Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains. Han Ryner

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la rumeur effrénée.

       Ces petits détails,—que je pourrais trop facilement multiplier,—ont leur signification cruelle. Les livres de Tola Dorian donnent tout à l'effet: ce sont des femmes pauvres qui se couvrent de fausses bijouteries et qui ne soignent pas leurs dessous.

      

       ANGLOMANIE

       Table des matières

      Je rencontre deux femmes dont les livres sincères nous offrent noblement deux âmes féminines. Le plus souvent, je m'abandonne au charme de relire des pages exquises. Parfois je m'inquiète d'un problème. D'où vient que ces deux femmes d'élite manifestent un goût commun pour l'Angleterre? La rencontre est-elle fortuite? Ou le pays qui plaît tant au snobisme de Paul Bourget doit-il attirer décidément toutes les femmes de valeur?

      Mme Alphonse Daudet publiait l'an dernier de très sympathiques notes sur Londres. Elle y déclarait: «J'aime l'Angleterre pour la grandeur de ses traditions, son activité, son intelligente curiosité des autres peuples, même la largeur d'idées que les colonies nombreuses étendent autour d'un pays; pour le parti qu'elle a su tirer d'un climat triste...» Max Lyan ne nous dit pas pourquoi elle aime l'Angleterre qu'elle n'a jamais vue mais dont elle a lu tous les livres. Seulement son amour se manifeste à tout propos et hors propos. Le jeune méridional qui raconte la Fée des Chimères, est honoré de vagues parents londoniens et du prénom de James. Et Max Lyan, qui écrit d'ordinaire avec une précision éloquente ou souriante, fait d'une de ces fermes du Midi dont les habitants ne vivent guère qu'au dehors un «home aimé» ou un «home protecteur».

      Mme Daudet se trompe sur les motifs de son amour pour l'Angleterre. Les meilleures de nos intellectuelles y aiment un pays de pensée et de respectabilité, un pays où la vie s'enferme dans le home et où les sentiments se recouvrent d'un aspect froid et poli, glacis de pudeur; un pays de vie intérieure intense et rêveuse. Elles aiment,—jusque dans Sully Prudhomme, que Mme Daudet imita, à qui Max Lyan emprunte des épigraphes,—une certaine poésie anglaise d'un gris nuancé et psychologique. Elles aiment le roman anglais dont les défauts de composition ne sauraient choquer les femmes, même de race latine, intéressées facilement au détail, peu aptes à embrasser les ensembles. Elles aiment une certaine philosophie anglaise et tout ce qui s'y manifeste de pratique et de minutieux: l'observation des petits faits, la facilité à s'en satisfaire, les préoccupations morales, l'absence d'inquiétude métaphysique.

      Il y aurait artifice à pousser plus loin le rapprochement entre deux écrivains d'une grâce vraiment trop différente. En dehors de leur anglophilie, il n'y a rien de commun entre Mme Daudet, Parisienne qui note avec précision ce qu'elle voit ou qui s'excuse de «quelque élévation courte et subite d'une pensée féminine vers ce qui n'est pas la tâche journalière ou l'obligation mondaine;»—et Max Lyan, méridionale un peu farouche, indifférente à la vie si elle n'est illuminée et parfumée d'amour, amie des féeries et des chimères, esprit presque anglais mais imagination presque orientale, qui relit les Mille et une Nuits, quand elle ne lit pas Dickens ou Rhoda Broughton, amoureuse des Pyrénées, venue tardivement à Paris et, semble-t-il, pour y mieux cacher la liberté de ses longues rêveries. Mme Daudet est le fruit le plus exquis d'une vie à la fois mondaine et intelligente, la réalisation délicieuse d'un idéal connu. La parole de Max Lyan fait songer à ce je ne sais quoi de plus personnel et de légèrement sauvage qui est le charme de tels provinciaux attardés, des La Fontaine, des J.-J. Rousseau, par exemple.

      Les quelques-uns qui la connaissent blâmeront d'abord l'éclat de telles comparaisons, trouveront que je dis de cette femme qui se cache juste le contraire de ce qu'il en faut dire. Bientôt ils me donneront raison: ils se rappelleront la spontanéité de son amour pour la nature, l'originalité de ses songeries de promeneuse solitaire; et ces dons contradictoires de se satisfaire également au brillant et aux nuances, aux beautés du dehors et aux noblesses du dedans; et tout ce mélange d'enthousiasme et de gravité amusée, d'esprit et de sagesse, d'ironie et d'indulgence, qui fait rêver de je ne sais quelle étrange éducation dirigée, dans le mysticisme souriant d'un couvent mondain, par la raison sévère d'un pasteur protestant.

      Mme Daudet est une femme et une mère qui s'abaisse quelquefois à être une femme du monde. Elle reste encore presque naturelle dans cette fonction artificielle, presque humaine dans ce bizarre métier.

      Elle abonde en observations de détail, précises et fines, d'un charme tout féminin. Ses réflexions non plus ne sont jamais celles que ferait un homme; elles peuvent êtres voisines, parentes, gardent toujours une grâce propre, une émotion et une souplesse différentes, la marque d'une tout autre allure d'esprit. «Voici, dans une chapelle, la tombe de Marie Stuart. Je pense à cette tête détachée, à ce cadavre incomplet, à cette ligne rouge du col qui ne saurait plus tenir un fil de perles.» Ses Notes sur Londres sont pleines de remarques de modes, caractéristiques et spontanées, qu'un homme, en s'appliquant beaucoup, eût réunies moins exactes, moins nombreuses, moins intéressantes. Ah! celle-ci ne pose pas, ne le fait pas à la pensée virile, n'affecte pas de mépriser la femme et d'être autre chose que ce qu'elle est. Elle avoue avec candeur ses inquiétudes pour l'ordonnance d'un dîner donné à Londres et «où ma responsabilité de maîtresse de maison est peut-être moins engagée que s'il avait lieu chez moi à Paris». Elle s'accuse d'une faute vénielle contre une règle spéciale du savoir-vivre londonien. Et, frémissante encore, elle balbutie les circonstances atténuantes: «Il est bien certain qu'en dehors de son cercle d'habitudes on peut être exposé à ces menues erreurs—pourtant gênantes, puisqu'elle vous font l'exception.»

      Les inquiétudes de la mondaine ne nuisent jamais aux pensées maternelles. Malgré son admiration pour la vie anglaise, elle reproche aux dames de Londres «une certaine négligence de leurs devoirs de mères» et d'exiler un peu trop les babys dans la nursery. Elle aime à voir se mêler sa vie et celle de ses enfants. Les préoccupations les plus graves ne l'empêchent pas de noter un geste de Lucien ou de Léon. Elle termine par cette phrase le récit de ce dîner dont nous l'avons vue si troublée: «Edmée est charmante ce soir et très admirée dans ses courtes apparitions au salon et à table.» La grâce des enfants entrevus la séduit plus que toutes les beautés du voyage. Elle admire de jolies «attitudes sur une barrière, comme d'oiseaux perchés». Elle s'émeut à regarder «ces rondes mains de bébés tenant au bras par un pli de chair» ou «ces menottes agiles et menues, déjà despotiques, tendres, aristocratiques, sachant coiffer une poupée, lancer une balle ou un cerceau». Elle rêve attendrie devant «ces chevelures de nouveau-nés qui semblent des plumages incomplets d'oiseaux au nid».

      A cette prose simple et souple, évocatrice à la fois des choses vues et du regard féminin, je préfère peut-être les vers de Mme Daudet. Non point ces vers de fillette où elle essayait de fixer «le cantique à la vie inconnue», où elle chantait «tout au bord d'un espace qu'elle croyait infini à son élan et à ses espérances». Certes il en est de charmants, mais ils rappellent une manière connue. Ceux de plus tard sont d'une beauté autrement originale.

      Les femmes, même d'un très grand talent, semblent privées des facultés critiques. Mme Daudet, qui débrouille si mal les vraies causes de son amour pour l'Angleterre, croit avoir été initiée à la poésie par Hugo et Leconte de Lisle, tandis que ses premiers vers sont des imitations de Sully-Prudhomme. Ces morceaux psychologiques voulurent être composés sur un modèle rigoureux: le symbole matériel exprimé d'abord en un détail relativement abondant, puis expliqué par un ou deux quatrains. Je passe rapide devant ces Vases brisés où pourtant la personnalité souriante du poète se devine au moins précis et au velouté de l'expression, et encore à l'aisance féminine et nonchalante de la composition. L'imagination aimable et la légère fantaisie viennent colorer d'aurore la pensée qui veut rester grave et, malgré l'effort, la méditation se disperse souvent en rêverie. On voit, à chaque tournant de stance, la joliesse chatoyante

      De


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