Manuel de la procédure d'asile et de renvoi. Constantin Hruschka

Manuel de la procédure d'asile et de renvoi - Constantin Hruschka


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d’asile ont été enregistrées alors que 41’302 demandes ont été déposées en 1998 suite au conflit du Kosovo. En 2014, 21’695 personnes ont déposé une première demande d’asile en Suisse.1

      [28]En plus de provoquer de vifs débats de politique intérieure sur les prétendus excès de générosité de la législation suisse sur l’asile, l’évolution du nombre des demandes d’asile a posé des problèmes administratifs et logistiques considérables aux autorités fédérales et cantonales (longue durée de la procédure, nombre de dossiers pendants, difficultés d’hébergement, etc.). Depuis 1979, les révisions partielles ont ainsi toujours été axées sur l’accélération et la simplification de la procédure. Elles ont aussi régulièrement conduit à des tentatives visant à détériorer le statut juridique des requérants d’asile.

      La loi sur l’asile de 1979 a été soumise à une révision totale en 1998. Entre 1999 et 2014, celle-ci a connu d’importants changements par le biais de nombreuses révisions partielles. Parmi ces changements, les adaptations de la loi sur l’asile dans les processus d’adoption de la loi sur les étrangers et d’association à l’espace Schengen/ Dublin ont été les plus significatives. La LEtr et l’association à Schengen/Dublin ont été confirmées en votation populaire en 2005 et 2006. Durant cette phase d’évolutions, trois éléments ont joué un rôle prépondérant.

      Premièrement, le domaine de l’asile a fait l’objet d’initiatives populaires visant directement les requérants d’asile et d’autres propositions traitant plus généralement des conditions d’entrée et de séjour des ressortissants étrangers. En 2002, l’initiative populaire « contre les abus du droit d’asile » lancée par l’UDC a été rejetée d’extrême justesse par 50.1 % des voix en votation populaire. L’initiative puisait sa source dans la crise du Kosovo, une période difficile durant laquelle de très nombreuses personnes déplacées cherchaient une protection en Suisse. Pour le Conseil fédéral et la majorité des partis politiques, son rejet de justesse était un signe révélateur que de nombreux citoyens souhaitaient de nouveaux durcissements de la loi sur l’asile. De manière plus générale, l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels (acceptée par le peuple et les cantons en 2010) et l’initiative contre l’immigration de masse (acceptée par le peuple et les cantons en 2014) sont particulièrement symptomatiques de la pression politique qui s’exerce sur la thématique générale de la migration en Suisse.

      Deuxièmement, la loi sur l’asile a été durcie pour raison d’économie sur le budget fédéral. A titre d’exemple, le régime de l’aide sociale a été durablement modifié et une forte pression continue à s’exercer demandant l’exclusion de l’aide sociale des personnes relevant de l’asile. Le passage de l’aide sociale à l’aide d’urgence est devenu pratique courante dans le domaine de l’asile. En 2005, le Parlement fédéral avait même proposé d’exclure de l’aide d’urgence les requérants déboutés qui refussaient de coopérer. En même temps, le Tribunal fédéral a jugé dans un cas d’espèce que l’exclusion de l’aide d’urgence était contraire à la Constitution.2 Cette décision [29]a poussé les Chambres fédérales à retirer cette proposition. Plusieurs propositions discutées dans le domaine mettent directement en jeu la répartition des compétences entre les cantons et la Confédération. De manière générale, ces propositions illustrent le changement de paradigme dans le domaine de l’aide sociale pour l’asile et le nécessaire dialogue qui s’engage entre autorités judiciaires et pouvoirs politiques.

      Troisièmement, la Suisse est entrée de plein pied dans le régime européen de l’asile en acceptant en 2005 les accords d’association à Schengen et Dublin. Depuis cette date, les modifications de la loi sur l’asile ont été marquées par l’influence grandissante du cadre européen. En 2008, le Parlement a adopté la reprise du code frontières Schengen et ses compléments en vue de la mise en œuvre complète de l’acquis Schengen/Dublin. Dès lors, les développements des acquis Schengen et Dublin ont influencé la législation suisse sur l’asile, la Suisse s’étant engagée à reprendre ces développements. Pour le domaine de l’asile, les développements liés à la mise en œuvre de la Directive retour et la reprise des nouveaux règlements Dublin et Eurodac ont été particulièrement importants.

      Ces trois composantes – pression grandissante des initiatives populaires, pression budgétaire et discussion sur la répartition des compétences entre cantons et Confédération, influence du contexte européen – continuent de marquer le développement du droit suisse. En plus d’adaptations ponctuelles, une nouvelle révision significative du droit d’asile se dessine depuis 2009. Cette révision de fond devrait changer durablement le visage de la procédure d’asile en Suisse.

      Entre 2010 et 2012, le Conseil fédéral et le Département de justice et police de la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga ont esquissé les contours d’une restructuration complète du domaine de l’asile. Une partie des modifications proposées ont été déclarées urgentes par le Parlement, puis combattues sans succès par référendum dans une votation populaire (juin 2013). Les mesures urgentes les plus débattues concernaient le droit de déposer une demande d’asile dans une ambassade suisse, le statut accordé aux personnes fuyant une obligation de service militaire, la création d’une base légale pour créer des centres spéciaux pour requérants d’asile récalcitrants et la création d’une base légale pour l’utilisation de bâtiments publics par la Confédération. Ces mesures urgentes ont été intégrées dans la révision générale proposée au Parlement fédéral en 2014. Dans les mesures non-urgentes proposées par le Conseil fédéral et acceptées par le Parlement, il est important de noter l’abandon de la plupart des clauses de non-entrée en matière. Seules les clauses relatives aux requérants dont la protection est assurée dans un Etat tiers,[30] aux cas Dublin ou aux demandes déposées exclusivement à des fins économiques ou médicales ont été maintenues.

      La restructuration générale du domaine de l’asile est placée sous le mot d’ordre de l’accélération des procédures. A cette fin, la procédure d’asile sera fondamentalement modifiée en s’inspirant du modèle hollandais. L’idée-clé consiste à traiter rapidement un nombre important de demandes dans des centres rassemblant tous les acteurs de la procédure d’asile. A terme, la majorité des requérants ne seraient ainsi plus attribués à un canton et resteraient durant toute la procédure dans un centre unique. Ce centre rassemblerait l’ensemble des acteurs de la procédure d’asile, à savoir principalement les autorités fédérales du SEM, les services sociaux et les conseillers et représentants juridiques. Depuis janvier 2014, ce projet est testé dans le cadre d’un projet pilote mené à Altstetten (Zurich). Un projet de loi reprenant les éléments principaux de ce projet pilote a été soumis au Parlement fédéral en septembre 2014. Les Chambres fédérales ont adopté le projet, avec quelques modifications, le 25 septembre 2015.

      La restructuration adoptée marque un changement fondamental dans la façon de concevoir la procédure d’asile. Elle signifie premièrement une répartition différente des compétences entre les cantons et la Confédération. Comme elle le faisait déjà pour les centres d’enregistrement et de procédure, la Confédération devient responsable des procédures accélérées ayant lieu dans les nouveaux centres. Sur ce nouveau modèle, les cantons qui n’hébergent pas de centres fédéraux ne sont responsables que des demandes qui leur sont transmises après une première phase de sélection, des personnes ayant reçu protection ainsi que des personnes dont l’exécution du renvoi n’est pas prévisible. Cette réforme devrait permettre, à terme, d’accélérer sensiblement la durée des procédures d’une majorité de demandes. De manière cruciale, la nouvelle loi repose sur l’équilibre entre cette accélération des procédures et la garantie d’une offre adéquate et gratuite en termes de conseils et de représentation juridiques. De plus, la qualité des procédures doit être compatible avec les standards de l’Etat de droit et avec les engagements européens et internationaux de la Suisse.

      De manière générale, la restructuration complète


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