Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains. Han Ryner

Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains - Han Ryner


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comme des costumes de carnaval qu'un bourgeois de Genève voulut dessiner élégants; gentils parfois dans Henry Gréville comme des femmes presque spirituelles qui papottent presque ivres. Dans Camée ou dans Cécile Cassot ils effarent par la platitude de leur fantaisie et l'ordinaire de leur imprévu. Comment s'intéresser à des marionnettes dont les gestes sont si gauches, si mesquins et mous, si dépourvus de signification?

      Madame Tola Dorian, qui est Slave, a essayé de nous expliquer sa race. Des nouvelles peu lisibles, commentées d'une prétentieuse préface, veulent nous dire l'Ame slave, et on nous promet d'autres nouvelles qui étudieront les chevaux russes. Car madame Dorian a cette élégance cosaque d'aimer littérairement le cheval. Elle nous informe que son dernier petit livre, Félicie Ariescalghera, fut écrit au «chalet des chevaux». Je lui ferai sans doute plaisir et j'accomplirai un devoir en posant la candidature à la gloire du vers où nous émeuvent simultanément

      Les sanglots des Christs... le mutisme des chevaux.

      Nous ignorons encore le secret des discrets chevaux tusses, et il faut nous contenter des révélations sur l'âme slave. Or l'âme slave,—la préface nous l'affirme et les nouvelles croient nous le démontrer,—l'âme slave, c'est de l'eau. Marguerite Poradowska, se souvenant peut-être de la Dorian, qu'elle vaut mille fois, mais que son snobisme doit respecter sous deux prétextes (Tola Dorian est presque célèbre et elle pourrait signer princesse Mertchersky), applique à une de ses héroïnes le vers de Slowacki:

      O flot... flot infidèle, et pourtant si fidèle.

      Je songe au «Perfide comme l'onde», et je me demande si les hâtifs donneurs d'explications auraient raison et si l'âme slave serait particulièrement féminine.

      Je n'en crois rien. Tolstoï, Dostoiewski, combien d'autres encore, m'apparaissent singulièrement plus virils que nos chaussettes-roses, aussi virils que les plus puissants de nos hommes. Mais il est commode à notre paresse de déclarer mystérieux la femme et le Slave. Et je ne m'étonne pas qu'une femme soit flattée d'être un mystère «greffé» sur un mystère. La petite vanité des Tola Dorian et l'inertie intellectuelle des Camée échangent des sourires bienveillants.

      Je n'essaierai point de définir l'âme slave. Question trop éloignée de mon sujet, et que je n'ai guère étudiée. Les Cassot ou même les Henry Gréville ne me seraient pas d'un grand secours pour la résoudre.

      Je vais continuer, modeste, ma tentative de déterminer un peu l'âme et l'esprit d'une certaine femme slave, l'âme et l'esprit de Mme Tola Dorian.

      

      Mme Dorian est une Slave singulièrement francisée: elle habite Paris; elle y dirigea un théâtre; elle emploie notre vocabulaire et daigne quelquefois obéir à notre syntaxe. Et elle s'est bizantinisée à la fréquentation admirative de nos plus prétentieux esthètes. Elle habille sa pensée, comme une icône, de vêtements lourds, surchargés d'ors, sans grâce, qui lui semblent somptueux et qui sont grotesques. Elle tient trop à émerveiller pour ne point faire rire. Elle s'est germanisée aussi à la lecture de Schopenhauer,—que, décidément, nos actuels bas-bleus vengent bien du dédain de ses contemporaines,—et de Mme Ackermann. Elle est complexe et artificielle, toute en jeux de surface, pauvre Isis faite de voiles abondants, de roides broderies dressées autour de rien.

      Je m'arrête et je me calme. Irrité par les inepties des Roses remontantes et de Félicie Ariescalghera, je viens d'être injuste pour les Vespérales. C'est bien mauvais aussi, les Vespérales, presque jusqu'à la fin. Mais la dernière pièce gronde une révolte noble et qui ne manque pas de puissance. Le poète (car ici, mais ici seulement, Tola Dorian mérite ce titre) s'adresse à Ishmaël, fils d'Agar et d'Abraham, chassé au désert par son père:

      Tes fils, pareils aux fils des louves et des merles,

      Ne gardent pas le souvenir de leurs berceaux:

      

      Ils ignorent la terre où dormiront leurs os:

      Ta race est un collier d'où s'égrènent les perles

      Qui roulent sur le sable, ou sombrent sous les flots.

       . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      Le mur de leur orgueil est l'horizon sans borne

      Dont leur âme est l'oiseau superbe et plein de cris.

      Père des sans-famille et de ceux que l'on chasse

      De peur de voir leurs yeux braqués sur les clartés,

      D'entendre leurs clairons creux, emplis de menace,

      —Josués de nouveaux Jérichos,—quoi qu'on fasse,

      Sonner l'écroulement des fétides cités;

      Viens nous frayer, ô Toi, maudit par les Ancêtres,

      Enfant d'Agar, superbe esclave, égal aux rois,

      Des sentiers inconnus vers des plaines sans Maîtres,

      O Pasteur du troupeau libre et puissant des Êtres

      Que jamais n'effleura nulle honte et nul poids.

      Malgré la construction peu aimable de la dernière période, malgré ces vocatifs inharmonieusement dispersés, chevaux attelés devant la charrette, attachés derrière, montés dedans; malgré des termes impropres, et de malheureuses recherches d'effets (quelle absurde antithèse que ce «troupeau libre et puissant!»): j'admire le mouvement lyrique et certains détails de cette pièce. Et je m'élance à des espoirs, vite déçus, quand j'entends d'autres cris de révolte: Tola Dorian ne retrouve jamais cette éloquence directe et cette poésie simple. Partout ailleurs, elle s'amuse à d'irritantes subtilités de pensée, de vocabulaire ou de rythme.

      Si elle se disait avec moins de prétention et de recherche, je crois que Mme Dorian nous intéresserait aussi par certains accablements mélancoliques. Ici je ne puis rien citer à l'appui de mon sentiment: cette tristesse, que je crois deviner sincère et d'une nuance un peu nouvelle, je ne la trouve nulle part exprimée sincèrement. Toujours le cabotinisme des mots choisis pour leur étrangeté, des phrases tordues en poses impossibles, des allitérations cliquetantes. Car cette éphémère directrice de théâtre fut toujours cabotine, ne permit guère à ses douleurs les plus senties de s'exprimer spontanément. Ses vers, qu'elle offre pieusement «aux Mémoires de ce qui ne fut pas», ont presque toujours la profondeur limpide de la dédicace.

      Souvent ils coulent puérils et brillants en litanies interminables, hérissées de majuscules, colliers dénoués de verroteries grossières, aux formes bizarres, mal arrondies. Naturellement, il ne faut chercher aucune pensée dans les pièces composées de la sorte. C'est un cliquetis de mots singuliers, un chatoiement de rythmes étranges:—capharnaüm de clinquants, de cailloux rares, de perles fausses, au milieu desquels joue un enfant barbare.

      Voici deux des musiques rauques et une des pauvres flûteries dont se réjouit l'enfant barbare. Recueillez pieusement ces précieuses allitérations:

      Sans flux et sans reflux, ton flot déferle et roule.

      Par bonds et par rebonds se cabrant, ta marée.

      Endormi sous sa houle, Endormeur il roucoule.

      Cueillons encore un hémistiche harmonieux et «une rose jaune or» et laissons-nous attrister ou égayer par un ciel «livide et vide de vie».

      Parmi ce mauvais trop travaillé signalerai-je des négligences? Dans la même strophe où Mme Dorian fait avec raison le mot «sentier» de deux syllabes, pourquoi en accorde-t-elle trois à «chantier» et à «altier».—Elle a le soin louable d'ajouter un errata à son dernier recueil. J'y trouve cette indication:

      «Page 25, 7e vers, au lieu de:

      Sa rumeur murmure effrénée

      Lisez: Sa rumeur mugit effrénée


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