Alfred de Musset. Arvede Barine

Alfred de Musset -   Arvede Barine


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et leur maître, à avoir ce gamin dans les jambes. Ils l'admettaient aux discussions littéraires dans lesquelles on posait en principe que le romantisme sortait du «besoin de vérité» (exactement comme on l'a dit du naturalisme un demi-siècle plus tard); que «le poète ne doit avoir qu'un modèle, la nature, qu'un guide, la vérité»; qu'il lui faut, par conséquent, mêler dans ses œuvres le laid au beau, «le grotesque au sublime», puisque la nature lui en a donné l'exemple et que «tout ce qui est dans la nature est dans l'art»5.

      On arrêtait devant lui ce que serait la poétique nouvelle: «Nous voudrions un vers libre, franc, loyal… sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa monotonie d'alexandrin; plus ami de l'enjambement qui l'allonge que de l'inversion qui l'embrouille; fidèle à la rime, cette esclave reine, cette suprême grâce de notre poésie, ce générateur de notre mètre; inépuisable dans la variété de ses tours, insaisissable dans ses secrets d'élégance et de facture.»

      On l'emmenait dans les promenades esthétiques où le Cénacle, Victor Hugo en tête, s'exerçait aux sensations romantiques, et il faut bien avouer que Musset n'y apportait pas toujours des dispositions d'esprit édifiantes. Ses compagnons prenaient au sérieux leur rôle de néophytes. Qu'on grimpât sur les tours de Notre-Dame pour se figurer qu'on contemplait le Paris des truands, ou qu'on allât dans la plaine Montrouge voir coucher le soleil, personne n'oubliait jamais d'être romantique. Musset s'amusait irrévérencieusement des gilets de satin et des barbes au vent de ses condisciples, de leurs attitudes respectueuses devant une ogive et de leurs apostrophes grandiloquentes au paysage.

      Il était aussi des soirées de l'Arsenal, chez Nodier, où chacun récitait ses œuvres, vers ou prose. En un mot, il avait la chance insigne d'être adopté, gâté, prêché, endoctriné, par l'une des plus glorieuses élites intellectuelles que pays ait jamais possédées, et il ne tarda guère à lui prouver qu'elle n'avait pas semé le bon grain sur des pierres ou parmi des épines. La poésie s'éveillait en lui si vite, que c'était plus rapide qu'un printemps; c'était une aurore, qui grandissait à vue d'œil et dont les premières clartés le plongeaient dans des ravissements inoubliables.

      C'est au cours de promenades solitaires dans le Bois de Boulogne, moins fréquenté que de nos jours, qu'il entendit chanter au dedans de lui ses premiers vers. Au printemps de 1828, ses parents s'étaient installés à Auteuil. Musset s'en allait lire dans les bois, et il y recevait les visites, encore furtives, rappelées dans la Nuit d'août:

LA MUSE

      Pauvre enfant! nos amours n'étaient pas menacées,

      Quand dans les bois d'Auteuil, perdu dans tes pensées,

      Sous les verts marronniers et les peupliers blancs,

      Je t'agaçais le soir en détours nonchalants.

      Ah! j'étais jeune alors et nymphe, et les dryades

      Entr'ouvraient pour me voir l'écorce des bouleaux,

      Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades

      Tombaient, purs comme l'or, dans le cristal des eaux.

      Il rapportait de ses promenades des pièces de vers qu'il n'a pas admises dans ses recueils, avec raison, parce qu'on y sentait trop l'imitation, mais qui sont précieuses pour le biographe à cause de leur extrême diversité. Elles sont d'un débutant qui cherche sa voie, et n'est pas irrésistiblement entraîné d'un côté plutôt que de l'autre. Une lecture d'André Chénier lui inspira une élégie:

      Il vint sous les figuiers une vierge d'Athènes,

      Douce et blanche, puiser l'eau pure des fontaines…

      Une réunion du Cénacle fit naître une ballade. Musset écrivit ensuite un drame à la Victor Hugo. On y lisait:

      Homme portant un casque en vaut deux à chapeau,

      Quatre portant bonnet, douze portant perruque,

      Et vingt-quatre portant tonsure sur la nuque.

      Une autre ballade, intitulée le Rêve et annonçant par son rythme la Ballade à la lune, fut imprimée, grâce à Paul Foucher, dans une feuille de chou de province. Elle débutait ainsi:

      La corde nue et maigre

      Grelottant sous le froid

      Beffroi,

      Criait d'une voix aigre

      Qu'on oublie au couvent

      L'avent.

      Moines autour d'un cierge,

      Le front sur le pavé

      Lavé,

      Par décence, à la Vierge,

      Tenaient leurs gros péchés

      Cachés.

      Est-ce déjà une parodie de la poésie romantique, comme la Ballade à la lune? Il n'y aurait rien d'impossible à cela. Alfred de Musset au Cénacle a toujours été un élève zélé, mais indocile. On avait la bonté d'écouter ce bambin, et il en profitait pour rompre en visière sur certains points au maître lui-même. Il n'accepta jamais l'obligation de la rime riche. A l'apparition de ses premières poésies, il écrivait au frère de sa mère, M. Desherbiers, en lui envoyant son volume: «Tu verras des rimes faibles; j'ai eu un but en les faisant, et sais à quoi m'en tenir sur leur compte; mais il était important de se distinguer de cette école rimeuse, qui a voulu reconstruire et ne s'est adressée qu'à la forme, croyant rebâtir en replâtrant» (janvier 1830). Sainte-Beuve, témoin de ses premiers tâtonnements, déclare qu'il dérima après coup, avec intention, la ballade andalouse, et que celle-ci était «mieux rimée dans le premier jet».

      Il se croyait également affranchi – on pardonnera cette présomption à sa jeunesse – de ce qu'il y a de déclamatoire et de forcé chez les ancêtres du romantisme. Six ans plus tard, il rappelait à George Sand combien il s'était moqué jadis de la Nouvelle Héloïse et de Werther. Il n'avait pas le droit de tant s'en moquer, ayant bien pis sur la conscience en fait de déclamatoire et de forcé. En 1828, il avait traduit pour un libraire les Confessions d'un mangeur d'opium, de Thomas de Quincey. Sa traduction est royalement infidèle; c'est même ce qui en fait l'intérêt. Non seulement Musset taille et rogne, douze pages par-ci, cinquante par-là, mais il remplace, et dans un esprit très arrêté: il ajoute invariablement, partout, des panaches romantiques. Il en met d'abord aux sentiments; le héros de l'original anglais pardonnait à une malheureuse ramassée dans le ruisseau; celui du texte français l'assure de son «respect» et de son «admiration». Il en met, et d'énormes, aux sommes d'argent; les deux ou trois cents francs donnés à un jeune homme dans l'embarras en deviennent vingt-cinq mille, les fortunes se gonflent démesurément et les affaires des petits usuriers prennent des proportions grandioses. Il chamarre les événements d'épisodes de son cru: souvenirs de la salle de dissection, aventures ténébreuses dans le goût du jour. Bref, c'est un empanachement général, après lequel il n'était pas permis de se moquer de Saint-Preux ou de l'ami de Charlotte.

      Il avait bien l'air, à ce moment-là, d'être emporté par le flot romantique. Ses grands amis du Cénacle lui faisaient réciter ses vers, le conseillaient, et il va sans dire qu'ils le poussaient dans leur propre voie. Le drame à la Hugo avait été très applaudi. Émile Deschamps donna une soirée pour faire entendre Don Paez, et il y eut des cris d'enthousiasme au vers du dragon:

      Un dragon jaune et bleu qui dormait dans du foin.

      Il y en eut aussi pour les manches vertes du Lever:

      Vois tes piqueurs alertes,

      Et sur leurs manches vertes

      Les pieds noirs des faucons.

      Sainte-Beuve trouvait le débutant plutôt trop avancé et lui reprochait d'abuser des enjambements et des «trivialités». Il est surprenant que Sainte-Beuve, avec sa pénétration extraordinaire, n'ait pas deviné tout d'abord que Musset était un romantique


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<p>5</p>

Préfaces des Odes et Ballades et de Cromwell.