Histoire des salons de Paris. Tome 6. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 6 - Abrantès Laure Junot duchesse d'


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Pelet?

– Oui, Sire…

– Et comment?

– Comme Votre Majesté est Capet.

Lorsqu'en 1770, le clergé fit des remontrances au Roi sur les écrits122 philosophiques, le maréchal de Mailly dit à un homme de ma connaissance: «La France aura une révolution plus sanglante que celle de l'Angleterre et de l'Allemagne. Mais sachez, monsieur, ajouta-t-il, que si jamais l'esprit du temps nous conduit à la nécessité de défendre le trône, nous mourrons tous avant le Roi!..»

L'époque prévue approchait à grands pas; et lorsque le premier prince du sang eut donné l'exemple à la noblesse, et que toute cette noblesse, soit d'action, soit de parole, eut laissé attaquer son principe vital, que la métaphysique du temps eut bien divisé sans classer, quand la jalousie et l'esprit d'égalité, amenés tous deux par le despotisme, eut renversé, confondu cette suite de dignités qui formaient et constituaient une grande monarchie, quand le maréchal de Mailly fut obligé d'ôter de son hôtel les armoiries si belles de sa famille:

Hogne qui vonra.

Alors il dit:

«On a peut-être mal fait, à Versailles, de trop peser sur cette classe qui triomphe aujourd'hui. Le cœur des Français est fier, sensible et peu endurant; on l'a humilié, il l'a senti, et il est demeuré vindicatif et ulcéré. Mais il y a dans la nation française quelque chose de grand que les insurgés ne savent pas faire (gouverner). Le tiers-état a renversé un heureux régime, mais celui qu'il lui a donné le renversera, car les Français sont actifs et industrieux; et, dans dix ans, vous verrez que la monarchie se relèvera plus forte et plus glorieuse.»

M. de Mailly ne s'est trompé que de deux ans dans ses calculs.

M. de Mailly ne voulut jamais émigrer; il était contre cette mesure, qui, en effet, laissa le Roi sans défenseurs… l'émigration en Angleterre surtout lui semblait une infamie. Ce fut le mot dont il se servit.

– Quand la Reine était puissante, disait le maréchal, l'Angleterre punissait le lord Gordon qui répandait des libelles contre elle. La Reine est malheureuse: eh bien! madame de Lamothe, fouettée et marquée par la main du bourreau, vend publiquement à Londres d'infâmes écrits sur la reine de France! Elle est accueillie à Londres! elle y est bien vue!.. Elle!.. madame de Lamothe!

M. de Mailly avait raison.

Louis XVI avait pour le maréchal de Mailly une profonde estime et une vénération qu'il est rare qu'un souverain ressente pour un sujet. Aussi ce fut lui qui fut chargé de la défense des côtes du Nord, lorsque le Roi fut averti que les Anglais, profitant des troubles du royaume, devaient faire une descente en France… Le quartier-général du maréchal était à Abbeville; il commandait depuis Montreuil jusqu'à Avranches.

Le maréchal de Mailly avait une grande estime pour une haute et belle naissance. Lorsqu'il fut nommé maréchal, il choisit pour ses aides de camp des hommes remarquables de ce côté: le premier était M. de Torelli, des comtes de Guastalla, maison ancienne, alliée à la France, au duc de Wurtemberg et aux princes d'Este; le second était M. d'Aubusson de la Feuillade, ambassadeur à Florence et à Naples sous l'Empire, et chambellan de Napoléon: un de ses aïeux avait été grand-maître de Rhodes; le troisième était le chevalier de Saint-Simon, descendant des anciens comtes de Vermandois.

Peu de temps après, le Roi partit pour Montmédy. Ce fut alors que la noblesse donna le coup mortel à sa position dans l'État; tout l'état-major de l'armée passa à l'Assemblée Nationale, les Liancourt, Montmorency, Choiseul, Praslin, Sillery, Castellane, de Luynes, Biron, Latour-Maubourg, Lusignan, Crillon, Crussol, Rochegude, Batz, Lafayette, Montesquiou, Menou, Beauharnais, Dillon, Lameth, etc.

Tous ces noms vinrent à la barre de l'Assemblée! La noblesse de France à la barre de l'Assemblée!.. dès lors, il n'y avait plus de monarchie.

Le maréchal de Mailly se conduisit alors comme on devait présumer qu'il le ferait. Lorsqu'il vit toute la cour de France à la barre, lorsqu'un événement aussi inouï, aussi scandaleux, eut prouvé que la royauté était morte en France, le maréchal de Mailly fit voir qu'il y avait encore un représentant des anciens serviteurs de saint Louis. Il envoya au Roi sa démission de toutes ses charges, et lui apprit que, dans sa monarchie expirante, il y avait encore quelques palpitations d'honneur, et que les vieilles maximes étaient moins versatiles que les emplois militaires n'étaient amovibles.

Quand je vois cette figure du maréchal, âgé alors de 83 ans, représentant à lui seul la monarchie française de saint Louis, de François Ier et de Henri IV, je suis d'abord attendrie, et puis mon cœur est rempli d'un sentiment profond d'exaltation et de généreuse admiration!

Il ne restait plus à l'ancienne France qu'un petit nombre de familles fidèles, et la monarchie constitutionnelle elle-même n'avait plus que des lambeaux déchirés par les factions; les haines avaient consommé ce que la confiante ignorance avait commencé. On appelait la seconde monarchie la monarchie des Feuillants, comme en Angleterre ils avaient donné un surnom ridicule à leur Parlement avant la mort de Charles Ier.

C'est ainsi qu'on arriva au 10 août. À minuit, le 9, le tocsin sonna; Mandat, qui voulait défendre le Roi, fut massacré à la Commune et son corps jeté à l'eau. Le maréchal de Mailly, apprenant que le Roi était sans défense, accourut aux Tuileries, se mit au milieu de sept à huit cents gentilshommes venus dans le même dessein que lui, et jura avec eux de mourir en défendant la famille royale. Le Roi passa la revue, et confia la défense des Tuileries au maréchal. Ce fut alors que la Reine, prenant un pistolet à la ceinture de Backmann, le donna au Roi en lui disant: Monsieur, voilà le moment de vous montrer. M. de Mailly salua le Roi de son épée, et lui dit: Sire, nous voulons relever le trône ou mourir à vos côtés!..

Le Roi se couvre, tire son épée, et jure de demeurer avec eux. Mais Rœderer entraîne le Roi à l'Assemblée; tout est fini, il n'y a plus de roi de France.

Quelques nobles suivent le Roi; d'autres se retirent… ce qui reste demande les ordres de M. de Mailly. Que pouvait-il faire? les canonniers étaient passés aux fédérés!.. il ne lui reste plus que la gendarmerie, commandée par Raimond.

– Vivent les grenadiers français! s'écrie le vieillard. – Vive mon général! répondent les grenadiers.

M. d'Affri, commandant des Suisses, avait répondu à la Reine que des Suisses ne pouvaient tirer sur des Français, et s'était retiré. Backmann et Zimmermann l'avaient remplacé… On connaît le détail de cette horrible journée. Le Roi envoya l'ordre aux Suisses de ne plus tirer, par M. d'Hervilly; l'ordre ne put parvenir au milieu du carnage et des malheurs qui commençaient ainsi la République, dont c'était le premier jour!..

Le maréchal, perdu dans cette foule qui combattait pour ainsi dire corps à corps, vit tuer à ses côtés M. de Pomard, gentilhomme qui était son aide de camp. Le noble vieillard, l'épée à la main, combattait toujours néanmoins comme un jeune homme plein d'ardeur; un homme lève sur lui un sabre rouge de sang et allait le tuer, le maréchal pose avec calme la main sur le bras de cet homme et se nomme; à l'aspect de cette figure vénérable, de ces cheveux blancs, de cet homme revêtu du cordon bleu et de ces insignes dont l'éclat imposait encore, le fédéré laisse tomber son sabre; puis, ordonnant tout bas au maréchal de se taire et de le suivre, il le maltraite, et, tout en l'entraînant, lui arrache son cordon bleu qui est toujours un honneur, mais aussi un signe de proscription… C'est ainsi que le maréchal fut conduit à son hôtel… le nom de cet homme est demeuré inconnu… alors une action généreuse était un crime!..

Deux jours après, le maréchal fut dénoncé et conduit à sa section. Ses nobles réponses, ses cheveux blancs et ses quatre-vingt-trois ans firent impression sur les monstres de 93, qui alors n'étaient encore qu'au berceau!.. Il échappa, et se retira avec la maréchale, toute jeune alors, dans le département du Pas-de-Calais. Là, André du Mont, altéré du sang des royalistes en 93, comme il le fut en 94 de celui des républicains, le fit jeter en prison; la maréchale ne le quitta pas… Joseph Lebon, qui succéda à André du Mont, fut assez cannibale pour envoyer à l'échafaud un homme aussi vénérable par son âge que respectable par sa chevaleresque loyauté. En approchant de l'échafaud, sa tête se releva plus fière que jamais elle ne l'avait été devant l'ennemi.

– Vive le Roi! s'écria-t-il… je le dis comme mes ancêtres!

Sa malheureuse femme était enceinte en 1792, et mit au monde, cette même année123, le fils124 qui devait transmettre à cette époque le beau nom de son père.

8

Ceci est un peu paradoxal; mais c'est tout ce que je puis trouver de mieux pour excuser


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<p>122</p>

J'ai parlé de ce fait dans mon Salon de l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont.

<p>123</p>

Le 26 septembre.

<p>124</p>

Adrien-Augustin-Amalric de Mailly, né en 1792, et nommé élève de Saint-Cyr, par l'Empereur, en 1808 ou 1809.