

      –Sur lui, votre ami?

      –Oui.

      –Oh! comme vous le voudrez.

      –Qu’est-ce qu’il faisait chez vous?

      –Rien.

      –Sortait-il souvent?

      –Jamais, le jour du moins; il sortait la nuit.

      –Ah! il sortait la nuit. Il ne recevait personne?

      –Une seule, et c’est assurément pour la voir, pendant quelques jours, qu’il était venu à Bruxelles.

      –Une femme? De vingt à vingt-cinq ans, brune, très belle?

      –Oh! oui, monsieur, c’est bien ça, une femme belle, belle.

      –Excessivement bien vêtue?

      –Des fois.

      –Comment des fois!

      –Oui. Il y avait des soirs où elle venait habillée comme une bohémienne. Alors ils partaient tous les deux et s’en allaient se promener, jamais dans Bruxelles, prenant le chemin de fer, remontant jusqu’au haut de la rue du Moulin.

      –Il y avait longtemps qu’il était arrivé?

      –Quinze jours environ.

      –Et cette femme venait le voir souvent?

      –Tous les soirs.

      –Restait-elle longtemps avec lui?

      –Cela dépendait; des fois, elle restait quatre heures; d’autres fois, une heure.

      –Cette femme. avait des relations avec lui?

      –Pardi, fit la grave Flamande en éclatant de rire, c’était sa bonne amie. Ils s’enfermaient là-haut.

      –Reconnaîtriez-vous la femme?

      –Ça, non, monsieur; les gens qui viennent chez nous, quand ils sont partis, je ne les connais plus.

      –Bien, fit Iluret voyant qu’il n’y avait là qu’une question d’argent et que, s’il en avait besoin, la femme dirait ce qu’il voudrait.

      Ils finirent leur repas; puis, ayant soldé, ils partirent.

      Chadi voulait mener Huret devant la maison où avait eu lieu la soirée; mais l’agent lui dit aussitôt:

      –Non, je sais où demeure Van Ber-Costeinn; je connais son hôtel, rue Galilée; c’est inutile. Nous allons aller à la gare du Luxembourg.

      Une demi-heure après, ils arrivaient à la gare.

      Là Chadi, sur l’ordre d’Huret, s’informait de l’heure probable à laquelle Eugène Pesth avait dû partir. Par ce train matinal, quatre voyageurs seulement avaient fait enregistrer des bagages; en payant l’employé qui avait porté les malles, il apprit que l’homme dont il donna le signalement avait pris son billet pour Cologne. N’ayant plus rien à apprendre, il redescendit, avec Chadi, vers le centre de Bruxelles, et ils rentrèrent à l’hôtel.

      Iluret se creusait le cerveau. Quel était cet homme, qui était l’amant d’Iza? Puisque, depuis quinze jours, il était à Bruxelles, il ne pouvait pas être l’auteur de l’effraction commise à Paris l’avant-veille.

      En passant devant le perron de l’hôtel, on lui remit une lettre. Il déchira l’enveloppe et lut ces quelques lignes:

      «Nous


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