Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains. Han Ryner
femme, d'une infidélité passagère: «Cette prétendue trahison ne compte pas... Une minute d'emportement; j'ai vu rouge!...»
Le bavardage étourdi du bas-bleu l'entraîne à des Lapalissades: «Et pour oublier, tu viens chercher l'oubli...» Elle met toujours deux verbes au lieu d'un, remarque rarement si l'un est neutre et l'autre actif. Et elle dit, avec tranquillité: aimer à quelqu'un. «Elle se reproche parfois de ne pas assez aimer son fils, de trop aimer, de trop penser à Hugues.» «La supplier à genoux d'abandonner, de renoncer à mon enfant.» Je m'arrête. Dans le seul livre de Laurenty, j'ai copié quatre pages de citations aussi précieuses.
Sauf de rares exceptions, la petite Paul Georges écrit correctement et banalement. Le style de Paul Junka est moins mauvais, gris et terne sans doute, mais, dans son anémie, frémissant d'un peu de vie, avec, çà et là, une trouvaille de mots presque jolie. On y rencontre aussi, mais plus rarement, la métaphore incohérente: «Ces araignées de sacristie qui sont la lèpre de l'église;»—l'incorrection: l'abbé n'est point coupable, «mais je l'en aurais cru»;—la préciosité prétentieuse: «Les moindres paroles» des fiancés «semblaient coulées dans le miel emprunté à la lune prochaine.»
La Palisse dirait: «Si le bas-bleu est un homme, c'est un homme impuissant.»
La femme n'est guère capable que de petites choses et de jolis détails. J'ai montré que, même dans cet étroit domaine, son attention est souvent en défaut. Indiquerai-je qu'elle est inégale à la plupart des matières, incapable de délimiter nettement un sujet et de composer un livre? Ah! si j'avais la place!...
Le bavardage de Laurenty n'a pas de sujet. Ça commence par la ruine du notaire Bardalys, ça finit par la vérole de son petit-fils; entre les deux catastrophes, des anecdotes sans intérêt et sans unité. Si, pourtant, une unité de sentiment, faux et mal joué: Laurenty ne reconnaît que l'amour sensuel, et elle le déclare décevant, et elle l'injurie, le plus souvent avec des paroles de Schopenhauer, parfois avec des phrases à elle, toutes gargouillantes de je ne sais quel lyrisme hystérique. Athée du sentiment, insatisfaite par la sensation, elle reste de longues heures, agenouillée devant le dieu Phallus, à cracher des blasphèmes [2].
[2] Je fais de la critique et je ne parle jamais que d'attitudes littéraires. Cette déclaration superflue, il me convient de la formuler, une fois pour toutes, à l'occasion de Jean Laurenty qui, me dit-on, n'a ni frère ni mari. Mais j'autorise, de grand cœur, frères et maris à l'oublier, si ça peut leur faire plaisir.
Paul Georges hésite entre l'étude de caractère et l'étude de mœurs: elle ne prend aucun des deux lièvres. L'Agrippine bourgeoise qu'elle a voulu peindre est manquée, molle et fuyante. Mater gloriosa nous conduit parmi les politiciens. Et, certes, les toutes petites intrigues qu'on décore aujourd'hui du nom de politique pourraient être comprises par une femme. Mais Paul Georges est une fillette. Ses hommes politiques sont vertueux, ineffablement: ils rendent les millions volés par beau-papa. On voit que nous sommes loin de la réalité contemporaine.
Madame Paul Junka a des qualités presque solides et elle a su choisir son sujet. Elle nous fait pénétrer dans le monde si efféminé du clergé parisien. Et elle les connaît bien, et elle les pénètre jusqu'au fond, ses vicaires et ses curés. Malgré beaucoup de lacunes et de faiblesses, son livre m'a fait plaisir par sa documentation abondante, par la finesse de sa psychologie et même par cette vie frêle du style que je signalais tout à l'heure.
Car le bas-bleu n'a pas la puissance de construire une œuvre large. Mais si à quelque apparence de talent il joint un peu de bonheur, il lui arrive d'écrire un livre incomplet et intéressant.
Qu'on ne m'accuse pas de mépriser la femme, parce que j'ai dit à telle déguisée: «Beau masque, ta barbe est postiche.» La femme a peut-être d'autres mérites que celui de porter la barbe.
III
LES CYGNES NOIRS
L'amazone a toutes les prétentions. Non seulement elle fait la bête pour vouloir faire l'homme; souvent elle devient je ne sais quel animal de cauchemar, monstrueux et irréel, parce qu'elle s'efforça d'être un homme extraordinaire, d'une invraisemblable unité, idéalement et continûment sublime, ou continûment et idéalement pervers. Le bas-bleu tient à nous montrer: 1o une virilité; 2o des ailes d'aube ou de ténèbres. Il est ange ou démon.
Je dis trop peu. Il y a neuf chœurs des anges et les satans se comptent par millions. Le bas-bleu ne saurait être chose si commune. Chaque hystérique de la Salpêtrière se vante d'offrir un cas particulier,—qu'elle simule presque toujours. Le camp des amazones est la Salpêtrière de la littérature. Il contient de quoi étonner tous les matins les Charcot de la critique, ces charlatans ahuris.
Je souris des clowns de l'hystérie; je ne vois pas dans leurs contorsions voulues et dans leurs grimaces calculées des attitudes de la nature ou des laideurs persistantes. Seuls, les naïfs croiront que vous ne ressemblez pas à tout le monde, Mesdames. Je ne me laisse point prendre à vos simagrées; et j'étudie sans émotion vos horreurs de surface et de jeu.
Je sais que tout bas-bleu tient à passer pour oiseau rare, de couleur inédite ou presque dans sa race: merle blanc ou cygne noir. Je sais aussi que le petit animal, remarquable par sa seule vanité, est presque toujours de la couleur ordinaire. Ces dames teignent leur âme avec plus de soin que leurs cheveux. On connaît l'histoire du merle blanc que Musset étudia de trop près. Examinons—de plus loin—deux cygnes noirs.
Voici Jane de la Vaudère, couveuse des Sataniques et des Demi-Sexes. Tu as changé de teinture, gamine. Tu fis jadis des strophes très blanches, oh! si blanches: en rayons d'étoiles, disais-tu; en verre filé, je m'en souviens. Et la liste de tes livres m'apprend que tu restes honorée d'un accessit à l'école où les singes verts récompensent les vieux enfants. Un de tes recueils innocents fut «mentionné par l'Académie française».
Aujourd'hui, le poète manqué s'imagine écrire en prose. Notre ange raté se déguise en démon et imite un titre de Barbey d'Aurevilly. Puis il s'aperçoit que Marcel Prévost, qui singe les hommes par le costume et les femmes par l'écriture, est plus à sa portée. Le demi-penseur Dumas observa le demi-monde; le demi-écrivain Prévost découvrit les demi-vierges; Jane de la Vaudère, bête complète, nous apporte les Demi-Sexes.
Çà et là, dans la platitude et l'insignifiance des Demi-Sexes, une phrase arrête, ridicule autrement que les autres, grotesque par son entourage, par son inopportunité, mais qui, isolée, aurait de la force ou de la grâce. Elle est copiée, tout simplement. Un des derniers romans de Guy de Maupassant par exemple, Notre cœur, a été vaillamment pillé. J'aime mieux juger Jane de la Vaudère sur les pauvretés plus à elle des Sataniques. Là, sauf erreur, elle a pondu et couvé.
Les promesses raccrocheuses de titres qui ressemblent à de gros numéros ne suffisent pas toujours à cette matrone de lettres. Elle y ajoute parfois une couverture excitante: sorcière nue à cheval sur son balai; chat noir qui vient frôler la peau; plus loin, le bouc qui attend. Le miché imbécile qui se laissera attirer par toute cette parade polissonne et qui montera au salon entendra des naïvetés de petite fille: banales histoires de revenants ou allégories comme on en «rédige» au Sacré-Cœur. Écoutez la dernière satanique. Ça s'appelle la Mystérieuse. Une femme est aimée d'un homme. Des années passent sans altérer sa puissante beauté. Mais enfin elle vieillit, et même—je puis vous certifier cet événement étonnant—elle meurt. Voilà toute l'histoire de la Mystérieuse. Et le mystère? demandez-vous. Allons, puisqu'il le faut absolument, je vous dévoilerai l'affreux satanisme. Cette femme, frémissez d'horreur! cette femme n'était pas une femme: c'était... l'Illusion.
Seront-ils