Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains. Han Ryner

Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains - Han Ryner


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      Comment Barbey d'Aurevilly définit-il le bas-bleu?

      «C'est la femme qui fait métier et marchandise de littérature. C'est la femme qui se croit cerveau d'homme et demande sa part dans la publicité et dans la gloire... Les femmes peuvent être et ont été des poètes, des écrivains et des artistes dans toutes les civilisations, mais elles ont été des poètes femmes, des écrivains femmes, des artistes femmes... Quand elles ont le plus de talent, les facultés mâles leur manquent aussi radicalement que l'organisme d'Hercule à la Vénus de Milo.» Le bas-bleu méconnaît cette nécessité d'histoire naturelle.

      Dans un livre récent de Mme Alphonse Daudet, je trouve une tentative de définition: «Ce que nous appelons le bas-bleu, la femme se servant d'un art comme d'une originalité très voulue, en faisant un moyen d'effet ou de séduction, ou de satisfaction vaniteuse.» Et Mme Daudet prétend qu'il n'y a pas de bas-bleus en Angleterre, parce que les femmes écrivains y sont travailleuses et pratiques. Elle ajoute qu'elles y «restent femmes et très femmes».

      Interrogeons un dictionnaire. Littré dit: «Bas-bleu, nom que l'on donne par dénigrement aux femmes qui, s'occupant de littérature, y portent quelque pédantisme.»

      

      La définition de Littré manque de précision. Certes, le bas-bleu est pédant, mais il faut déterminer la nature de son pédantisme et de sa prétention.

      Mme Daudet semble sur un point contredire Barbey d'Aurevilly. Pour elle, le bas-bleu est un amateur. D'après d'Aurevilly, au contraire, il «fait métier et marchandise de littérature». Ils se trompent l'un et l'autre: il y a des bas-bleus amateurs et des bas-bleus professionnels.

      Hommes ou femmes, ceux qui «font métier et marchandise de littérature» sont des prostitués: je les méprise également. Mais le bas-bleu, qui peut être méprisable de cette façon, l'est toujours d'une autre. Qu'il se donne ou qu'il se vende, ce qui lui vaut un nom spécial, c'est qu'il donne ou vend des apparences et des déceptions. Il n'écrit pas des livres de femme. Amante ou catin, il s'y refuse. Il est l'orgueilleuse amazone à qui il faut des victoires et des maîtresses. Apparente androgyne qui repousse son rôle naturel et, naïvement ou perversement, fait l'homme. Ange inepte qui se trompe, ou succube inquiet qui veut à son tour être l'incube.

      Ce qui constitue le bas-bleu ou amazone, c'est qu'un léger développement de ce qui semble viril en elle lui fait croire qu'intellectuellement elle est un homme. Son ridicule crime cérébral mérite d'être sifflé comme la ridicule perversité sensuelle de telles névrosées, muses de ce pauvre Mendès. Balzac définirait le bas-bleu: «la fille aux yeux d'or de la littérature».

      Il y a des hommes,—on les appelle parfois féministes,—qui, pour s'attirer une clientèle de lectrices, essaient d'écrire en femmes. Ces déguisés no sont pas moins grotesques que les bas-bleus. En citerai-je quelques-uns? Nommerai-je ces hermaphrodites: les Henri Fouquier, les Catulle Mendès, les Marcel Prévost, les Jules Bois, les René Maizeroy? Je ne puis m'attarder en ce moment à la revue des chaussettes-roses. Mais elles sont les alliées des bas-bleus, et il faudra bien les massacrer à leur tour.

      Eunuques et amazones, bas-bleus et chaussettes-roses, je les hais également, parce qu'ils contribuent également à tuer une moitié des lettres françaises, à empêcher l'expression de tout un sexe, à priver notre époque d'une vraie littérature féminine.

      

       Table des matières

      Le hasard, bien méchant parfois, me fait lire en une semaine trois livres de bas-bleus: Mater gloriosa, de Paul Georges; Joie morte, de Jean Laurenty; Un vicaire parisien, de Paul Junka. Trois pseudonymes virils, car l'ambition du bas-bleu est la même que celle de l'enfant: il veut faire l'homme.

      Dans un journal hebdomadaire où je faisais la critique littéraire, j'étudiai, sous le titre Bas-Bleus, trois femmes qui venaient de publier en même temps. Mon article souleva des protestations et des encouragements. Mon amour de la bataille s'exalta quand j'aperçus, derrière les premières troupes rencontrées, l'innombrable armée des amazones.

      Je reproduis presque textuellement cet article. Je ne change guère que le titre,—trop général pour désigner un simple fragment.

      Le hasard eut pour moi quelque attention malicieuse: il diversifia mon supplice, me fit rencontrer trois variétés assez distinctes de l'écœurante espèce.

      Paul Georges est le bas-bleu naïf et petite fille. Les premières minutes, on éprouve je ne sais quel puéril et rafraîchissant plaisir à l'écouter balbutier, et blaiser, et bégayer, et zézayer. Mais il dure des heures, ce bavardage enfantin auquel, d'abord, on sourit; et on se sent noyé sous un flux lent d'ennui et d'ensommeillement.

      Jean Laurenty est le plus ridicule et le plus fanfaron des bas-bleus. Elle veut conquérir notre admiration en faisant étalage de pensée et d'indépendance. Elle essaie le tour de force, elle se baisse pour soulever des poids de cinquante et de cent kilos, ne soulève rien, ne se relève même pas. Toute courbée, la main prise dans l'anneau, le corps prisonnier de la pesanteur, l'inconsciente croit au résultat parce qu'elle sent la fatigue, et elle réclame «un petit bravo, pour encourager l'artiste.»

      Paul Junka est ce qu'il y a de mieux dans le genre: le bas-bleu qui a presque du talent.

      Et les trois se ressemblent étrangement, frères de laideur.

      

      Le bas-bleu est vaniteux; le bas-bleu est soumis. Tels les hommes qui font des platitudes pour obtenir la croix d'honneur. Car le bas-bleu réussit à ne pas trop différer des hommes lâches et incomplets, de ceux dont on dit qu'ils ne sont pas des hommes.

      La prétention intellectuelle du bas-bleu et sa soumission d'esprit se concilient en pédantisme. Paul Georges donne à son livre un titre latin. Paul Junka cite, toujours en latin, de nombreux passages des Écritures. La puissance de pensée de Jean Laurenty est faite de citations, parfois avouées, de Baudelaire, de Pascal et surtout de Schopenhauer. Les marionnettes qu'elle désire sympathiques lui ressemblent: un poète, voulu intelligent et séduisant, pousse dans un fiacre une jeune femme très bien douée, elle aussi, et, pour faire sa cour, récite: 1o un sonnet de Baudelaire; 2o vingt-sept lignes de Schopenhauer. Puis il débite une incohérente théorie sur l'anarchie, et finit par s'excuser d'avoir été un peu «pédagogue.» Mais la jeune femme se récrie, sincère, et l'accuse de coquetterie. Ailleurs, une cocotte, causant avec son amant de cœur, s'écrie: «Oh! qu'elle est profonde, cette rêverie du grand Schopenhauer!» et elle cite seize lignes. En une page d'un livre précédent, cette pauvre Laurenty résumait les doctrines des philosophes sur l'absolu. Elle mettait l'inepte dissertation dans la «bouche de colibri» d'une jeune fille idéale qui débutait ainsi: «L'absolu, du latin absolutus...» Un certain Fernand Hauser, lamentable journaleux, connu de quelques-uns pour son ignorance encyclopédique, fut ébloui et attribua à l'heureux auteur qui possédait un Larousse une «érudition de bénédictin.»

      Et, en effet, le bas-bleu sait tout, latin, droit, philosophie, médecine surtout, un peu comme les filles du quartier des Écoles, pour des raisons qui peuvent être différentes, qui peuvent aussi être les mêmes.

      Le bas-bleu sait tout, excepté le français. Jean Laurenty nous montre une mère qui «rapporte sur son fils toute l'exaltation de son âme» et nous annonce que la «tendresse féminine de


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