Le Chevalier des Touches. Barbey d'Aurevilly Jules

Le Chevalier des Touches - Barbey d'Aurevilly Jules


Скачать книгу
toujours été la sagesse, elle n'était pas pour cela déesse.

      Elle n'était qu'une fille «montée en graine», disaient cyniquement les jeunes gentilshommes de la contrée, qui ont tous perdu, au contact des mœurs nouvelles, la galanterie chevaleresque de leurs pères. Mais aux yeux de qui savait voir, cette vieille fille valait mieux à son petit doigt sans anneau qu'à tout leur corps, dans leurs robes de noce, les plus jeunes châtelaines de ce pays, dont les femmes ressemblent pourtant aux touffes de roses des pommiers en fleurs! Au physique, sa beauté de soleil couché, estompée par le crépuscule et par la souffrance, pouvait encore inspirer un grand amour à une imagination réellement poétique; mais, au moral, qui aurait pu lutter contre elle? Qui, sur les âmes élevées, aurait eu plus d'empire que cette Aimée de quarante ans, la femme de son nom autrefois, – car personne n'avait jamais inspiré plus de sentiments ardents et tendres… Richesse et conquêtes inutiles! Don de grâce ironique et cruel! qui n'avait jamais rien pu pour son bonheur, mais qui avait fait de sa vie manquée quelque chose de plus beau que la vie réussie des autres!

      Le petit cercle qui venait de s'ouvrir pour elle et qu'elle avait élargi, s'était refermé autour de la cheminée. Mademoiselle Sainte de Touffedelys avait pris place auprès de sa sœur. La nouvelle arrivée, installée si aimablement dans la bergère de mademoiselle Sainte, avait tiré de son manchon la broderie commencée chez elle, et de ses doigts effilés, qui sortaient de ses mitaines de soie comme des pistils blancs d'une fleur noire, elle fit quelques points, puis, relevant sa belle tête et leur jetant son regard langoureux à eux tous, qui se préparaient à reprendre leur causerie interrompue:

      «A la bonne heure! – dit-elle de cette voix dont la fraîcheur avait plus résisté que celle de ses joues, – une voix de rose qu'il faudrait donner au guide de l'aveugle pour le consoler de n'y voir plus; – à la bonne heure! voilà comme je vous aime maintenant, et comme je vous veux. Causez entre vous et oubliez-moi.»

      Et elle repencha sa tête sur son ouvrage, et elle se replongea dans sa préoccupation profonde, ce puits de l'abîme qui était en elle et que gardait sa surdité!

      «Et à présent, ma chère Percy, – fit doctoralement mademoiselle Ursule, – vous pouvez dire tout ce qu'il vous plaira sans aucune crainte. Quand sa surdité la reprend, elle devient encore plus distraite que sourde, et, c'est moi qui vous en réponds, elle n'entendra pas un seul mot, fendu en quatre, de votre histoire.

      – Oui! – dit l'abbé; – seulement, ma sœur, vous ferez bien de vous arrêter, si votre fougue vous le permet, quand elle lèvera la tête de son ouvrage; car ces diables de sourds voient le son sur les lèvres, et les mots leur arrivent par les yeux.

      – Lignes et hameçon! – dit le baron de Fierdrap étonné, – que de précautions pour une histoire! C'est donc quelque chose de bien terrible pour mademoiselle Aimée, ce que vous allez raconter. J'avais bien ouï dire autrefois qu'elle avait perdu son fiancé dans la fameuse expédition des Douze, et qu'elle n'avait jamais, à cause de cela, voulu entendre parler de mariage, depuis ce temps-là, malgré les bons partis qui se présentèrent; mais, bon Dieu! où donc en sommes-nous, si, au bout de vingt ans, il faut prendre des ménagements pareils pour raconter une vieille histoire devant une… devant une…

      – Allons, achève! devant une vieille fille! – interrompit l'abbé. – Elle ne t'entend pas, et voilà déjà le bénéfice de sa surdité qui commence! Mais, mon pauvre Fierdrap, cette vieille fille, comme tu dis, eût-elle l'âge des carpes que tu pêches dans les étangs du Quesnoy, et elle est encore loin de cet âge et du nôtre, cette vieille fille, c'est mademoiselle Aimée de Spens, une perle, vois-tu? qui ne se trouve pas dans la vase où tu prends tes anguilles! une espèce de femme rare comme un dauphin, et à laquelle un vide-rivière de cormoran comme toi n'est pas troussé pour rien comprendre, pas plus qu'à ce terrible coup de filet autour du cœur, qu'on appelle un amour fidèle!

      – Peuh! – fit le baron, sur lequel le mot de l'abbé opéra comme un clangor tubæ, qui lui sonnait la diane de sa manie et qui lui fit enfourcher son dada, – j'ai pêché, il y a environ dix ans, sous les ponts de Carentan et à l'époque de l'équinoxe de septembre, un poisson de la grosseur d'un fort rouget, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à un dauphin, s'il faut en croire les peintures, les écussons et les tapisseries où ce phénix des poissons est représenté. Comment se trouvait-il dans la Douve? La mer l'avait-elle rejeté là comme elle y rejette quantité de saumons, à certaines saisons et à certaines marées? Mais le fait est que je l'y trouvai pris à une de mes lignes dormantes, au bout de laquelle il tressautait vigoureusement, comme s'il n'avait pas eu un croc dans la tête, de la profondeur de deux doigts! De ma vie ni de mes jours je n'avais eu un pareil poisson dans ma nasse; non, par Dieu et ses apôtres, qui étaient pêcheurs! ni le père Le Goupil, ni M. Caillot, ni M. d'Ingouville, ni aucun des membres de notre club des Pêcheurs de la Douve non plus!

      «Je restai d'abord un peu ébahi quand je l'aperçus; mais bientôt je le couchai mollement sur l'herbe, et je me mis à braquer sur lui mes deux lanternes, – et il fit un geste en montrant ses deux yeux, qu'il cligna. – J'avais retenu de mes livres de classe que le dauphin se teignait, à l'heure de la mort, de toutes les nuances de l'arc-en-ciel, et j'étais curieux de voir cela. Mais c'est probablement une de ces bourdes comme nous en ont fait si souvent messieurs les Anciens. As-tu jamais pu croire aux Anciens, toi, l'abbé?.. et à leur Pline?.. et à leur Varron?.. et à leur pince-sans-rire de Tacite?.. tous drôles qui se moquent de nous à travers les siècles, mais à qui, du moins, l'histoire de mon poisson allongea un bon soufflet de plus; car, mon cher, il mourut aussi bêtement qu'une huître hors de son écaille… sans plus changer de couleur que la première tanche ou le premier brochet venu! Et cependant, quand j'allai, de mon pied mignon, le porter au bonhomme Lambert de Grenthéville, qui s'occupait alors d'histoire naturelle, il me jura, malgré tout ce que je pus lui dire de la plate mort de la bête, et sur son honneur de savant, ce qui n'était pas pour moi, du reste, chose aussi vénérable que le reliquaire de Saint-Lô, oui! il me jura que c'était bien là le dauphin dont les anciens nous ont tant parlé. En fait de dauphin, voilà, l'abbé, ce que j'ai jamais vu de ma vie, et tu as diablement raison —diablement était l'adverbe favori du baron de Fierdrap – si tu entends par là quelque chose de rare! Quant aux amours fidèles, c'est différent… et plus commun… quoiqu'il n'en pleuve pas non plus des potées, et qu'à ce filet-là comme aux autres le temps ôte chaque jour quelque maille, par où le poisson le mieux pris ne manque jamais de décamper!

      Конец ознакомительного фрагмента.

      Текст предоставлен ООО «ЛитРес».

      Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию на ЛитРес.

      Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.

      1

      L'auteur s'était trompé. Le dernier descendant mâle de ces nobles Percy vit encore dans le département du Nord. (Note de l'auteur.)

/9j/4AAQSkZJRgABAQEASABIAAD/2wBDAAMCAgMCAgMDAwMEAwMEBQgFBQQEBQoHBwYIDAoMDAsKCwsNDhIQDQ4RDgsLEBYQERMUFRUVDA8XGBYUGBIUFRT/2wBDAQMEBAUEBQkFBQkUDQsNFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBQUFBT/wAARCAMeAjoDAREAAhEBAxEB/8QAHQABAQEAAgMBAQAAAAAAAAAAAQACBgcDBQgECf/EAGYQAAEDAQYEBAQCBAcJCggLCQEAAhEhAwQSMUFRBQZhcQcigZEIEzKhscEUQtHhFVJictLw8RYXGCMkJXOCszM2N2N1g5KTssMmJ0NEVVai0wkoNDU4RWRldLTCRlNUhIWG
Скачать книгу