Alfred de Musset. Arvede Barine

Alfred de Musset -   Arvede Barine


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Quotidienne (12 février) est relativement aimable. Elle voit dans le débutant «un poète et un fou, un inspiré et un écolier de rhétorique»; dans les Contes d'Espagne et d'Italie un «livre étrange», où l'on est ballotté «de la hauteur de la plus belle poésie aux plus incroyables bassesses de langage, des idées les plus gracieuses aux peintures les plus hideuses, de l'expression la plus vive et la plus heureuse aux barbarismes les moins excusables». Don Paez témoigne d'un véritable sens dramatique et contient des observations profondes, des détails d'une grande richesse de poésie. D'autre part, c'est un poème «où se presse du ridicule à en fournir à une école littéraire tout entière». Le même critique déclare dans un second article (23 février) qu'il y a «plus d'avenir» dans M. de Musset «que dans aucun des poètes de notre époque», compliment qui a trop l'air d'avoir été mis là dans le seul but d'être désagréable à Victor Hugo; mais il faut, ajoute le journal, que l' «enfant» se mette à l'école s'il veut arriver à quelque chose.

      Le Globe, qui témoignait aux romantiques assez de bienveillance, commence (17 février) par constater l'existence d'un parti avancé pour lequel «M. Hugo est presque stationnaire… M. de Vigny classique», et M. de Musset le seul grand poète de la France. Il avoue qu'en ce qui le concerne, la première impression a été mauvaise: «Deux choses étonnent et choquent d'abord dans les poésies de M. de Musset: la laideur du fond et la fatuité de la forme». A mesure qu'il avançait dans sa lecture, il a aperçu «quelques beautés; puis ces beautés ont grandi, puis elles ont dominé les défauts», et le critique n'a plus été sensible qu'à la franchise de l'inspiration, à la force de l'exécution, au sentiment et au mouvement qui manquent à tant d'autres poètes. Il est vrai que M. de Musset exagère quelques-uns des défauts de la nouvelle école; celle-ci «rompt le vers, M. de Musset le disloque; elle emploie les enjambements, il les prodigue». Néanmoins, malgré les Marrons du feu, qui «révoltent» et «dégoûtent» l'auteur de l'article, malgré Mardoche, qui a l'air écrit par un «fou», les Contes d'Espagne et d'Italie annoncent «un talent original et vrai».

      La critique la plus vinaigrée est demeurée inédite. Elle arriva de Vendôme. La tante chanoinesse avait appris par la voix publique qu'elle avait un neveu poète, et elle reprochait aigrement à M. de Musset-Pathay de lui avoir attiré cette disgrâce. Elle avait toujours blâmé son frère de trop aimer la littérature; il voyait à présent où cela conduisait.

      Le pardon des injures ne figurait pas dans son credo. En châtiment des Contes d'Espagne et d'Italie, la chanoinesse «renia et déshérita les mâles de sa famille pour cause de dérogation», et la première édition était pourtant expurgée! On en avait supprimé la conversation impie de Mardoche avec le bedeau.

      Cependant Musset lisait les journaux avec beaucoup de calme et d'attention. Il ne s'indignait pas. Il ne traitait pas les critiques de pions et de cuistres. Il ne désespérait pas de la littérature et de l'humanité. «La critique juste, disait-il, donne de l'élan et de l'ardeur. La critique injuste n'est jamais à craindre. En tout cas, j'ai résolu d'aller en avant, et de ne pas répondre un seul mot.» – M. de Musset-Pathay, aussi attentif et moins calme, écrivait à un ami, à propos de l'article si cruel de l'Universel: «Mes inquiétudes sur les disputes possibles n'étaient heureusement pas fondées, et j'ai su avec une surprise extrême le stoïcisme de notre jeune philosophe. Je sais du seul confident qu'il ait7 et qui le trahit pour moi seul, qu'il profite de toutes les critiques, abandonne le genre en grande partie. Ce confident a ajouté que je serai surpris du changement. Je le souhaite et j'attends.» (2 avril 1830, à M. de Cairol.)

      Musset était modeste et extrêmement intelligent. De là son attitude patiente et attentive lorsqu'on disait du mal de ses vers. Il avait d'ailleurs été dédommagé des injures de la presse. Non pas que le gros public eût été pour lui. Les bonnes gens, raconte Sainte-Beuve, ne virent dans le livre «que la Ballade à la lune, et n'entendirent pas raillerie sur ce point d'invention nouvelle: ce fut un haro de gros rires». Mais les femmes et la jeunesse se déclarèrent en faveur de Musset, et tous les vieux amateurs de poésie qui n'étaient pas inféodés au parti classique sentirent plus ou moins nettement qu'il y avait là du nouveau.

      Il y en avait en effet.

      D'abord, des sensations d'une vivacité singulière, et puissamment exprimées:

      Oh! dans cette saison de verdeur et de force,

      Où la chaude jeunesse, arbre à la rude écorce,

      Couvre tout de son ombre, horizon et chemin,

      Heureux, heureux celui qui…

      A la page suivante, une sensation très vraie est si fortement rendue qu'elle se communique au lecteur, et qu'on voit passer l'image chère à don Paez:

      Don Paez cependant, debout et sans parole,

      Souriait; car, le sein plein d'une ivresse folle,

      Il ne pouvait fermer ses paupières sans voir

      Sa maîtresse passer, blanche avec un œil noir.

      Ailleurs, la sensation devient subtile, sans perdre de sa force. C'est de la poésie sensuelle, mais d'une sensualité très raffinée et très délicate:

      Qui ne sait que la nuit a des puissances telles,

      Que les femmes y sont, comme les fleurs, plus belles,

      Et que tout vent du soir qui les peut effleurer

      Leur enlève un parfum plus doux à respirer?

      Ailleurs encore, une sensation accidentelle ne fournit au poète qu'une épithète, et cela suffit pour faire tableau.

      ..... Tout était endormi;

      La lune se levait; sa lueur souple et molle,

      Glissant aux trèfles gris de l'ogive espagnole,

      Sur les pâles velours et le marbre changeant,

      Mêlait aux flammes d'or ses longs rayons d'argent.

      Musset avait vu la lumière de la lune se glisser à travers des vitraux, et il est obligé de la personnifier pour rendre sa vive impression de quelque chose d'aérien et de matériel à la fois, qu'on aurait pu saisir, et qui se coulait cependant par des fenêtres fermées. C'était très nouveau, très moderne ou, si l'on veut, très antique. Homère et Virgile ont des épithètes de ce genre, et, avant qu'il y eût une poésie écrite ou chantée, les vieux mythes traduisaient des impressions analogues. Ainsi Diane, venant baiser Endymion, coulait son corps souple et mol à travers le réseau des ramures.

      Il est de même très antique, et très moderne à la fois, dans ses comparaisons, où il se montre entièrement dégagé du souci du mot noble, qui préoccupait tant les poètes du XVIIIe siècle. Il a retrouvé l'heureuse brutalité des anciens, leur science du détail réaliste qui frappe l'imagination et fait surgir la scène devant les yeux:

      Comme on voit dans l'été, sur les herbes fauchées,

      Deux louves, remuant les feuilles desséchées,

      S'arrêter face à face et se montrer la dent;

      La rage les excite au combat; cependant

      Elles tournent en rond lentement, et s'attendent;

      Leurs mufles amaigris l'un vers l'autre se tendent.

      Son éducation littéraire avait nécessairement mélangé d'éléments étrangers ce vieux réalisme païen, qui semble lui avoir été naturel. Musset nommait Régnier son premier maître, et il y a en effet du Régnier dans plus d'un passage, par exemple dans la comparaison des fileuses:

      Ainsi qu'on voit souvent, sur le bord des marnières,

      S'accroupir vers le soir de vieilles filandières,

      Qui, d'une main calleuse agitant leur coton,

      Faibles, sur leur genou laissent choir leur menton;

      De


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Son frère Paul.