Alfred de Musset. Arvede Barine

Alfred de Musset -   Arvede Barine


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de ne pas s'en douter. Musset ne cachait pas son goût pour le XVIIIe siècle, mais on passe à un échappé de collège d'aimer Crébillon fils et Clarisse Harlowe. Quant à son admiration, très significative, pour les vers de Voltaire, on ne la prenait sans doute pas au sérieux chez un apprenti romantique qu'on avait nourri de Shakespeare et saturé de Byron, et à qui l'on avait fait étudier son métier, non sans profit, dans Mathurin Régnier. J'insiste sur ces détails parce que le Cénacle a accusé plus tard Musset de désertion. C'était une injustice. Il n'y a pas eu défection, il n'y a eu que malentendu. Le futur auteur des Nuits leur était si peu acquis corps et âme, ainsi qu'ils se le figuraient, qu'il avait toujours prêté l'oreille à d'autres conseils, beaucoup moins autorisés pourtant. On se rappelle que la famille d'Alfred de Musset n'aimait point la nouvelle école littéraire. Ces aimables gens ne se bornaient pas à une désapprobation tacite. Ils combattaient des tendances qu'ils jugeaient funestes, et la lettre de Musset à l'oncle Desherbiers, dont on a déjà lu un passage, prouve que leurs efforts n'avaient pas été en pure perte. En voici d'autres fragments: «Je te demande grâce pour des phrases contournées; je m'en crois revenu… Quant aux rythmes brisés des vers, je pense là-dessus qu'ils ne nuisent pas dans ce qu'on peut appeler le récitatif, c'est-à-dire la transition des sentiments ou des actions. Je crois qu'ils doivent être rares dans le reste. Cependant Racine en faisait usage.

      «Je te demanderai de t'attacher plus aux compositions qu'aux détails; car je suis loin d'avoir une manière arrêtée. J'en changerai probablement plusieurs fois encore.

      «… J'attends tes avis. Mes amis m'ont fait des éloges que j'ai mis dans ma poche de derrière. C'est à quatre ou cinq conversations avec toi que je dois d'avoir réformé mes opinions sur des points très importants; et depuis j'ai fait bien d'autres réflexions. Mais tu sais qu'elles ne vont pas encore jusqu'à me faire aimer Racine (janvier 1830).»

      En attendant que ses réflexions portassent leurs fruits, bons ou mauvais, il écrivait rapidement les Contes d'Espagne et d'Italie, et ses amis n'y remarquaient qu'un heureux crescendo d'impertinence pour tout ce que le bourgeois encroûté de préjugés classiques se faisait un devoir de respecter et d'admirer. Après les chansons et Don Paez vinrent les Marrons du feu, Portia, la Ballade à la lune, Mardoche, et la dernière pièce était la plus effrontée; aussi s'accorda-t-on à lui prédire un grand succès. Musset s'était décidé à se faire imprimer pour conquérir le droit de quitter une place d'expéditionnaire imposée par son père. Son volume parut vers le 1er janvier 1830.

      Voici le moment de regarder le dessin de Devéria placé en tête de ce volume. Il représente Musset aux environs de la vingtième année, dans un costume de page qui lui plaisait et qu'il a porté plusieurs fois. A sa taille svelte, à son visage imberbe et jeunet, on lui donnerait moins que son âge. Il a sous le pourpoint et le maillot la grâce hautaine que Clouet prêtait à ses modèles, leur élégance suprême et raffinée. La physionomie manque un peu de flamme. Ce n'est pas la faute de l'artiste. Elle n'en avait pas toujours; elle était diverse comme l'humeur qu'elle exprimait. Suivant l'heure, et le vent qui soufflait, on avait deux Musset. L'un, timide et silencieux, un peu froid d'aspect, était celui qui se montrait d'ordinaire dans la première jeunesse, même après le tapage de ses débuts. Un de ses camarades de collège, qui l'a vu très souvent jusqu'au printemps de 1833, m'assure n'en avoir guère connu d'autre. C'est celui que Lamartine aperçut «nonchalamment étendu dans l'ombre, le coude sur un coussin, la tête supportée par sa main, sur un divan du salon obscur de Nodier». Lamartine remarqua sa chevelure flottante, ses yeux «rêveurs plutôt qu'éclatants», son «silence modeste et habituel au milieu du tumulte confus d'une société jaseuse de femmes et de poètes», et ne s'en occupa point davantage; il devait mettre trente ans à remarquer autre chose.

      On rencontre dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie un joli croquis d'un Musset tout différent, «au regard ferme et clair, aux narines dilatées, aux lèvres vermillonnées et béantes». C'est celui qui se montrait seulement par échappées, le Musset tout frémissant de vie et de passion, dont les yeux bleus jetaient du feu, que le plaisir affolait et qui se laissait terrasser par la moindre émotion, jusqu'à pleurer comme un enfant; le Musset que le délire saisissait dès qu'il avait la fièvre, et dont tous les contraires, tous les extrêmes, avaient fait leur proie. Il était bon, généreux, d'une sensibilité profonde et passionnée, et il était violent, capable de grandes duretés. La même heure le voyait délicieusement tendre, absurdement confiant, et soupçonneux à en être méchant, mêlant dans la même haleine les adorations et les sarcasmes, ressentant au centuple les souffrances qu'il infligeait, et ayant alors des retours adorables, des repentirs éloquents, sincères, irrésistibles, pendant lesquels il se détestait, s'humiliait, prenait un plaisir cruel à faire saigner son cœur perpétuellement douloureux. A d'autres instants, il était dandy, mondain, étincelant d'esprit et persifleur; à d'autres encore, il ne bougeait d'avec les jeunes filles, dont la pureté le ravissait et qu'il faisait valser indéfiniment en causant bagatelles et chiffons. En résumé, un être complexe, point inoffensif, tant s'en faut, et qui faisait quelquefois peur aux femmes qu'il aimait, mais ayant de très grands côtés et rien de petit ni de bas; un être séduisant, attachant, et qui ne pouvait être que malheureux.

      Les contemporains l'ont vu à tour de rôle sous ces divers aspects, et ils ont porté sur lui des jugements contradictoires qui contenaient tous une part de vérité.

      CHAPITRE III

      «CONTES D'ESPAGNE ET D'ITALIE»

      LE «SPECTACLE DANS UN FAUTEUIL»

      Les Contes d'Espagne et d'Italie effarèrent les classiques. On ne s'était pas encore moqué d'eux avec autant de désinvolture. Les critiques saisirent leurs férules, et Musset en eut sur les doigts. Je crois – sans oser en répondre – que le premier article fut celui de l'Universel (22-23 janvier 1830). Il portait en épigraphe ces vers des Marrons du feu:

      N'allez pas nous jeter surtout de pommes cuites

      Pour mettre nos rideaux et nos quinquets à bas,

      et il commençait ainsi: «Voyez la force de la conscience! Le premier cri de M. de Musset, qui n'aime pas les pommes cuites, c'est: Ne me jetez pas de pommes cuites! Il sent que le lecteur sera tenté de lui jeter quelque chose, et naturellement il pare le danger qu'il redoute le plus. Que jetterons-nous donc à M. de Musset?»

      Le critique (il signe F.) s'excuse ensuite auprès de ses lecteurs «de traîner leur vue sur les poésies de M. de Musset», et il analyse le volume avec de grandes marques de dégoût. Les fautes de français le révoltent, les rejets le blessent, les termes réalistes, tels que pots ou haillons, lui font mal. Le pauvre homme!

      Le Figaro (4 février) se défie. Il a peur de se laisser prendre à quelque plaisanterie: «Son livre est-il une parodie? Est-ce une œuvre de bonne foi?» Tout considéré, Figaro conclut à la bonne foi, et il en est d'autant plus indigné. Il gronde le jeune auteur de commencer «sa vie poétique» par les exagérations et les folies, et lui montre à quoi il s'expose: «Le ridicule, une fois imprimé sur un front ou sur un nom d'écrivain, y reste souvent comme une de ces taches, qui ne s'effacent plus, même à grand renfort de savon et de brosse.» M. de Musset mérite d'éviter ce triste sort, car il y a çà et là des traces de talent dans son recueil, malgré son «mépris pour les lois du bon sens et de la langue».

      Le même jour, le Temps constate qu'une partie du public a cru à une parodie. Il trouve, pour sa part, une inspiration très personnelle dans les vers du nouveau venu. Il reconnaît qu'il y a là des images charmantes et des dialogues étincelants. Mais les caractères ne se tiennent pas; par exemple, la Camargo «contredit à chaque instant la nature de son âme italienne par des formes de langage abstrait, par des exclamations métaphysiques, par des images et des comparaisons tout à fait en dehors du monde matériel et moral de l'Italie». Serait-il possible que le critique du Temps n'eût pas reconnu dans les Marrons du feu la double parodie d'une tragédie classique et de la forme romantique? La Camargo, c'est Hermione, obligeant Oreste (l'abbé Annibal) à tuer Pyrrhus (Rafaël) et l'accueillant ensuite par des imprécations. Le respect


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