Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains. Han Ryner

Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains - Han Ryner


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avec laquelle les premiers livres de Mme Gréville tombaient sur les lecteurs, tout en signalant «la fadeur et la fadaise» des sujets, il se laissait entraîner pourtant à des louanges. Il était séduit par ce qui restait de féminin en ces printanières écritures, se félicitait de rencontrer seulement un «bas-lilas». Mais il s'effrayait pour bientôt, sentant poindre le «bas-bleu dans toute sa ridicule laideur». Les prévisions pessimistes se sont réalisées au point de rendre étonnants, malgré ce qu'ils ont d'inquiet et de tremblant, les éloges.

      C'est par leur beau moment qu'il faut juger êtres et choses. Il convient de regarder dans leurs jolis portraits d'autrefois les femmes vieillies et de lire dans leurs premiers livres les écrivains qui depuis se sont industrialisés. Je renvoie donc à l'article de Barbey d'Aurevilly et à Dosia, qui ne vaut pas tous les applaudissements du critique trop indulgent ce jour-là, mais qui est un roman frêle et frais, gracieux et spirituel suffisamment, digne de faire oublier, sinon pardonner, l'abondant fatras qui a suivi.

      Si personne n'a parlé d'une certaine Camée qui vient de publier Un amour russe, ce n'est pas une raison pour que je bavarde longuement autour de ce vide. Son livre est l'histoire, très nouvelle, des amours d'un précepteur avec la mère de ses élèves. Vous pouvez traduire le «russe» du titre par capricieux. Car la maman, sous prétexte qu'elle est Slave, accomplit les plus naïves extravagances. C'est une gamine mal élevée que Camée a fabriquée, sans doute, avec des souvenirs puérils, à qui elle a donné de l'âge et deux enfants sans rien modifier au caractère boudeur et violent. Une sorte de duc de Bourgogne femelle que la vie,—plus puissante pourtant que Fénelon,—n'a pu apaiser. Camée cherche avec candeur le secret des sottises qu'elle lui attribue «dans le caractère slave particulier greffé sur le caractère général féminin». Cette ligne, qui me dispense de juger l'écriture, n'est pas même une apparence d'explication, car le précepteur, Français, sans excuse de féminisme ou de slavisme, n'est pas moins absurde que sa maîtresse. Voulez-vous comprendre les gestes anguleux et criards de vos marionnettes, ô mélodramatique Camée? Deux mots suffisent: vous êtes restée une toute petite fille, et vous avez étudié la vie dans les livraisons qui, pour dix centimes, donnent aux enfants comme vous une image et une bonne tartine de roman au miel ou à la moutarde.

      Marguerite Poradowska est bien supérieure, mais je lui garde rancune d'une déception. Les quarante premières pages de sa Marylka m'ont charmé. Les Slaves que j'y rencontrais n'étaient plus ces Russes dont on nous obsède, mais de braves Polonais qui, à force d'être oubliés, me semblaient tout nouveaux. Et les portraits me donnaient une impression de vérité originale. «Tour à tour rêveurs mélancoliques et passionnés fougueux», ces gens-là agissaient en grands enfants généreux; leurs gestes, nécessaires et inattendus, exprimaient, en brusques éclats, des sentiments de toujours. Telle de leurs violences me paraissait poétique et logique comme un incendie qui couva longtemps, deviné par de vagues inquiétudes et d'hésitants pressentiments, et qui, tout à coup, surgit, catastrophe inévitable et spectacle merveilleux. Je m'étonnais même que cet écrivain vivant, personnel et vrai, eût vu deux de ses livres couronnés par les vieillards verdâtres dont la Morgue porte le nom prétentieux d'Académie française. Hélas! j'ai trop compris ensuite le déshonorant succès. Le roman bientôt arrive, intrigue indifférente lue mille fois, et les nécessités de la pauvre fable faussent et banalisent les caractères. Le style même perd peu à peu sa vie capricieuse et jolie, marche égal, somnolent, sur la grand'route grise et plate de la perfection académique.

      Cécile Cassot montre alternativement son impuissance dans toutes les espèces du roman; à son comptoir vous trouverez un grand assortiment de rossignols ridicules feuilletons, illisibles romans historiques, idylles naïves,—oh! oui,—où les paysannes reprochent aux paysans d'«éluder» telle «réponse directe.» Malgré sa virilité, cette amazone a, comme beaucoup d'autres, l'abondance fade et dégoûtante. Elle me fait penser à quelque paradoxale brebis,—suis-je poli aujourd'hui!—qui répandrait partout sur son passage des flots de petit-lait.

      Cette Cassot possède, à un degré éminent, toutes les admirables qualités du bas-bleu. Elle a, autant que n'importe quel orateur politique, le génie de l'imprécision. Le bavard précipite les premiers mots qui se présentent et, comme les petits germes de pensée qu'il expulse ne sont encore que de vagues gélatines, il a peut-être raison d'exprimer au hasard ce banal inexprimable. J'applaudis Cécile chaque fois qu'elle déclare que «c'est un non-sens» d'aimer celui-ci ou celle-là, et je fus charmé le jour où elle entendit une «voix métallique» qui «contenait des grondements intempestifs».

      Le génie du pléonasme est aussi pour beaucoup dans la puissance des bavards. La Cassot ne dit guère: «Cela ne se pouvait pas» sans ajouter: «Cela ne pouvait pas être.» Elle écrit avec sérénité: «Tes ennuis, je les éprouve, puisque je les partage.» Elle m'amuse surtout quand elle s'applique: «Ma pensée ne serait-elle pas toujours maintenant suspendue au point d'interrogation que je ne cesserais de me poser?» Malheureusement elle oublie de renverser le point d'interrogation, à l'espagnole, pour mieux figurer le crochet à suspendre les pensées de toutes les larves céciliennes. Et pourtant le point d'interrogation inspire toujours cette fille d'Eve: «Il ne cessait de retourner en tous sens le point d'interrogation qui restait muet comme le sphinx accroupi sur le tombeau égyptien.» J'ai noté ces quelques traits, avec beaucoup d'autres, dans la Fille d'un assassin, livre émouvant et profond où tout arrive au hasard et où chaque personnage, chaque fois qu'il doit agir, change de caractère. Et Cécile Cassot, ingénieuse philosophe, conclut de ses propres incohérences qu'«il y a une destinée» qui «à un moment donné», fait «entendre sa voix à celui qu'elle veut perdre ou protéger».

      Les pauvres tentatives de Cécile vers tous les genres me permettaient de la jeter dans ce chapitre ou de l'épingler dans toute autre boîte de ma collection, ou de la laisser tomber parmi les déchets. L'honneur de coudoyer la petite Camée, elle le doit à la poétique Yvana, jeune Russe que le comte de Moussac acheta à des Bohémiens, et dont la Cassot nous conte l'histoire sous ce titre: Comment ils l'aiment. Cécile admire haineusement cette femme fatale et incompréhensible, «toujours sur la brèche du caprice», «petite âme de Slave à la fois cruelle et dominatrice», «figure muette sans écho», qui «devait planer comme une ombre» et qui «avait dû boire le lait d'une tigresse». Sachez encore qu'elle «possédait un immense orgueil, prêt à damer le pion» même à l'orgueil nobiliaire, et que «le comte avait en elle à la fois un camarade, un ami, un bouffon, une fille et une compagne». Madame Cassot, qui dut être, j'imagine, une institutrice au style incorrect et aux manières timides, s'effare devant cette «nature violente, emportée», et conclut le portrait par cette ligne infiniment instructive: «Cette fille, c'était l'inconnu.»

      Hélas! il y a le Slave conventionnel, comme il y a l'Anglais de vaudeville ou l'Italien romantique, et les romanciers de tous sexes, hommes, femmes ou suisses, Barbey d'Aurevilly, Henry Gréville ou Cherbuliez, le font parader avec joie, parce que, paraît-il, sa psychologie ondoyante supprime l'impossible et l'invraisemblable. Le Slave de convention se divise en deux types principaux: le Polonais, très en dehors, Gascon de l'Orient; le Russe, dont la folie est plus rêveusement inquiète. Les deux arbres sont bizarres et indéterminés, le premier surtout par les découpures inattendues de ses feuilles, toujours agitées et bruissantes, le second plutôt par les bizarreries sinueuses de la multiple et divergente vie souterraine de ses racines. Inutile de dire que la mode actuelle est au russe.

      Les deux types sont également commodes, permettent toutes les fantaisies, excusent toutes les extravagances, autorisent à donner comme vraies les plus ineptes imaginations du roman d'aventures héroïques et du roman d'aventures psychologiques. Voici des gens dont l'âme semble un peu différente de la nôtre et dont les gestes s'agitent autrement. Les superficiels déclarent indépendants de toute loi les phénomènes dont ils ignorent la loi et en attribuent la surprenante apparition au hasard ou au caprice. Les mots caprice ou hasard sont d'orgueilleux refus d'explication et une façon présomptueuse d'attribuer aux choses l'ignorance de notre esprit. Mais le physicien n'affirmera jamais qu'un fait s'est produit sans cause ou que n'importe quelle cause peut être suivie de n'importe quel effet. Nos prétendus psychologues sont plus hardis.

      Et


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