Les enfants, L'élève Gendrevin. Robert 1853-1886 Caze

Les enfants, L'élève Gendrevin - Robert 1853-1886 Caze


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sur le front du petit sa grosse main où buissonnaient des poils bruns. En bas, dans la cour, un roulement de tambour annonçait l’ascension aux dortoirs.–Le vieux fit la grimace, toussota et parut un moment embarrassé. Il hésitait entre l’humanité et le devoir professionnel. Il commanda enfin:

      –Levez-vous! Donnez-moi votre pensum.

      Gendrevin lui remit quelques feuilles de papier noirci et sortit du banc-pupitre où son buste était étroitement resté emboîté. Rentré dans la grande salle des arrêts, il hasarda quelques pas pour se dégourdir les jambes. Il marcha lourdement comme les cavaliers qui viennent de fournir une longue traite ou les marins désaccoutumés du plancher des vaches depuis des mois. Il ferma les yeux un instant. La lampe de Séguin versait en effet dans la pièce une lumière violente et crue. Enfin instinctivement, René alla s’asseoir sur une chaise où il demeura sans pensée, sans parole, passif, inerte, la tête ballante, agité par des frissons intermittents. Très ébaubi, le garçon considérait, bouche ouverte, cet écolier anéanti, semblable aux monomanes mélancoliques internés das les hospices. Séguin s’était assis devant sa table et de sa belle écriture d’ancien sergent brisquard, il traçait des mots sur une feuille de papier. Mais les expressions justes ne lui venaient pas et il déchira trois pages commencées avant de pouvoir coordonner ses idées. Enfin il réussit à s’exprimer intelligiblement dans un style capitonné de pronoms relatifs. Cette besogne achevée, il plia son papier en forme de lettre, le scella au coin gauche d’un pain à cacheter violet et le remit au cuistre en disant:

      –Vous donnerez ceci à M. Desmarais, n’est-ce pas? Onésime. Et vous, Gendrevin, suivez le garçon.

      –Faut-il conduire l’élève chez le surveillant général? interrogea le domestique.

      –Mais oui, naturellement. Allons! bonsoir, Onésime.

      –Bonsoir, m’sieu Séguin.

      René eut la perception que le bourru bienfaisant venait de lui être doux et clément. Lui aussi murmura un bonsoir, auquel le vieux répondit par ces mots:

      –C’est bon! c’est bon! Vous feriez mieux d’être sage et discipliné.

      A la suite du cuistre, Gendrevin sortit des arrêts et descendit l’escalier en s’appuyant à la rampe. Chaque fois qu’il posait le pied sur une nouvelle marche, il éprouvait une forte douleur cérébrale; il lui semblait qu’un coup de marteau venait d’être asséné au-dessus de son front. Devant lui, Onésime écrasait l’escalier de son pas lourd, balançait la serviette pleine d’assiettes dont les résidus s’égouttaient à mesure que se prolongeait la descente. A chaque étage, les portes vitrées des dortoirs laissaient apercevoir dans une sorte de clair obscur des blancheurs animées. C’étaient les lycéens en chemise et en casque à mèche qui se mettaient au lit. De distance en distance des quinquets fumeux accrochés au mur de l’escalier empestaient et –leur huile tombait en perles verdâtres et sales dans des godets gras. L’enfant et le domestique parvinrent enfin au rez-de-chaussée, traversèrent des couloirs et finirent par arriver chez le surveillant général. Onésime laissa sa vaisselle à la porte, introduisit René et présenta le billet de Séguin à M. Desmarais. Le poussah sommeillait devant un feu de coke. Le bruit de la porte qu’on venait d’ouvrir le tira de sa béatitude. Il n’aperçut tout d’abord que René:

      –Encore vous, Gendrevin! clama-t-il. Quand donc se décidera-t-on à en finir avec Votre Seigneurie? Qui vous a autorisé à quitter le séquestre?

      Le collégien garda le silence. Onésime continuait en effet à tendre au surveillant général le papier calligraphié par le geôlier. M. Desmarais le prit, après avoir fait observer au cuistre qu’on n’entrait pas chez les gens sans frapper. Il se leva péniblement, s’approcha d’une lampe qui charbonnait et déchiffra la missive de Séguin. Il esquissa une grimace de figure en caoutchouc ou de masque japonais. Ses lèvres formèrent une lippe en cul de poule, ses joues se tassèrent contractées, ridées, ne laissant plus apercevoir que les deux trous noirs des narines, ses yeux roulaient étonnés et blancs. Stupéfait et incrédule en même temps, il semblait chercher une solution. Il se demandait si Gendrevin jouait la maladie ou si la punition infligée à l’enfant était vraiment cause de quelque fièvre, de la scarlatine peut-être. Puis il réfléchit qu’il n’avait aucune responsabilité dans cette affaire. Tout retombait sur le maître d’étude et le censeur. Quant à lui, il s’en lavait les mains. Après cette minute d’effarement, il souffla quelques paroles et dit à Gendrevin:

      –Je vais vous faire conduire à l’infirmerie, mais faites-y bien attention, si, demain matin, le docteur constate que vous êtes en bonne santé, le renvoi du lycée dont vous a menacé M. le censeur sera certain. Garçon, vous mènerez cet élève, n’est-ce pas? et vous prierez madame la supérieure de faire attention aux faits et gestes de ce prétendu malade.

      René ne répondit rien. Ilse sentait trop accablé, trop souffrant, trop inerte pour essayer la moindre réplique. Onésime cependant réclamait contre la corvée dont M. Desmarais venait de le charger. Il devait aller à la cuisine où des soins de vaisselle le réclamaient. Si ces allées et venues continuaient, il n’aurait pas fini à deux heures du matin sa besogne accoutumée. Le surveillant général coupa court à ces observations. Il mit le cuistre en demeure d’obéir. L’autre s’exécuta. Gendrevin et lui laissèrent M. Desmarais fort occupé à aérer son cabinet, ils sortirent et, tournant à gauche, ils descendirent dans la cour des réfectoires du moyen collège, la traversèrent, franchirent enfin un premier étage sur lequel s’ouvrait l’infirmerie.

      Dans la salle de consultation, une grande pièce meublée de deux divans recouverts de reps chocolat, d’une table, d’une armoire pharmaceutique, d’un bureau Louis-Philippe en acajou et de bancs de bois, ils trouvèrent sœur Madeleine, la supérieure. Elle rangeait en bataille sur la table des fioles aux étiquettes chargées de formules abrégées. Une odeur de remède se mêlait à la senteur fade des cataplasmes mijotant sur un fourneau à gaz, dans une chambre qui s’ouvrait sur la salle de consultation. Aucun bruit à part celui des flacons heurtés parla main sèche de sœur Madeleine dont la cornette empesée avait par instants une allure lourde d’énorme papillon blanc.

      Onésime expliqua mal à la religieuse le cas de l’élève Gendrevin. Elle dut le faire répéter et désespérant d’être édifiée, elle tourna son visage aux tons de vieil ivoire vers René qu’elle fixa de ses yeux couleur lilas. Elle demanda des renseignements au petit. Il se montra encore plus obscur que le garçon. Ses idées n’avaient plus de suite. Il parla tout à la fois de son gros chagrin, de sa gorge en feu, de l’injustice des maîtres, de la cellule froide, du pensum lourdement inintelligible, de m’sieu Séguin qui avait eu la bonté de lui laisser une lettre de maman, puis il s’arrêta demandant un verre d’eau fraîche. Sœur Madeleine fut un peu effrayée de ce flux d’incohérences que l’écolier avait essayé de relier par une série d’alors. Elle crut aussitôt à un commencement de délire, vit René fortement congestionné et comme il insistait pour obtenir un verre d’eau:

      –Tout à l’heure, lui dit-elle. Quant à vous, garçon, vous pouvez vous retirer.

      Onésime partit aussitôt et le bruit de son pas lourd se perdit peu à peu dans le silence de l’escalier.

      –Venez avec moi, mon enfant, dit la supérieure.

      Comme elle aurait fait avec un des tout petits, elle prit la main de Gendrevin et le conduisit dans un dortoir minuscule où tremblotaient les lumières de trois veilleuses qui mettaient des points errants d’or pâle sur un mur simplement orné d’un crucifix entrevu. Quand ils entrèrent, une religieuse soutenait la tête d’un malade auquel elle faisait avaler une tasse de tisane. La supérieure désigna, près d’une fenêtre où pendaient de longs rideaux de calicot blanc, un lit inoccupé:

      –Vous coucherez là cette nuit, dit-elle à René. Demain, si le docteur l’ordonne, on vous transportera là-haut, dans la salle des fiévreux. Mais ne vous déshabillez pas encore. Je vais faire bassiner le lit.

      Puis, comme l’autre


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