Nana. Emile Zola

Nana - Emile Zola


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la conversation.

      — J'ai vu le roi de Prusse, l'année dernière, à Bade. Il est encore plein de vigueur pour son âge.

      — Le comte de Bismarck l'accompagnera, dit madame Du Joncquoy. Connaissez-vous le comte? J'ai déjeuné avec lui chez mon frère, oh! il y a longtemps, lorsqu'il représentait la Prusse à Paris… Voilà un homme dont je ne comprends guère les derniers succès.

      — Pourquoi donc? demanda madame Chantereau.

      — Mon Dieu! comment vous dire… Il ne me plaît pas. Il a l'air brutal et mal élevé. Puis, moi, je le trouve stupide.

      Tout le monde alors parla du comte de Bismarck. Les opinions furent très partagées. Vandeuvres le connaissait et assurait qu'il était un beau buveur et un beau joueur. Mais, au fort de la discussion, la porte s'ouvrit, Hector de la Faloise parut. Fauchery, qui le suivait, s'approcha de la comtesse, et s'inclinant:

      — Madame, je me suis souvenu de votre gracieuse invitation…

      Elle eut un sourire, un mot aimable. Le journaliste, après avoir salué le comte, resta un moment dépaysé au milieu du salon, où il ne reconnaissait que Steiner. Vandeuvres, s'étant tourné, vint lui donner une poignée de main. Et, tout de suite, heureux de la rencontre, pris d'un besoin d'expansion, Fauchery l'attira, disant à voix basse:

      — C'est pour demain, vous en êtes?

      — Parbleu!

      — A minuit chez elle.

      — Je sais, je sais… J'y vais avec Blanche.

      Il voulait s'échapper, pour revenir près des dames donner un nouvel argument en faveur de M. de Bismarck. Mais Fauchery le retint.

      — Jamais vous ne devineriez de quelle invitation elle m'a chargé.

      Et, d'un léger signe de tête, il désigna le comte Muffat, qui en ce moment discutait un point du budget avec le député et Steiner.

      — Pas possible! dit Vandeuvres, stupéfait et mis en gaieté.

      — Ma parole! J'ai dû jurer de le lui amener. Je viens un peu

       pour ça.

      Tous deux eurent un rire silencieux, et Vandeuvres, se hâtant, rentrant dans le cercle des dames, s'écria:

      — Je vous affirme, au contraire, que monsieur de Bismarck est très spirituel… Tenez, il a dit, un soir, devant moi, un mot charmant…

      Cependant, la Faloise, ayant entendu les quelques paroles rapides, échangées à demi-voix, regardait Fauchery, espérant une explication, qui ne vint pas. De qui parlait-on? que faisait-on, le lendemain, à minuit? Il ne lâcha plus son cousin. Celui-ci était allé s'asseoir. La comtesse Sabine surtout l'intéressait. On avait souvent prononcé son nom devant lui, il savait que, mariée à dix-sept ans, elle devait en avoir trente-quatre, et qu'elle menait depuis son mariage une existence cloîtrée, entre son mari et sa belle-mère. Dans le monde, les uns la disaient d'une froideur de dévote, les autres la plaignaient, en rappelant ses beaux rires, ses grands yeux de flamme, avant qu'on l'enfermât au fond de ce vieil hôtel. Fauchery l'examinait et hésitait. Un de ses amis, mort récemment capitaine au Mexique, lui avait, la veille même de son départ, au sortir de table, fait une de ces confidences brutales que les hommes les plus discrets laissent échapper à de certains moments. Mais ses souvenirs restaient vagues; ce soir-là, on avait bien dîné; et il doutait, en voyant la comtesse au milieu de ce salon antique, vêtue de noir, avec son tranquille sourire. Une lampe, placée derrière elle, détachait son fin profil de brune potelée, où la bouche seule, un peu épaisse, mettait une sorte de sensualité impérieuse.

      — Qu'ont-ils donc, avec leur Bismarck! murmura la Faloise, qui posait pour s'ennuyer dans le monde. On crève, ici. Une drôle d'idée que tu as eue, de vouloir venir!

      Fauchery l'interrogea brusquement.

      — Dis donc? la comtesse ne couche avec personne?

      — Ah! non, ah! non, mon cher, balbutia-t-il, visiblement démonté, oubliant sa pose. Où crois-tu donc être?

      Puis, il eut conscience que son indignation manquait de chic. Il ajouta, en s'abandonnant au fond du canapé:

      — Dame! je dis non, mais je n'en sais pas davantage… Il y a un petit, là-bas, ce Foucarmont, qu'on trouve dans tous les coins. On en a vu de plus raide que ça, bien sûr. Moi, je m'en fiche… Enfin, ce qu'il y a de certain, c'est que, si la comtesse s'amuse à cascader, elle est encore maligne, car ça ne circule pas, personne n'en cause.

      Alors, sans que Fauchery prît la peine de le questionner, il lui dit ce qu'il savait sur les Muffat. Au milieu de la conversation de ces dames, qui continuait devant la cheminée, tous deux baissaient la voix; et l'on aurait cru, à les voir cravatés et gantés de blanc, qu'ils traitaient en phrases choisies quelque sujet grave. Donc, la maman Muffat, que la Faloise avait beaucoup connue, était une vieille insupportable, toujours dans les curés; d'ailleurs, un grand air, un geste d'autorité qui pliait tout devant elle. Quant à Muffat, fils tardif d'un général créé comte par Napoléon Ier, il s'était naturellement trouvé en faveur après le 2 décembre. Lui aussi manquait de gaieté; mais il passait pour un très honnête homme, d'un esprit droit. Avec ça, des opinions de l'autre monde, et une si haute idée de sa charge à la cour, de ses dignités et de ses vertus, qu'il portait la tête comme un saint-sacrement. C'était la maman Muffat qui lui avait donné cette belle éducation: tous les jours à confesse, pas d'escapades, pas de jeunesse d'aucune sorte. Il pratiquait, il avait des crises de foi d'une violence sanguine, pareilles à des accès de fièvre chaude. Enfin, pour le peindre d'un dernier détail, la Faloise lâcha un mot à l'oreille de son cousin.

      — Pas possible! dit ce dernier.

      — On me l'a juré, parole d'honneur!… Il l'avait encore, quand il s'est marié.

      Fauchery riait en regardant le comte, dont le visage encadré de favoris, sans moustaches, semblait plus carré et plus dur, depuis qu'il citait des chiffres à Steiner, qui se débattait.

      — Ma foi, il a une tête à ça, murmura-t-il. Un joli cadeau qu'il a fait à sa femme!… Ah! la pauvre petite, a-t-il dû l'ennuyer! Elle ne sait rien de rien, je parie!

      Justement, la comtesse Sabine lui parlait. Il ne l'entendit pas, tellement il trouvait le cas de Muffat plaisant et extraordinaire. Elle répéta sa question.

      — Monsieur Fauchery, est-ce que vous n'avez pas publié un portrait de monsieur de Bismarck?… Vous lui avez parlé?

      Il se leva vivement, s'approcha du cercle des dames, tâchant de se remettre, trouvant d'ailleurs une réponse avec une aisance parfaite.

      — Mon Dieu! madame, je vous avouerai que j'ai écrit ce portrait sur des biographies parues en Allemagne… Je n'ai jamais vu monsieur de Bismarck.

      Il resta près de la comtesse. Tout en causant avec elle, il continuait ses réflexions. Elle ne paraissait pas son âge; on lui aurait donné au plus vingt-huit ans; ses yeux surtout gardaient une flamme de jeunesse, que de longues paupières noyaient d'une ombre bleue. Grandie dans un ménage désuni, passant un mois près du marquis de Chouard et un mois près de la marquise, elle s'était mariée très jeune, à la mort de sa mère, poussée sans doute par son père, qu'elle gênait. Un terrible homme, le marquis, et sur lequel d'étranges histoires commençaient à courir, malgré sa haute piété! Fauchery demanda s'il n'aurait pas l'honneur de le saluer. Certainement, son père viendrait, mais très tard; il avait tant de travail! Le journaliste, qui croyait savoir où le vieux passait ses soirées, resta grave. Mais un signe qu'il aperçut à la joue gauche de la comtesse, près de la bouche, le surprit. Nana avait le même, absolument. C'était drôle. Sur le signe, de petits poils frisaient; seulement, les poils blonds de Nana étaient chez l'autre d'un noir de jais. N'importe, cette femme ne couchait avec personne.

      — J'ai toujours eu envie de connaître la reine Augusta, disait-elle. On assure qu'elle est si bonne, si pieuse… Croyez-vous qu'elle accompagnera le roi?

      —


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