Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains. Han Ryner

Le massacre des amazones: études critiques sur deux cents bas-bleus contemporains - Han Ryner


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de s'envoler.....

      Bientôt l'originalité de Mme Daudet se dégage, facile et exquise. La rêverie désormais, ne se laisse plus enfermer dans un cercle tracé d'avance. Elle vole, libre harmonie, en mouvements d'une grâce ineffable.

      Comment dire, en effet, la beauté changeante de ce sourire qui n'exprime que nuances fines et ténues?

      Mieux que le jour j'aime les heures blanches

      Qu'on voit errer le soir et le matin,

      Qui font pâlir l'émeraude des branches,

      L'or des sillons et le bleu du lointain.

      On devrait les regarder en un bonheur immobile et timide, ces vers qui sont papillons et colibris voletant dans un charme de brume. Mais le critique, brutal naturaliste, les saisit, les serre de ses doigts gauches, essuie maladroitement leur poussière d'or et triomphe d'expliquer enfin «comment ils sont faits».

      Une belle pièce intitulée Paris trahit le secret de ce vers songeurs de Parisienne dont la grâce me parut d'abord indéfinissable:

      ... Comme ces fleurs errantes dans la rue

      Tiennent par leur racine à quelque sol lointain,

      La pensée, au hasard des foules accourue,

      Garde d'un souvenir le contour incertain.

      Rarement, la plante nous est offerte complète, fleur, tige et racine, souvenir encore suspendu à la pensée.

      Des strophes d'une beauté subtile expriment de l'inexprimable, parviennent à formuler, poétiquement et sans effort apparent, un vœu singulièrement idéaliste.

       Mme Daudet voudrait que les chansons, et les parfums, et les clartés, flottent dans l'air sans causes visibles; elle voudrait entendre le chant en ignorant l'oiseau et ne point savoir d'où émane l'odeur grisante; elle voudrait

      Que toute leur magie immortelle fût libre;

      Que la chaleur nous vînt d'astres inaperçus.

      Les plus beaux vers de Mme Daudet sont de ces gazouillis et de ces lueurs dont l'origine nous reste inconnue. C'est la fleur de poésie, sans la terre de réalité sur laquelle elle poussa. Ce sont des fils de la Vierge qui flotteraient, vagues, parfumés, lumineusement gris. Laissons le poète définir lui-même ce délice insaisissable. Ce n'est plus un chant, c'est un murmure,

      Un murmure flottant aux souvenirs lointains

      Parmi des reflets blancs de claire mousseline,

      Où tremble la lueur errante des matins.

      Alors les mots qu'elle groupe en colliers

      Prennent un reflet vague et des teintes peureuses

      De nacre qui s'éteint et de perle qui meurt.

      Et c'est une poésie exquise, incertaine et fuyante comme un reflet de ciel en une transparence de rivière.

      Parmi ces rêveries, dont beaucoup ne peuvent même subir la gêne d'un titre, les plus saisissables—et ceci est bien féminin—sont des souhaits plutôt difficiles à réaliser. En voici un. La pièce est courte et de cette grâce à la fois rêveuse et raisonnable qui ne définirait peut-être pas trop mal Mme Daudet:

      Je voudrais revivre ma vie,

      Jour par jour, avec la raison

      D'une intelligence asservie

      Que ne tente plus l'horizon;

      Relire tout entier mon livre,

      Sans me bâter et sans frémir,

      De la page où l'on se sent vivre

      A celle où l'on se voit mourir.

      Plus d'attente ni de surprises;

      Et les bonheurs sans lendemain,

      Feuilles roses, au revers grises,

      Ne feraient plus trembler ma main.

      Il faudrait dire quelles jolies nuances, bleu tendre, gris perle, mauve pâle, reposent le regard tout le long de ces pages délicates. Il serait agréable de cueillir quelques-uns des mots heureux qui les fleurissent un peu partout, soit que l'auteur exprime des sentiments profonds et montre

      Combien, quand elle reste vide,

      Est grande une place d'enfant.

       soit qu'il évoque, souriant, la vie de la petite fille ou celle de la jeune fille:

      Sur la pelouse en fleurs j'eus la taille des herbes,

      Et, plus tard, j'atteignis aux branches des lilas;

      soit qu'il chante «l'étonnement de l'aube»,

      La hâte des midis, si courts et si brûlants,

      ou «l'effroi de la nuit»; soit qu'après avoir fait sinuer sous nos yeux les mille vagues des rivières,

      Charriant tant de bruit, de vie et de clartés,

      il lui plaise de nous arrêter, pensifs, devant de calmes eaux,

      Autour du batelet dont verdissent les rames...

      Mme Alphonse Daudet publie ses petits livres à de larges intervalles. Max Lyan, qui a donné un premier roman en 1891, vient à peine de se décider à en publier un second. On m'assure que d'abord elle avait prié une de ses amies de passer pour l'auteur de la Fée des Chimères et que ce mensonge de modestie, près avoir duré deux années, fut découvert malgré elle. Son allure, ses gestes, sa parole voilée et chantante, tout est d'accord avec ce recul craintif. Je l'ai rencontrée plusieurs fois au milieu de bas-bleus ineptes et bruyants, toujours occupés à faire la roue. Elle semblait d'abord effacée. Mais, dès qu'on échangeait quelques mots avec elle, on n'entendait plus les autres; et, si vous regardiez ses yeux d'ironie et de tendresse, son sourire amusé et indulgent, rien ne pouvait plus vous en détourner. Tels ses livres, d'un charme discret, prenant et durable.

      La composition de la Fée des Chimères est poétiquement timide. Le roman, intense et douloureux, n'est pas présenté directement. Il est aperçu, lueur trop vive, à travers la joliesse rose d'un écran. Un enfant naïf prend pour une fée une mélancolique délaissée, exige son histoire, obtient le conte attendu. Après des années, l'adolescent retrouve la triste marraine et elle avoue «la vérité sur la Fée des Chimères». Ce qui dans un livre d'homme serait ingéniosité et amusante trouvaille littéraire est ici charmant de spontanéité: une douceur épeurée de mains féminines qui vont frôler une blessure.

      L'habitation de la Fée des Chimères ressemble au livre lui-même et à l'esprit de Max Lyan. La réalité se voile de rêve et les pierres disparaissent sous les calices et les corolles. «Au sommet de la colline, une haute tourelle d'angle restée debout au milieu des ruines pittoresques se dressait en plein ciel, comme une gigantesque gerbe de fleurs. Des draperies de lierre et de vigne vierge empourprée voilaient sa base; puis, au-dessus des plantes grimpantes aux larges jets flexibles, éclatait la fanfare des couleurs plus vives. Les giroflées d'or brun, les iris couleur de ciel, les coquelicots pourpres, les saxifrages d'émeraude, les mousses richement nuancées, tout le monde charmant des parasites en fleurs jaillissait des moindres interstices, se mouvait sous la brise et jusqu'au faîte dissimulait les vieux murs.»

      Telle la solidité fleurie de son esprit, qui semble s'émouvoir à tous les vents, reste forte et inébranlée. Mais le centre et l'unité sont difficiles à atteindre, et le sens courageusement douloureux de son optimisme ne se révèle qu'à une attentive lecture. Les livres de Max Lyan paraissent tout souriants «de visions de vols d'oiseaux et de prairies en fleurs», tout sonores de conseils vaillants: «C'est bien bon, la vie, malgré les jours sombres et les heures tristes. Ne vous désintéressez pas de votre propre joie.» Il faut «vivre dans une atmosphère de joie». Mais cette atmosphère, on doit la créer soi-même; il est prudent de «faire bon visage aux à peu près», d'en jouir


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