Manuel de la procédure d'asile et de renvoi. Constantin Hruschka

Manuel de la procédure d'asile et de renvoi - Constantin Hruschka


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la coopération pratique des pays de l’UE et à améliorer la mise en œuvre du régime d’asile européen commun. En plus de documents généraux sur la législation européenne, le bureau publie des rapports annuels sur la situation de l’asile en Europe. Les quatre [39]Etats associés à Dublin (Suisse, Norvège, Islande, Liechtenstein) peuvent participer aux activités du bureau à titre d’observateurs. Depuis 2015, la Suisse participe en tant que partenaire à titre de soutien et de conseil.42 Pour la période 2014-2020, le Fonds « Asile, migration et intégration » (FAMI) succède au Fonds « Solidarité et gestion des flux migratoires » de la période 2007-2013.43 Le fonds de 265 millions d’euros a pour but de soutenir la mise en place du régime européen d’asile, d’équilibrer les charges financières des Etats membres et de financer des mesures destinées à faciliter l’intégration des réfugiés.

      Malgré des divergences politiques profondes entre les différents Etats membres, le régime d’asile européen commun s’est développé de manière rapide. Deux défis particulièrement importants continuent de marquer son évolution. Il s’agit premièrement d’assurer une protection équivalente dans les Etats membres. Les différentes réformes du Règlement Dublin rappellent que l’accord ne peut finalement remplir sa fonction que si les chances de reconnaissance de la qualité de réfugié et les conditions d’admission sont comparables dans tous les Etats membres. Il s’agit deuxièmement de donner une consistance au concept de solidarité qui soustend ce régime européen. L’art. 67 par. 2 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) rappelle que l’UE « assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre Etats membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers ».44 Ce concept de solidarité est central, car il permet de faire évoluer le régime de Dublin d’un vaste mécanisme de distribution bureaucratique des demandes d’asile vers une véritable coopération solidaire européenne. La définition de cette solidarité exige une vision politique que les Etats membres et l’UE font émerger peu à peu. Il est intéressant de noter que la CJUE et la Cedh participent de plein pied à ce débat en signifiant des limites au système de redistribution intra-européenne. Par le biais d’arrêts cruciaux,45 les Cours ont ainsi rappelé que le régime européen de [40]l’asile doit répondre à des standards de protection des droits fondamentaux de l’UE (notamment la Charte des droits fondamentaux46) et de la CEDH.

      Le contexte européen brièvement esquissé plus haut joue un rôle fondamental pour le régime de l’asile en Suisse, notamment en raison de la position géographique de la Suisse. En plein cœur de l’Europe, la Suisse n’a d’autre choix que de suivre, bon gré mal gré, les développements européens de l’asile. Reconnu par le Conseil fédéral en 1998 déjà, le risque est grand de voir la Suisse devenir un « pays d’asile de réserve » pour les requérants déboutés dans d’autres pays européens47.

      Prenant acte de cette réalité, la première phase de coopération entre la Suisse et l’UE a été marquée par une stratégie de compensation. Le législateur s’est appliqué à ne pas faire apparaître le régime suisse de l’asile comme étant « trop attractif » par rapport à celui des autres pays européens. De plus, par le biais d’accords bilatéraux, la Suisse a étendu peu à peu la collaboration avec les pays européens, avant tout dans la réadmission de requérants entrés illégalement. Elle a aussi œuvré dans le cadre des Intergovernmental Consultations on Asylum, Refugee and Migration Policies in Europe, North America and Australia (IGC). La coopération entre la Suisse et l’UE a gagné une nouvelle dimension avec l’acceptation en votation populaire le 5 juin 2005 de l’arrêté fédéral48 portant approbation et mise en œuvre des accords bilatéraux II sur l’association à l’Espace Schengen49 et à l’Espace Dublin.50 Il s’agit là d’un pas décisif dans la collaboration entre l’UE et la Suisse dans le domaine de l’asile. Avec ces deux accords d’association, la Suisse est partiellement entrée dans le régime européen de l’asile et se trouve liée à l’évolution de ce système.

      Sur certains points, la Suisse s’est engagée à respecter le droit de l’UE et à reprendre ses développements :

       [41]L’association à l’Espace Dublin signifie que la Suisse participe au système de la détermination de la responsabilité mis en place par l’UE pour l’examen des demandes d’asile. L’examen matériel d’une deuxième demande d’asile déposée en Suisse après le refus d’un Etat de l’Espace Dublin ou inversement est en principe exclu. La Suisse participe également au système européen de comparaison des empreintes digitales Eurodac.

       L’association à l’Espace Schengen signifie que la Suisse renonce désormais au contrôle systématique des personnes aux frontières avec l’UE et participe au système de l’octroi des visas et de la surveillance des frontières extérieures de l’UE.51

      Comme esquissé plus haut, ces instruments juridiques sont régulièrement développés par l’UE. Le régime suisse s’en trouve directement touché. Dans le processus de collaboration autour de Schengen et Dublin, la Suisse jouit d’une voix consultative et participe aux travaux d’un comité mixte. Si le ou la ministre en charge du dossier de l’asile peut participer aux réunions communes, il ou elle n’a pas de pouvoir formel de codécision. Une fois une décision arrêtée, il appartient à la Suisse de décider souverainement si elle veut reprendre dans sa législation le nouvel acte juridique. Toutefois, un refus de sa part pourrait avoir pour ultime conséquence la fin de l’application des accords. Le délai prévu pour la réception de nouveaux actes juridiques est de deux ans. A des fins d’illustration chiffrée, la Direction des affaires européennes (DAE) note que depuis le 26 octobre 2004, date de la signature des accords, l’UE a notifié à la Suisse 170 développements de l’acquis de Schengen, l’acquis de Dublin/Eurodac ayant pour sa part connu trois développements (état au 17 août 2015). 26 de ces communications portaient sur des normes dont la reprise a été soumise à l’approbation du Parlement.

      La reprise de l’acquis de Dublin a eu des conséquences directes pour la législation suisse, notamment sur les sanctions pénales pour les entreprises de transport qui ne respectent pas leurs obligations de contrôle, les dispositions sur la communication et la protection des données, la procédure en cas de non-entrée en matière après des décisions Dublin. De même, dans le prolongement de l’acquis de Schengen, l’UE a adopté la Directive retour qui fixe entre autre la durée maximale de privation de liberté en vue du renvoi à 18 mois. La Suisse a dû corriger sa propre position qui prévoyait une durée maximale de 24 mois. En 2014, la Suisse a repris le Règlement Dublin III et le nouveau Règlement Eurodac et a modifié, en [42]conséquence, la loi fédérale sur les étrangers (LEtr) et la loi sur l’asile (LAsi)52. Les décisions de la CJUE – et le cas échéant de la Cedh – sur ce Règlement Dublin III devront être respectées par les autorités et les tribunaux suisses.

      Au-delà de la reprise des acquis de Schengen et Dublin, il importe de saisir que certaines normes européennes ont également une importance pour la Suisse. La distinction entre les normes contraignantes pour la Suisse (Schengen et Dublin) et les normes non contraignantes pourrait donner l’impression erronée que le reste du développement européen ne concerne pas le régime suisse de l’asile. A l’inverse, le régime suisse est profondément influencé par les évolutions européennes esquissées plus haut, même si celles-ci ne sont pas toutes formellement contraignantes.

      Premièrement, l’application du droit d’asile suisse se fait, dans la mesure du possible, à l’aune des évolutions européennes. Dans le cadre de l’interprétation de notions juridiques définies sur le plan international, comme par exemple la notion de réfugié, les autorités et les tribunaux suisses – à savoir principalement le SEM et le TAF – observent avec beaucoup d’attention


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