Le domino rose. Alexis Bouvier
assez. Tu reviendras tout seul, si tu veux; moi, j’y renonce… Ces petites crasseuses. Ah! non!
–Allons, ne dis pas de bêtises, et viens à Bullier.
–Maurice prit le bras de son ami; ils descendirent et montèrent en voiture, disant au cocher de les conduire à Bullier.
II
CE QUE VAUT L’AMITIÉ DE MADEMOISELLE SIDIE
Maurice et Rochon étaient assis devant une table dans le jardin Bullier; ce dernier, l’œil allumé, le chapeau sur l’oreille, cherchait dans les femmes qui passaient un minois engageant. Maurice, au contraire, indifférent au bruit et au mouvement au milieu desquels il se trouvait, accoudé sur la table, sa tête dans sa main, rêvait à la belle Renée.
–Te voilà encore en voyage, dit Rochon; tu leur mets des ailes sur les épaules et des rayons autour des cheveux… Mais tu en feras une maladie de ta petite ouvrière.
–Je t’en supplie, Rochon, ne continue pas; tes soupçons, ou plutôt tes inventions, me font de la peine; c’est sérieusement, c’est sincèrement que j’aime Renée.
–Eh bien, tu as de la veine!… Vrai, tu en as un béguin comme ça et tu crois qu’elle n’a aimé et n’aimera que toi?
–Rochon!…
–Enfin tu crois que toutes les deux sont des anges? Ah! ah!
Et Rochon jetant un cri et éclatant de rire, s’écria:
–Regarde donc un peu là-bas. là-bas. près de l’orchestre, les voici.
Maurice s’était levé d’un bond, son regard avide suivit la direction du bras de son ami, et douloureusement stupéfait, il reconnut la grande Sidie. Il se dirigea aussitôt vers elle, suivi par Rochon, joyeux de son triomphe. Près de Sidie, Maurice chercha Renée; il respira en voyant que la grande fille était seule, Rochon, plaçant la main sur l’épaule de Sidie lui demanda:
–Eh bien! la maman sévère vous a donc laissée sortir?
Celle-ci se retourna d’un mouvement vif, prête à parler sérieusement à celui qui l’accostait aussi singulièrement; mais en reconnaissant les deux jeunes gens, étonnée d’abord, elle tendit la main à Rochon en disant:
–Comment! vous voilà ici, vous, le rigolo?…
–Et Renée? demanda anxieusement Maurice.
Les grands yeux noirs de Mlle Sidie se dirigèrent avec un regard étonné sur Maurice.
–Est-ce que vous plaisantez?… Renée ne va pas au bal… C’est assez rare déjà quand elle reste une heure avec moi après la journée.
Le jeune homme eut un soupir de soulagement.
–Donnez-moi donc le bras, dit Rochon, fidèle à ses habitudes, et allons donc nous rafraîchir un peu.
–Je veux bien.
–Vous avez l’air plus aimable, ici.
–Moi!.... que vous êtes bête. Ici, c’est pas la même chose. Voyons, devant cette petite, vous faisiez des charges…
–Ah! c’était pour elle?
Et, se penchant vers Maurice qui marchait à côté d’eux et avec l’intention de déclarer une chose absolument incroyable:
–Mais vous savez qu’elle est sage, Renée.
–Alors il n’y a pas longtemps que vous la connaissez, dit brutalement Rochon.
–Dites donc, insolen, fit en riant la grande fille, tapant d’un éventail sur le bras de son cavalier. Puis tout à coup passant son autre bras sous celui de Maurice et attirant à elle les deux amis, elle dit en balançant la tête:
–Franchement, entre nous, c’est rudement bête une fille sage!
Maurice reçut comme un choc: il retira son bras avec dégoût.
–Tiens, qu’est ce que vous avez donc, vous?
–Rien.
Rochon s’adressant à Maurice lui dit, du ton le plus naturel du monde:
–Si tu. n’es pas bête, avec Mlle Sidie, nous pouvons causer et arranger quelque chose, pour en finir avec cette petite fille-là.
Maurice regarda Sidie, puis Rochon, et, haussant lès épaules, il ne répondit pas. On était arrivé au bosquet, Rochon y ayant fait entrer Sidie, lui dit:
–Alors, ici, c’est pas comme là-bas: on peut s’embrasser?
–Ici, oui, fit en riant la grande fille… Et s’abandonnant à son cavalier, elle fit claquer sur ses lèvres un baiser sonore. Comme Maurice les regardait, souriant d’un air moqueur, Rochon lui dit:
–Es-tu content maintenant, , ai-je raison? ça t’étourdit!
–Et vous appelez ça de l’amour? demanda le jeune homme.
–Pourquoi pas? dit Sidie.
–Oui, c’est de l’amour! du vrai amour qui consomme, et pas à la conversation. Toi, tu es tout le temps en berger Louis XV, tu veux une bergère et un mouton. Moi, voilà, j’aime mieux une belle fille et un bon verre de vin. Ça c’est pas de la comédie, ça y est. Tiens, bois ma chérie!
–Déjà! exclama Sidie en éclatant de rire.
–Moi, vous savez, je n’y vais pas par quatre chemins. A quoi ça sert-il de faire des manières pour arriver toujours au même point?…
–Quelqu’un vous plaît, il faut que vous lui plaisiez.
–C’est bien plus malin, quand je serai là dans les coins des portes avec des yeux allumés, la bouche en cœur, à faire des discours… en voilà la preuve… tu vois bien que je t’aime! et en disant ces mots, Rochon embrassa la grande Sidie. Celle-ci se contenta de rire, Rochon l’amusait.
–C’est pas tout ça, Maurice est mon ami, la petite lui a tapé dans l’œil, il l’aime.
–Oh! elle vous adore, dit Sidie à Maurice, qui devint rouge.
–Tu vois, il rougit… Si tu savais le plaisir que tu lui fais en lui disant ça.
–Du reste, monsieur Maurice est assez gentil et assez comme il faut pour ça.
–Ah bien, crois-tu qu’elle t’en flanque, de la pommade… Ma petite Sidie, il faut nous occuper de lui.
–Je t’en prie, Rochon, occupe-toi de tes amours et laisse-moi les miennes.
–Es-tu bête; tu ne vas pas toujours être comme ça à la poésie. Voyons, Sidie, elle a une corde sensible, la petite Renée?
–Ecoutez, je vas vous dire: cette enfant, c’est son premier amour, raconta Sidie; elle vous adore, monsieur Maurice, et malgré sa volonté de rester sage, je suis certaine, quoi qu’elle dise, qu’il ne faudrait que l’occasion et un peu d’audace pour qu’elle soit votre maîtresse… Il faudrait ne pas la laisser réfléchir, sinon un beau-soir, prise de remords, elle racontera tout à sa mère, et celle-ci ne la quittera plus, vous pensez bien.
Maurice, d’abord fâché du ton que prenait la conversation, écoutait plus attentivement.
–Vous concevez, avec moi, elle ne se cache pas, je sais ce que l’on peut en faire… Vous lui parlez mariage, je sais bien ce que vous en pensez.
–Vous vous trompez, Sidie.
–Mais ne vous défendez donc pas, je n’irai pas lui dire, puisque au contraire je lui dis que si j’étais à sa place, je serais moins sévère: votre position