Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878). Jules Zeller

Pie IX et Victor-Emmanuel: Histoire contemporaine de l'Italie (1846-1878) - Jules Zeller


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accepté la régence du royaume, au cri répété de: Vive la constitution! Guerre à l’Autriche! La liberté n’était pour lui que le commencement de l’indépendance. Réunir la Lombardie au Piémont, constituer un royaume d’Italie au Nord, tel était le projet qu’il avait rêvé alors avec la confédération italienne de Milan, «pour descendre,» selon la devise de sa famille, «le cours des siècles et du Pô ». Tout avait manqué. Charles-Albert avait vu le drapeau national aux couleurs blanche, verte et rouge compromis, les écrivains italiens condamnés au Carcere duro, le major Santa Rosa exilé. Il avait entendu les plaintes échappées des Prisons et de l’exil, et assisté à la restauration de Charles-Félix, qui s’était fait l’exécuteur des volontés réactionnaires des congrès autrichiens de Laybach et de Vérone. Lui-même, menacé dans ses droits héréditaires par la cour d’Autriche, mais protégé par son mariage et le gouvernement même de la Restauration française, il n’avait dû de les garder qu’à la cour de Louis XVIII.

      Roi à son tour, après la mort de Charles-Félix, depuis 1831, instruit par l’expérience, et, au début d’un règne, surveillé d’ailleurs par M. de Metternich, par ses ambassadeurs et par Rome, il s’était tenu éloigné à la fois du parti réactionnaire de la Cattolica ou des Jésuites, et des tentatives révolutionnaires, faites dans l’espoir d’entraîner la France de 1830, sous Louis-Philippe, lors des insurrections de la Romagne, du général Roussarol à Naples, et du chevalier Ricci à Modène (1833). «Mis entre le poignard des conspirateurs», disait il, «et le chocolat des jésuites,» il avait résisté même à une tentative insurrectionnelle faite contre lui par l’exilé Mazzini et le Polonais Ramorino en 1834. Mais, dès 1836, il ne s’était plus contenté de donner tous ses soins à son armée, capable en temps de guerre de mettre soixante mille hommes sur pied; il commençait les réformes que le siècle semblait demander dans ses États. Cette année même, dans l’île de Sardaigne, il avait détruit toute juridiction féodale, aboli la corvée royale, donné de certaines libertés aux conseils généraux et municipaux. En 1837, un code pour toute la monarchie était publié et reproduisait à peu près tous les principes du droit français; on n’avait à y regretter qu’une protection inefficace des cultes dissidents, une certaine exagération de la puissance paternelle, la consécration d’une partie des priviléges de la noblesse et du clergé, quelques traces de l’inégalité civile précédente, l’amovibilité des juges, l’influence encore trop considérable de l’Église et le secret de la procédure. En l’année 1840, lorsque la question d’Orient, à propos de l’Égypte, mettait en opposition la cour de Vienne et celle de Paris, ce lecteur assidu des écrivains français, de Thiers et de Guizot, avait rappelé dix mille hommes en congé et mis son armée sur le pied de guerre, pour maintenir sa neutralité contre l’Autriche, qui voulait l’entraîner. Depuis, encouragé par le succès de cet acte d’audace, et tout en maintenant au ministère M. Solaro della Margherita, il avait fait fortifier Gênes, sinon Alexandrie, soutenu de ses fonds une société d’agriculture qui détermina de réels progrès dans la pratique, favorisé chez lui la réunion de congrès scientifiques pour la propagation de l’enseignement; et tout cela avec un budget annuel de 70 à 80 millions, et des impôts dont la moyenne ne s’élevait pas, par individu, à plus de 17 francs par an!

      Il était naturel de voir ce roi s’associer à l’œuvre de Pie IX. A la fin de l’année 1846, il fonde dans les écoles de droit des chaires publiques d’histoire, de jurisprudence, d’encyclopédie du droit et de philosophie. Son exemple entraîne bientôt les souverains bien disposés. En Toscane, Léopold II, avec des ministres tels que Hombourg, Baldasseroni, Compini, avait su tenir les jésuites à distance, abolir la peine de mort, commencer des chemins de fer. Sous lui, des libéraux, tels que Capponi, Rudolfi, comte Serristori, jouissaient de l’estime générale; le professeur Montanelli élevait, hardi rêveur sous une enveloppe frêle, una ragazza, dans la spéculative université de Pise, Pisa cogitabonda, favorisée par le gouvernement, une voix libérale; dans la démocratique et commerciale Livourne, Guerrazzi donnait librement cours par des romans sceptiques à sa verve tribunitienne. Où pouvait-on être plus disposé qu’à Florence même à suivre le Vatican, quoique avec cette mesure qui convenait à une ville de mœurs douces, de confiance légère en toutes choses, séjour alors de riches ou illustres étrangers, ou d’aimables hôtes, plus faite pour être la résidence d’une société polie que le foyer d’un grand mouvement politique? Le grand-duc Léopold, vers la fin de 1846, forma donc une commission pour la réorganisation de l’enseignement et fonda une école normale, théorique et pratique. A l’exemple de ces deux États importants, près de Rome aussi, enfin, le gouvernement de Parme laissa ses municipalités protester contre les jésuites. Le duc de Lucques supprima les établissements de jeu dans ses États; on put espérer quelque chose de l’avénement de François V à Modène.

      Un fait heureux d’ailleurs se produisait. En Europe, non-seulement des nations libérales comme la France et l’Angleterre saluaient avec espoir ce réveil de l’Italie, mais le public éclairé, même dans des États dont la politique était plus conservatrice, ex primait ses sympathies pour ce beau pays, dont le climat, dont les chefs-d’œuvre, dont les souvenirs, dont les ruines, les grandeurs et les infortunes plaidaient toujours éloquemment la cause. L’Italie avait le privilège, comme la Grèce trente années auparavant, de séduire, grâce aux lettrés, aux savants, aux penseurs, aux artistes, l’opinion générale.

      Aussi ceux qui désiraient en Italie plus que des réformes, s’effacèrent-ils d’abord devant Pie IX, comme pour ne point le troubler. Il semblait que la littérature obéît à un mot d’ordre. Le politique Montanelli ne voulut point qu’on parlât encore de constitution; l’impulsion réformatrice étant partie de Rome, il désirait seulement qu’on adhérât au programme romain: «Mieux valait,» dit-il, «trois pas avec Rome que quatre sans elle.» A Turin, C. Balbo , qui ne voyait pas sans inquiétude l’entraînement enthousiaste, parfois il est vrai puéril, des manifestations et des fêtes, récusait ce qu’il appelait la politique des utopistes et des révolutionnaires; d’Azeglio disait, avec prudence, que des réformes prématurées empêchaient les réformes mûres. Et M. Petitti faisait savoir à la Revue diplomatique qu’on ne songeait en Piémont qu’à rester dans la voie des sages progrès où le gouvernement venait d’entrer. Le néo-guelfe piémontais, abbé Gioberti, venu de Bruxelles à Paris, entrevoyait la réalisation du rêve de son livre sur le Primato morale. «Il faut,» dit-il, «à l’Italie une confédération d’États, l’union non l’unité, à ces États, des réformes, à cette confédération, un chef religieux, le pape, un chef militaire, le roi de Piémont, une capitale, Rome, une citadelle, Turin.» De Paris, le chef de la Jeune Italie, Mazzini, avait dit autrefois, sans vergogne, de laisser le grand seigneur aller de l’avant, et de ménager le clergé pour leur faire faire les premiers pas, et utiliser leur influence au profit de la révolution. Maintenant il écrivait au Saint-Père comme pour abdiquer entre ses mains. Dans son livre de l’Italie dans ses rapports avec la liberté et la civilisation moderne, l’initiative du pape était pour lui le commencement d’une ère nouvelle, «En Italie,» disait-il, «c’est par les princes qu’il faut commencer. L’échelle du progrès est longue; le moyen d’aller plus vite, c’est de ne franchir qu’un degré à la fois. Vouloir prendre son vol vers le dernier, c’est exposer l’œuvre à un grand danger.» Était-il plus sincère? Toujours est-il que Ricciardi, un de ses adeptes, se montrait de son avis dans ses Conforti all’Italia. En France, l’opposition constitutionnelle, par la voix de Thiers, encourageait le Saint-Père; et le ministre du roi, Guizot, tentait seulement de modérer le mouvement pour l’assurer. Ses lettres particulières à Rossi donnent le droit de le croire. L’ambassadeur anglais, lord Minto, qui parcourait l’Italie, se montrait plus ardent, mais les sages se défiaient de ses encouragements et de ses excitations.

      La promptitude de la résolution, ou le concours d’hommes pratiques en état de réaliser les inspirations de son cœur, manquèrent-ils à Pie IX? Il fallait, après avoir proclamé la déchéance de l’ancien système de gouvernement, réorganiser promptement le nouveau, et en faire sentir de suite les bienfaits, pour être en droit de refuser des vœux encore prématurés. Pie IX avait mis à l’écart les instruments du despotisme, la justice arbitraire,


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