Les enfants, L'élève Gendrevin. Robert 1853-1886 Caze

Les enfants, L'élève Gendrevin - Robert 1853-1886 Caze


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sa philippique par ces mots: «Je compte sur vous, n’est-ce pas, monsieur Séguin? Ne passez rien à ce garnement.»

      –Soyez tranquille, répliqua le vieux en raccompagnant le surveillant général. Puis, après avoir fermé la porte d’entrée, il revint vers l’écolier et s’écria:

      –Ah! maître Gendrevin, nous nous amusons à jeter des boules de neige aux répétiteurs.

      . L’enfant leva les yeux vers le geôlier et très calme, un peu pâle, il répondit d’une voix altérée:

      –Je suis puni injustement, m’sieu Séguin, je vous le jure. C’est toujours, toujours sur moi que m’sieu Bisson tombe depuis quelque temps. Je suis sa bête noire.

      Il mit dans cette protestation tout un accent de douloureuse sincérité. Le grognard fut presque touché.

      –Il fallait dire cela au censeur, fit-il doucement.

      –Mais je le lui ai dit. Il n’a pas voulu me croire. Je ne suis pas un menteur pourtant, allez!

      Séguin hocha la tête et se mordit la lèvre. Puis, après un instant de silence, il reprit:

      –Que voulez-vous? On peut se tromper, mon pauvre enfant. Ces messieurs sont des savants, mais enfin on ne sait jamais tout. Ah! vous en verrez bien d’autres quand vous serez au régiment. C’est là que la vie n’est pas drôle.

      –Oh! je préférerais être soldat, m’sieu Séguin. Au moins les militaires sortent. Il y a une justice dans l’armée, tandis qu’ici...

      –Une justice dans l’armée, repartit le vieux, une justice dans l’armée! Ah! bien, allez-y voir. La justice c’est comme le bon Dieu! Ça existe, mais ça ne se montre pas. Quand vous aurez mon âge, vous en saurez quelque chose. Le mieux, voyez-vous, c’est encore de se soumettre au règlement. Moi je ne connais que ça. Si vous obéissiez toujours, il est probable que M. Bisson ne songerait pas à vous punir. Dans l’armée c’est comme ici. Les supérieurs s’en prennent de préférence aux indisciplinés. C’est donc bien difficile de se tenir tranquille? Mais je bavarde et vous me faites blaguer pour flâner. Connu ce tour-là, mon petit. Allons! ouste, en cage, et plus vite que ça.

      Aussitôt Séguin gonfla la ride de son front comme pour cacher la douceur de son regard. Il accentua la rudesse de sa physionomie, prit au sérieux son rôle de geôlier. Puis il s’écria d’un ton bref, en désignant une des cellules:

      –Venez par ici. Entrez là. Asseyez-vous et travaillez. Vous connaissez la consigne: cinquante vers à l’heure, défense de regarder par la fenêtre, défense de parler ou de crier, défense de rien écrire sur les murs. A propos, j’ai oublié de visiter vos poches. Donnez-moi tout ce qu’il y a dedans et ne conservez que votre mouchoir.

      Le collégien obéit. Il remit au geôlier un canif, un bout de ficelle, un porte-monnaie au cuir élimé sur lequel un décime moulait une circonférence, une enveloppe contenant une lettre.

      –Gardez ça, fit Séguin. Je ne veux pas être accusé de lire la correspondance de mes pensionnaires.

      –Merci, répliqua Gendrevin. Du reste, c’est une lettre de maman. Vous pouvez voir.

      –Non. Je m’en fiche de votre lettre. Est-ce tout?

      Le prisonnier continua à sonder ses poches et remit un cadenas à son gardien.

      –Suis-je bête, fit-il, j’ai oublié de fermer mon pupitre. Mais on perd la tête avec cet animal de pion!

      –Si je vous entends parler encore de la sorte, vous aurez de mes nouvelles, clama Séguin.

      –Mais, m’sieu, je suis sûr qu’on va chercher dans mes affaires et je serai encore puni si un livre ou un cahier me manque.

      –Tant pis! Cela vous apprendra à être désordonné. Maintenant faites-moi le plaisir de déboutonner votre tunique.

      – Pourquoi? Il ne fait pas déjà si chaud ici.

      –Dé-bou-ton-nez vo-tre tunique, monsieur Gendrevin. Je connais très bien les malices cousues de fil blanc des élèves, moi. On cache là-dessous des traductions juxtalinéaires pour faire plus vite son pensum et flâner ensuite.

      –Mais je n’ai rien à traduire. M’sieu le censeur m’a dit de scander du Virgile.

      –Ça ne fait rien, déboutonnez tout de même. Avant de grimper aux arrêts, vous avez peut-être dissimulé un roman ou un journal.

      Le séquestré se résigna. Il ouvrit sa tunique sous laquelle se trouvait un gilet veuf de boutons et qui laissait voir par l’entrebâillement de la chemise en grosse toile un peu de peau blanche.

      –Il n’y a rien là-dessous, reprit Séguin. C’est bon. Maintenant travaillez.

      Il sortit poussant la porte de la cellule sur laquelle il fit glisser deux verrous. Il ferma également le petit guichet-guillotine placé au milieu de cette porte. Ainsi il pouvait surveiller le prisonnier sans être vu de lui.

      Et Gendrevin resta dans la solitude.

       Table des matières

      Cette solitude de la prison, Gendrevin était presque arrivé à la souhaiter après deux années d’internat. Il la préférait à la vie en commun. L’isolement lui était devenu cher à mesure qu’il se trouvait davantage en contact avec ses camarades. Il n’avait rencontré en effet aucun ami au lycée où, dès son arrivée, son accent pâteux de franc-comtois avait fait le bonheur des loustics. Peu joueur, assez lourdaud, nullement expansif, il se contentait d’être un rêveur. La réclusion au moins c’était du loisir pour songer sans être distrait. Elle permettait à l’écolier de laisser galoper son esprit. En temps ordinaire, il acceptait comme une bonne diversion le séjour d’une cellule où il pouvait à peine se retourner, mais où la pensée restait libre. Sa passivité toute volontaire à subir la claustration révoltait tout le monde au lycée. Les maîtres y trouvaient l’indice évident d’une nature perverse. Les élèves riaient de l’aisance que mettait leur camarade à «grimper.»

      C’était aujourd’hui la première fois que Gendrevin n’acceptait pas sans mot dire la punition accoutumée. Personne, à part quelques lycéens, et Séguin, n’avait tenu compte de la persistance de ses dénégations indignées. Le pion, le censeur et le surveillant général les prirent pour une nouvelle forme d’indiscipline. Suivant eux, Gendrevin s’assimilait l’amour du mensonge habituel aux pires élèves, aux «indécrottables.» Condamnant sans s’en apercevoir le régime du lycée, ils mettaient les protestations de l’adolescent sur le compte de la contagion. Nul parmi ces conducteurs d’enfants ne voulut soupçonner une injustice.

      C’était pourtant d’une injustice que souffrait Gendrevin. Les arrêts, où il était monté cinq fois depuis la rentrée des grandes vacances, lui pesaient moins aujourd’hui que le manque absolu d’équité dont il était victime. Il se sentait atrocement lésé. Il était puni sans preuve, sans enquête, sans motif personnel. Pourquoi lui plutôt qu’un autre? Etait-ce donc parce qu’il ne sortait jamais, parce qu’obtenant presque toujours un assez bon rang dans les compositions hebdomadaires faites sous les yeux du professeur, il avait la plus mauvaise place à l’étude, au dortoir, au réfectoire où l’on paraissait l’exposer systématiquement aux courants d’air? Sa prodigieuse imagination exagérait naturellement tous ces mécomptes de la vie du collège. Il se jugeait volontiers un paria, un déclassé, un être à part, une sorte de bouc émissaire. Les mille et une taquineries de ses camarades, les punitions sans cesse répétées des maîtres lui laissaient dans le cœur un immense dégoût, une amertume profonde et comme un regret d’être né. Toujours, toujours une angoisse de petit martyr lui tenaillait la gorge, gonflant ses amygdales, montant jusqu’au cerveau qu’elle


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