Études: Baudelaire, Paul Claudel, André Gide, Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgsky, Debussy…. Jacques Rivière
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Jacques Rivière
Études: Baudelaire, Paul Claudel, André Gide, Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgsky, Debussy…
Ingres, Cézanne, Gauguin
Publié par Good Press, 2021
EAN 4064066078416
Table des matières
UNE EXPOSITION DE HENRI MATISSE
UNE EXPOSITION DE GEORGES ROUAULT
LES ŒUVRES LYRIQUES DE CLAUDEL
LA PASSION SELON SAINT JEAN DE J.-S. BACH
ARIANE ET BARBE-BLEUE DE PAUL DUKAS
LA RHAPSODIE ESPAGNOLE DE RAVEL
PELLÉAS ET MÉLISANDE DE CLAUDE DEBUSSY
LES POÈMES D'ORCHESTRE DE CLAUDE DEBUSSY
LES SCÈNES POLOVTSIENNES DU PRINCE IGOR , DE BORODINE
I
Poésie gouvernée
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large[1].
Et toujours elle semble sous la barre décrire une courbe appuyée. Elle est docile et pleine. Elle vogue obéissante, avec sa fantaisie ployée. On n'y trouve jamais de ces vers qui s'empressent dans une interminable voie droite, qui s'ajoutent les uns aux autres, qui se multiplient spontanément. Mais chaque pièce est le détour pur d'un courant, la fidélité de l'eau entre des rives tournantes.
Cette poésie conduite entraîne dans son nombre tous les mots. Les plus rares y sont pris avec les plus familiers, les plus humbles avec les plus hardis. Mais, plongés dans le sûr et délicat mouvement de l'ensemble, aucun ne surprend. Etrange train de paroles! Tantôt comme une fatigue de la voix, comme une modestie soudaine qui prend le cœur, comme une démarche pliante, un mot plein de faiblesse:
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur[2].
Ou bien:
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures[3].
Subtile restriction qui vient diminuer la densité du vers. Choix de la petitesse. Compromis avec le silence.
Tantôt au contraire les mots les plus forts se débattent emportés, étouffés. Ils roulent sans cri. Ils ont été arrachés aux rives et se perdent dans la puissance muette et contenue du cours poétique:
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron[4].
Sur ses poèmes le poète ne cesse d'exercer son empire. Il les mène, lents et suivis. Il fléchit à son gré leur intention. Il les dirige par l'influence de son goût. Il aime appeler à son service les mots imprévus,—on pourrait presque dire saugrenus. Mais c'est pour réduire aussitôt leur étrangeté, pour faire couler sur elle une harmonie, pour modérer l'écart que par caprice il ouvrit[5]. Comme ceux qui se sentent parfaitement maîtres de ce qu'ils veulent dire, il cherche d'abord les termes les plus éloignés; puis il les ramène, il les apaise, il leur infuse une propriété qu'on ne leur connaissait pas.
Il est poète, c'est-à-dire qu'il façonne des vers comme un ouvrage audacieux, utile et bien calculé.
Une telle poésie ne peut pas être d'inspiration. Elle a des élans sans doute, mais qui ne sont que la délivrance de la faculté poétique en travail. Baudelaire lui-même se décrit en train d'errer et
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés[6].
Le jaillissement des phrases qui semblent le plus spontanées, est toujours comme une subite solution, comme un éclair préparé. Et de même que la pensée qui monte, enfin déliée, s'arrache sans hâte à l'obscurité qu'elle fut, de même le jet poétique retient de sa longue virtualité une lenteur:
J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre[7]...
Il est solitaire comme une grande fleur. Jamais chez Baudelaire les images ne foisonnent sur place ainsi que chez les inspirés. Le poète a horreur des situations poétiques, des idées dont la simple énonciation fait bondir à l'entour les métaphores comme