Manuel de la procédure d'asile et de renvoi. Constantin Hruschka
avec les standards que la Suisse se doit de respecter.
[31]2 Le contexte international
De manière générale, les Etats ont la compétence de déterminer à quels ressortissants étrangers ils veulent accorder un droit de séjour sur leur territoire. Par les choix souverains qu’elle a réalisés, la Suisse s’est toutefois engagée à respecter certains droits et principes du droit international.
Le concept de « juridiction » joue un rôle essentiel à cet égard. En bref, la responsabilité de l’Etat est engagée dès qu’une personne se trouve sous sa juridiction. Dès ce moment, l’Etat porte la responsabilité d’assurer une protection suffisante à cette personne. En plus des droits et principes reconnus dans sa propre Constitution, cette protection comprend l’ensemble des droits conférés par les conventions et traités internationaux que l’Etat en question s’est engagé à respecter.
Dans la plupart des cas, cette question de la juridiction est relativement facile à régler. La présence de la personne sur le territoire de l’Etat coïncide avec la juridiction. Lorsqu’un requérant d’asile se rend à la frontière d’un Etat, il entre sous sa juridiction en déposant une demande d’asile. Toutefois, comme une série de décisions sensibles le prouve, cet aspect peut être difficile à clarifier lorsque l’Etat agit au-delà de ses frontières. Un arrêt de principe de la Cour européenne des droits de l’homme de 2012 traite de la responsabilité de l’Italie lorsqu’elle intercepte des bateaux de migrants en Méditerranée.3 Selon la Cedh, le critère de juridiction était rempli dans ce cas d’espèce. L’Italie était donc responsable d’assurer une protection en adéquation avec ses engagements internationaux, dans ce cas la CEDH. Cette responsabilité n’implique pas de reconnaître automatiquement l’asile à ces requérants, mais elle implique un traitement juste et conforme de leur demande. De manière générale, cette notion de juridiction fait donc apparaître clairement les liens entre souveraineté, responsabilité et respect des engagements internationaux.
Une fois ce critère de juridiction établi, différents engagements internationaux de la Suisse s’appliquent, notamment la Convention de Genève (CR). Cette convention fonde le droit d’asile moderne et la définition du réfugié qu’elle contient fait office d’étalon pour les législations nationales. D’une part, le réfugié reconnu doit être traité sur un pied d’égalité avec les autres ressortissants étrangers présents sur le territoire, voire comme les nationaux, dans de nombreux domaines (travail, logement, soutien). D’autre part, la CR contient une interdiction de refoulement. Les Etats parties s’engagent ainsi à ne pas refouler des personnes vers un pays où elles seraient menacées de persécutions (« interdiction de refoulement du droit des réfugiés »).
[32]Cette interdiction de refoulement inscrite dans la CR fait écho à l’interdiction de refoulement contenue à l’art. 3 CEDH. Sur la base de l’interdiction de la torture et de tout traitement inhumain, la Cedh a formulé une interdiction absolue de renvoyer des personnes dans des pays où elles risqueraient de subir la torture ou d’autres graves violations des droits humains (« interdiction de refoulement résultant des droits humains »). L’interdiction de refoulement en cas de menace de torture fait partie du « droit international impératif » (ius cogens). La Convention de l’ONU contre la torture4 contient aussi, à son art. 3, une interdiction de refoulement. L’art. 7 Pacte II de l’ONU5 connaît également une interdiction de la torture et de tout traitement inhumain. La Suisse a signé et ratifié toutes les conventions précitées.
La Constitution fédérale6 mentionne expressément aussi bien l’interdiction de refoulement du droit des réfugiés que celle basée sur les droits humains (art. 25 al. 2 et 3 Cst.). Une initiative populaire des Démocrates suisses déposée en 1992 a été déclarée invalide par les Chambres fédérales pour incompatibilité avec cette norme impérative.
La Convention sur les droits de l’enfant7 joue également un rôle important pour l’asile en Suisse. En s’engageant à mettre l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur de ses politiques, la Suisse a accepté de porter une attention particulière aux défis spécifiques des mineurs. Ce principe influe fortement sur la procédure d’asile spécifique aux mineurs non accompagnés et sur les conditions de leur accueil en Suisse.
D’autres conventions internationales portant sur des besoins spécifiques de protection peuvent également être pertinentes dans le domaine de l’asile. Elles concernent par exemple la protection des droits des personnes handicapées8, des victimes de la traite des êtres humains9 ou l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes10. Les développements des standards liés aux droits humains en vue d’une protection renforcée pourraient bientôt déployer plus d’effets dans le domaine de l’asile.
[33]3 Le contexte européen
3.1 Le développement du droit européen de l’asile
Depuis le traité de Maastricht (1992), les Etats membres de l’UE reconnaissent que la politique d’asile est une « affaire d’intérêt général ». Jusqu’en 1998, la coopération en matière de politique d’asile de l’UE est toutefois demeurée largement informelle. Les Etats membres développèrent une collaboration intergouvernementale composée principalement de diverses recommandations non contraignantes. Avec les traités d’Amsterdam (1997) puis de Nice (2000), l’asile est devenu une politique communautaire. Les éléments clés du droit d’asile européen sont donc le résultat d’une délégation graduelle de compétences de la sphère nationale vers le niveau supranational de l’Union. Cette volonté politique se confirme avec le traité de Lisbonne (2007). Aujourd’hui, la politique d’asile commune est un pilier important de la politique d’immigration européenne et de son objectif de créer « un espace de liberté, de sécurité et de droit ». Cette évolution se traduit également dans la normalisation politique du régime de l’asile au niveau de l’UE. Dans le domaine de l’asile, le Parlement européen joue maintenant un rôle de législateur aux cotés du Conseil et de la Commission. La Cour de justice de l’UE exerce un contrôle judiciaire.
Le régime d’asile européen commun (RAEC) vise à la création d’un véritable espace européen de l’asile. Selon le Conseil européen de juin 2014, ce « processus devrait aboutir à la mise en place de normes communes élevées et à une coopération plus poussée, créant des conditions uniformes qui assurent aux demandeurs d’asile des garanties procédurales et une protection identiques dans toute l’Union ».11 Ce processus est indissociable du développement du régime de Dublin, en application depuis 1997 déjà. Pour l’essentiel, ce régime détermine quel Etat membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile. Il poursuit l’objectif d’éviter des demandes à répétition et de prévenir ceux que l’on appelle les « réfugiés en orbite » pour lesquels aucun Etat ne se reconnait compétent.
Quant à la terminologie, il sied de rappeler qu’une directive de l’UE fixe le cadre général. Elle doit être transposée dans le droit national des Etats membres dans un délai imparti. Les tribunaux nationaux et la CJUE garantissent une interprétation uniforme. Un règlement de l’UE est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tous les Etats membres de l’UE.
Actuellement, les directives et règlements suivants fixent des normes contraignantes pour les Etats membres de l’UE dans le domaine de l’asile :
[34]Directive sur la notion de réfugié et sur la protection dite complémentaire (Directive qualification) : cette directive promulguée en 200412 a été profondément modifiée en 2011.13 Elle contient des indications sur la notion de réfugié et sur le statut juridique des réfugiés ainsi que sur les personnes à protéger qui, sans remplir les conditions de la notion de réfugié, ont besoin de protection selon les prescriptions internationales (« protection internationale