Le domino rose. Alexis Bouvier
la bonne heure! voilà une vraie femme!... Tu n’as pas l’intention de passer ta vie à lui faire des discours, n’est-ce pas?… Eh bien, écoute Sidie.
–Que dois-je donc faire, selon vous, Sidie?
–Ecoutez, monsieur Maurice. Il faut brusquer la situation. Si vous voulez, demain je dis à Renée de venir chez moi sous un prétexte quelconque, elle vient, vous venez à votre tour, elle se récriera d’abord, mais, vous lui direz la vérité, et seul avec elle, vous ferez ce que vous voudrez.
–C’est indigne, ce que vous me proposez là, Sidie! fit le jeune homme en se levant et en quittant la table.
–Comment, indigne! fit la grande fille stupéfaite en regardant Maurice qui s’éloignait.
Rochon, haussant les épaules:
–Laisse-le donc, c’est un serin; il va réfléchir…
–Soyez donc gentille avec les amis…
–D’abord, fit en riant Rochon, sois donc aimable avec moi et ne nous occupons pas de lui, il va revenir, je le connais. Tiens, viens valser.
–Ah! vous m’agacez, vous, à me tutoyer maintenant.
–Fais donc pas de manières, viens valser.
Et en disant ces mots, sans s’occuper du semblant de résistance de la grande fille, il lui glissa la main autour de la taille et l’entraîna dans la valse.
La nature honnête de Maurice s’était révoltée à l’idée d’amener la jeune fille dans un guet a pens; il aimait véritablement Renée. Est-ce à dire qu’il pensait à en faire sa femme? Non, certainement, mais il voyait en elle plus qu’une affection passagère. En parlant de mariage à Renée, il se servait de l’éternel mensonge habituel en amour, mensonge qui n’a jamais trompé celle qui cède, mais quelle est aise d’avoir écouté et qu’elle feint d’avoir cru pour s’en faire une excuse.
Maurice aimait en heureux, en jeune, il voulait que l’ardeur, partant des lèvres en paroles brûlantes, des yeux en regards flamboyants, arrivât un jour à troubler assez les sens pour que grisé d’amour, folle de passion, embrasée de désirs, la jeune fille cédât: Mais le guet-apens tendu, la confiance trompée, la préméditation de la faute; tout cela lui répugnait.
Ce fut, pendant dix minutes, la pensée qui occupa son cerveau; puis revenant sur lui-même, il se dit qu’après tout ce que l’amie de Renée lui proposait ne devenait une lâche action qu’à la condition qu’il abusât de la situation qu’on lui faisait. Mais si, au contraire, seul avec Renée,–occasion qu’il cherchait sans cesse sans l’avoir trouvée,–il se conduisait en galant homme, c’était une délicieuse soirée qui lui était offerte. C’est sur cette idée qu’il revint à la table.
La grande Sidie, les cheveux épars, l’œil allumé, encore toute émue des caresses de la valse, était tombée sur une chaise et s’éventait, Rochon avait mis son binocle sur son nez en sueur, et regardait la marque de la bouteille de champagne qu’on lui servait, disant au garçon:
–Dis donc, toi frisé, c’est pas de la tisane que tu nous colles-là–Rochon tutoyait tout le monde –je t’ai demandé une première marque.
Apercevant Maurice qui s’avançait souriant:
–Tu viens pour savoir l’adresse de la famille, tu veux y aller du coup de l’habit noir et des gants blancs.
–Laisse-moi donc tranquille… je veux parler à Sidie.
–Il vient te demander l’adresse de ton logement.
–C’est vrai!
Sidie et Rochon éclatèrent de rire.
On entendit les accords d’une nouvelle valse, Sidie, infatigable, se leva en criant:
–La valse!
–Ah! non, fit Rochon, c’est bon une fois, je me fâcherais avec ma goutte… J’en aurais pour quatre jours de fauteuil. Non!…
–Venez, Sidie, dit aussitôt Maurice en prenant le bras de la grande fille, nous causerons en valsant.
Sidie jeta aussitôt son bras sur l’épaule du jeune homme, et son long corps eut les ondulations de couleuvre qui la rendaient si étrange.
Rochon, versant à boire, criait:
–Tu sais, ne lui fais pas de morale… Attends à demain.
Les deux jeunes gens se lancèrent dans les tourbillons de valseurs.
Et ramenant Sidie à sa place, Maurice disait:
–N’en parlez pas à Rochon, il se moquerait de moi, et ses rires me blessent… C’est convenu, à demain soir.
–J’en réponds, dit Sidie.
Rochon avait offert un verre au garçon, il avait bu avec lui, et voyant ses amis revenir et rire de le voir attablé, il fit comme eux.
–Maintenant, mon petit, dit-il au garçon, je t’ai assez vu, va à l’office.
III
LES FETITS SERVICES D’AMIE
Le lendemain de ce jour, Renée sortait de son atelier avec Sidie, celle-ci rieuse, la jeune fille rêveuse.
–Tu vas monter une minute chez moi, le temps d’écrire, et je vais à Montmartre te reconduire jusqu’à la porte de ta mère.:
–Dépêchons-nous, alors, Sidie. Hier, mère était très-inquiète; elle m’a grondée, et j’ai dû raconter que nous avions de l’ouvrage pressé qui m’avait obligée à travailler plus tard.
–C’est l’affaire de dix minutes. C’est M. Rochon qui doit m’avoir écrit ou qui est venu, et j’ai promis de lui répondre ce soir.
–Comment! il vient chez toi?
–En voilà une demande! Quelle importance ça a-t-il pour moi? Je suis libre, i ndépendante. Je ne suis pas comme toi: je ne pense pas au mariage. J’ai ma liberté, je l’aime et la veux garder.
–Tu regretteras cela plus tard, Sidie.
–Comment, c’est toi qui vas me faire de la morale?
–Pourquoi pas!
–Mais, ma chère petite, dit Sidie d’un ton protecteur, raisonnons un peu. Quelle est celle qui a raison de nous deux?… Tu es pauvre, ta mère est pauvre: ce n’est qu’en travaillant toutes deux que vous parvenez à vous suffire. Et comment, encore, ajouta la grande fille en jetant un regard plein de commisération sur la toilette de Renée. Quelle espérance as-tu? Tu épouseras un ouvrier, toi, mignonne, jolie; tu seras contrainte à faire la soupe, soigner le petit, obéir à ton homme.
–Ma mère n’a jamais fait autre chose!
–Ta mère, ta mère… Ça n’était pas comme aujourd’hui, de son temps; et puis ta mère n’a pas été mariée. Elle s’est amusée étant jeune.
–Sidie; je ne veux pas que l’on dise cela,
–Mais ce n’est pas méchamment, ma chère, que je te parle ainsi: tu sais bien que je te porte trop d’amitié pour chercher à te faire de la peine J’entends te dire, que si je trouvais celui que tu connais, c’est-à-dire, un gen! garçon, m’adorant, comme M. Maurice, je ne le laisserais pas échapper.
–Mais j’ai dit M. Maurice que sa recherche me onvenait, et qu’il ait à s’adresser à ma mère
–Voyons, tu n’es pas adroite, Renée ce jeune homme a une famille qui s’opposera assurément à son