Le domino rose. Alexis Bouvier

Le domino rose - Alexis Bouvier


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J’aime M. Maurice, et s’il voulait être autre chose que mon mari, j’aurais la force de l’oublier!…

      –On dit cela!... mais quand on aime vraiment!

      –Je t’en supplie, Sidie, n’en parlons plus. la pensée que j’ai de M. Maurice est plus digne de lui.

      Les deux jeunes filles étaient arrivées rue de Crussol, où demeurait Mlle Sidie. Le concierge lui dit qu’un jeune homme était venu pour lui parler; ayant répondu que Mlle Sidie serait chez elle après sa journée, il avait déclaré qu’il reviendrait vers sept heures.

      –Je te laisse, dit aussitôt Renée.

      –Au contraire, fit vivement Sidie. Cela nous regarde toutes deux.

      Le regard clair de la jeune fille se dirigea interrogateur, sur sa compagne.

      –Je n’ai qu’un mot à lui dire et nous partons aussitôt. Monte avec moi.

      Renée n’avait aucune défiance; le ton léger de la grande Sidie ne pouvait faire prévoir le complot ourdi contre elle. C’est que Mlle Sidie trouvait ce qu’elle avait imaginé la chose la plus simple du monde, elle brusquait une situation qui devait avoir pour résultat de rendre son amie plus heureuse; et en faisant cela elle était convaincue que Renée serait la première à la remercier, en riant elle-même de sa conduite. Elle pensait qu’elle répéterait ce qu’elle avait dit, elle, dix ans plus tôt:

      –Est-on bête quand on est jeune fille!

      Sidie habitait, au quatrième étage, une petite chambre précédée d’une cuisine, petite chambrette de fillette, bien gaie, bien proprette, un peu trop luxueuse pour une ouvrière. Sur la cheminée, sur l’étagère, on sentait bien un peu le tourniquet des fêtes et des bals publics; les vieux saxe et les petits bronzes ne s’y faisaient remarquer que par leur absence… mais la pendule et les candélabres Louis XV étaient de bronze doré, les meubles étaient en palissandre, le lit était capitonné, les rideaux étaient de soie et laine. Quand on songeait que Mlle Sidie pouvait gagner jusqu’à trois francs par jour, on se demandait le problème résolu pour payer tout cela sur les économies réalisées.

      Ceux qui l’avaient résolu étaient récompensés; ils avaient leurs portraits bien encadrés de chaque côté de la cheminée: leur âge expliquait la facilité avec laquelle ils avaient trouvé le problème difficile.

      L’atmosphère qu’on respirait en entrant était pleine d’un parfum pénétrant et voluptueux, qui pendant quelques secondes charma Renée; elle s’assit dans un grand fauteuil.

      Sidie fouillait dans son armoire et mettait tout sens dessus dessous.

      –Bon! fit-elle, je n’ai pas de papier à lettre… forcée de descendre en chercher… quatre étages! comme c’est gai!… Je descends, Renée.

      –Ne sois pas longue.

      –Non, si l’on vient, fait entrer, que l’on m’attende, il faut que j’aille jusqu’au boulevard pour trouver un papetier.

      –Dépêche-toi!…

      –Oui! et prompte, tournant la tête afin de cacher le malicieux sourire que la réussite de sa ruse amenait sur ses lèvres, elle descendit l’escalier. Seule, Renée s’étendit sur le fauteuil, et l’œil demi clos, ses narines roses frémissantes, la bouche à demi ouverte, elle huma le parfum perfide de la chambre. Des idées étranges, nouvelles, lui traversèrent le cerveau. Les conseils de la grande Sidie prenaient des formes, elle voyait Maurice entrer dans la chambre, s’avancer vers elle, il était à ses genoux, il suppliait, il jurait un amour éternel, et ses mains étaient entre les siennes, il glissait son bras autour de sa taille, elle sentait la tiédeur de son haleine; en même temps qu’elles donnaient un baiser, ses lèvres lui disaient: je t’aime… et elle, elle s’abandonnait, elle avait des tremblements dans son être, de petites rougeurs lui venaient aux joues… A ce moment, on frappa à la porte; elle se leva, et, toute confuse de l’état inexplicable dans lequel elle se trouvait, tournant le dos à la fenêtre pour qu’on ne vit pas la rougeur que ses pensées avaient amenée sur ses joues, elle dit:

      –Entrez.

      La porte s’ouvrit et Maurice parut. On juge facilement de la stupéfaction de Renée à sa vue. Comme elle restait muette, confuse, Maurice s’avança vers elle et lui dit en souriant:

      –Vous êtes surprise, Renée, de me trouver ici?

      –Oh oui!

      –Je vous aime trop pour vous mentir; ce n’est pas le hasard qui me fait vous rencontrer, je ne venais point de la part de Rochon pour parler à Sidie, je venais pour vous voir; pour vous parler, Sidie m’avait promis qu’elle vous amènerait ici ce soir.

      –Que me dites-vous là?… Vous avez vu Sidie?…

      –Oui, en bas. C’est-elle qui m’a dit de monter.

      –Elle est avec vous?…

      –Non, elle nous laisse seuls!

      Renée fronça les sourcils, elle eut peur… elle craignait de comprendre… Aussi, c’est avec la voix tremblante de crainte et d’émotion qu’elle demanda:

      –C’est vous qui aviez convenu avec Sidie de m’amener ici; c’est vous qui lui avez dit de nous laisser seuls?…

      Maurice ne répondit pas.

      –Répondez, Maurice.

      Le jeune homme s’avança, vers la jeune fille et comme elle se reculait, il la suivit… Renée avait peur… Maurice tomba à ses genoux, et d’une voix que rien ne peut exprimer, il lui dit:

      –C’est moi, Renée, c’est moi qui ai consenti à tout cela. Je voulais être seul avec vous, pour que notre amour ne soit plus seulement un mot... Renée, je vous aime; je prévois autour de nous des obstacles à la passion qui me dévore. Renée, devant Dieu, aimons-nous sans souci des autres.

      Renée, effrayée, entendait sortir de la bouche de Maurice les mêmes paroles que Sidie lui avait dites quelques instants auparavant. Elle ne pouvait plus douter: c’était un piège qu’on lui avait tendu! Son amie l’avait livrée et celui qu’elle adorait avait accepté cette trahison! Sa poitrine haletait. Blottie dans l’angle de la chambre, elle se sentait perdue, car vainement elle essayait de parler: la voix s’éteignait dans sa gorge. Le silence enhardit Maurice. Fiévreux, tremblant d’émotion, il s’avança vers la jeune fille, lui prit les mains et, comme elle les retirait, il se leva et voulut la prendre dans ses bras en lui disant:

      –Renée, je vous l’ai juré, je le jure encore, Renée, vous serez ma femme. Les résistances que nous rencontrerions aujourd’hui s’éteindront si vous êtes ma compagne… Renée, je suis fou, mais je t’aime. Aime-moi.

      –Laissez-moi. laissez-moi, fit la jeune fille se défendant.

      –Renée, en passant le seuil de la chambre la rougeur au front, je me suis promis d’avoir le courage de la faute que j’allais commettre, sachant que mon amour pour vous pourrait m’en obtenir le pardon. Renée, c’est une folie, c’est un crime, mais je me suis juré que tu m’appartiendrais.

      La jeune fille, muette, suffoquée, se défendant vivement, retrouvait peu à peu l’énergie éteinte par la brusquerie de l’attaque, elle s’échappa des bras du jeune homme, et courant vers la porte elle dit:

      –Vous n’êtes qu’un misérable!

      Maurice avait perdu tout sentiment moral. Grisé par sa passion, ayant conçu un acte odieux, il sentait que son excuse n’était que dans la réussite; si Renée lui échappait, il était criminel et ridicule. Il courut à la porte, la ferma à clef et se plaçant devant elle, il la prit violemment en lui disant:

      –Je suis un misérable, mais tu m’appartiendras.

      Maurice


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