Le Chevalier des Touches. Barbey d'Aurevilly Jules

Le Chevalier des Touches - Barbey d'Aurevilly Jules


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de Percy, qui marchait toujours d'une encoignure à l'autre du salon, avec le va-et-vient de quelque formidable pendule en vibration.

      – Ah! bien oui! tu ne sais pas cela, toi, Fierdrap! – reprit l'abbé; – mais ma sœur, que tu vois là, dans la splendeur de tous ses falbalas, est un des sauveurs de Des Touches, ni plus ni moins, mon cher! Elle a fait partie, pendant que nous chassions le renard en Angleterre, de la fameuse expédition des Douze, qui nous parut si incroyablement héroïque quand Sainte-Suzanne nous la raconta, un soir, chez mon cousin, le duc de Northumberland. Te le rappelles-tu?.. Sainte-Suzanne ne nous dit pas que ma sœur fut un de ces braves. Il ne le savait pas, et je ne l'ai su, moi, que depuis mon retour de l'émigration. Elle avait si bien caché son sexe, ou ces messieurs furent si discrets, qu'elle fut prise pour un de ces gentilshommes qui ne se connaissaient pas tous les uns les autres, mais qui s'appelaient également tous, les uns pour les autres: «Cocarde blanche!» Aurais-tu jamais cru que l'un des Pâris de notre belle Hélène fût… ma sœur?..

      – Vraiment! – dit M. de Fierdrap, qui ne prit pas garde au geste comique et théâtral de l'abbé de Percy en disant ces dernières paroles. Les yeux gris-fauve du baron se mirent à jeter des étincelles, comme la pierre à fusil, dont ils avaient la nuance, quand elle tombe dans le bassinet. – Vraiment, – répéta-t-il, – mademoiselle, vous faisiez partie de la fameuse expédition des Douze? Alors, permettez-moi de baiser votre vaillante main, car, sur ma parole de gentilhomme, voilà ce que je ne savais pas!»

      Et il se leva, alla rejoindre au beau milieu du salon mademoiselle de Percy, qu'il prit par la main, une main un peu forte et si virginale que la vieillesse ne l'avait pas blanchie, et il la lui baisa avec un sentiment si chevaleresque qu'il en aurait été tout idéalisé aux yeux d'un poète, cet antique pêcheur à la ligne, avec sa mise hétéroclite et son nez jaspé!

      Elle la lui avait donnée comme une reine, et quand il eut fait retentir son hommage, un hommage militaire, car le baiser du vieil enthousiaste fit presque le bruit d'un coup de pistolet, ils s'adressèrent mutuellement une de ces solennelles révérences comme la tradition nous rapporte qu'on en faisait une avant de danser le menuet.

      «Ma sœur de Percy, – dit l'abbé, – puisque l'apparition de Des Touches, dont nous aurons sans doute des nouvelles demain, nous fait tisonner dans son histoire, au coin du feu, ici, ce soir, pourquoi ne la raconteriez-vous pas à Fierdrap, qui ne l'a jamais sue que de bric et de broc, comme nous disons en Normandie, par la très bonne raison qu'il ne l'a jamais entendue que dans les versions infidèles et changeantes de l'émigration?

      – Je le veux bien, mon frère, – dit mademoiselle de Percy, qui rougit de plaisir à la demande de l'abbé, si cela pouvait s'appeler rougir que de passer de la nuance qu'elle avait à une nuance plus foncée. – Mais il est neuf heures sonnées à la pendule et mademoiselle Aimée va bientôt venir; c'est son heure. Or, voilà l'embarras: comment raconter devant elle l'enlèvement de Des Touches où périt son fiancé d'une manière si fatale? Elle a beau être sourde et préoccupée; la malheureuse fille! il y a des jours où le rideau tendu par la douleur entre elle et le monde est moins épais et laisse passer les bruits et la parole, et c'est peut-être un de ces jours-là qu'aujourd'hui!

      – Si l'air est très fin, – dit mademoiselle Ursule de Touffedelys, qui faisait la médecine des pauvres, et qui avait des explications à elle pour expliquer une irrégularité organique à laquelle les médecins ne comprenaient rien, – si l'air est très fin, vous pouvez être bien tranquille, elle n'entendra pas une syllabe de tout ce que vous nous direz!

      – Et il est très fin, – dit l'abbé, en passant ses mains le long de ces jambes, – car je sens une vraie tempête de vents coulis sur mes bas de soie. Quand donc ferez-vous descendre votre paravent dans le salon, mesdemoiselles?

      – Eh bien, – dit le baron de Fierdrap, suivant son idée, – ne commençons que quand elle sera venue, afin de n'avoir pas à nous interrompre…» Et, précisément, la pendule se mit à marquer le quart après neuf heures avec un bruit sec…

      Cette pendule était un Bacchus d'or moulu, vêtu de sa peau de tigre, qui, debout, tenait sur son genou divin, ni plus ni moins qu'un simple tonnelier de la terre, un tonneau dont le fond était le cadran où l'on voyait les heures, et dont le balancier figurait une grappe de raisin picorée d'abeilles. Sur le soc enguirlandé de pampres et de lierres, à trois pas du dieu aux courts cheveux bouclés, il y avait un thyrse renversé, une amphore et une coupe… Drôle de pendule chez de vieilles filles, qui ne buvaient guère que du lait et de l'eau, et se souciaient moins que l'abbé de mythologie!

      Or, presque au même instant, la sonnette de la porte répondit au tac de la pendule en tintant avec son bruit aigrelet au fond du corridor qui conduisait à la rue:

      «La voici! Nous n'avons pas eu longtemps à l'attendre,» ajouta le baron.

      Et celle qu'ils nommaient mademoiselle Aimée, et qui allait décider de leur soirée, ouvrit la porte sans qu'on l'annonçât, et entra.

      III

      UNE JEUNE VIEILLE AU MILIEU DE VÉRITABLES VIEILLARDS

      «C'est vous, Aimée! – crièrent du plus haut de leurs gosiers les deux Touffedelys, qui, dans leurs bergères capitonnées, ressemblaient à ces montres à répétition que l'on plaçait autrefois sur un coussinet de soie piqué, aux deux côtés de la glace de la cheminée, et qui auraient sonné l'heure en même temps. – Mon Dieu! n'êtes-vous pas traversée, ma chère?..» reprirent-elles d'une seule haleine, toujours confondant leurs sonneries, virant toutes deux autour de mademoiselle Aimée, tenant leurs écrans et remuées d'un esprit de maîtresse de maison qui semblait, à leurs agitations, souffler en elles comme un Borée.

      Du reste, tout le petit cercle s'était levé d'un mouvement unanime, comme s'il eût cédé à la pression du même ressort. C'était le ressort fort et doux de la sympathie, un acier bien fin qui ne s'était pas rouillé dans tous ces vieux cœurs.

      «Ne vous dérangez donc pas! – fit une voix fraîche du fond de la cape rabattue d'un mantelet; car la nouvelle arrivée était entrée dans le salon comme elle était venue, n'ayant laissé dans le corridor que ses patins. Elle répondait plus aux mouvements qu'aux paroles de ses amies. – Je ne suis pas mouillée, – ajouta-t-elle, – je suis venue si vite et le couvent est si près!»

      Et, pour prouver ce qu'elle disait, elle pencha, dans le jour ambré de la lampe, son épaule, où quelques gouttes d'eau perlaient sur la soie de son mantelet. Le mantelet était d'un violet sombre, l'épaule était ronde, et les gouttes d'eau tremblaient bien, à cette lueur de lampe, sur cette rondeur soyeuse. On eût dit une grosse touffe de scabieuses où fussent tombés les pleurs du soir.

      «Ce n'est que les gouttes du larmier, – fit judicieusement la grande observatrice, mademoiselle Sainte.

      – Aimée, vous êtes une imprudente, ma Délicate-et-Blonde! – se mit à rugir mademoiselle de Percy, jouant de sa basse-taille aux oreilles de mademoiselle Aimée. – C'était un essai: l'entendrait-elle? – La sœur de l'abbé tenait beaucoup à raconter son histoire au baron de Fierdrap, et elle la croyait compromise… – Vous vous êtes exposée – continua-t-elle – à vous rendre malade; car, en venant, si vous n'avez pas eu la pluie, vous avez eu le vent, mon amour!»

      Mais, pour toute réponse à cette tonnante observation, machiavéliquement bienveillante, la Délicate-et-Blonde avait détaché l'améthyste qui agrafait son mantelet autour de son cou, et, des plis de ce dessus reployé, sortit une grande personne, blonde, il est vrai, mais plus forte que délicate. Quand elle se retourna après avoir jeté là languissamment son mantelet au dos d'une chaise, et qu'elle vit mademoiselle de Percy, rouge comme un homard dans son court bouillon, et qui de sa main faisait un cornet:

      «Pardon, – dit-elle, – mademoiselle, car je crois que vous me parliez; mais, ce soir, je suis…»

      Dans sa touchante pudeur d'infirme, elle n'osa pas dire le mot qui exprimait son infirmité. Mais, montrant, d'un geste triste, son oreille et son


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