Ce que disait la flamme. Hector Bernier

Ce que disait la flamme - Hector Bernier


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m'étouffe…

      —Je sais, elle te donne la nostalgie des grands bois… Ils épouvantent, quand nous ne les connaissons pas; nous les aimons, quand ils nous ont initiés à leur solitude, à leur mystère.

      —Je crois que c'est cela. J'y suis tellement heureux… Il n'arrive pas que j'en revienne, toutefois, sans espérer que la ville ne me ressaisisse, ne me les fasse oublier quelque temps. Ah, ils me tiennent bien! je t'assure. Deux ou trois jours de griserie, de poignées de mains qui réchauffent, de sourires qui font du bien, de vieille routine, de vues animées, de promenades, de gazoline… Me voilà rassasié, déjà triste… Il me faut l'espace, la montagne, les arômes de la forêt, les lacs, tu sais, le matin, quand tout recommence à vivre… Ils me tiennent bien, va!…

      —Tes parents, qu'en disent-ils?

      —Ils s'aperçoivent bien que ma gaîté diminue chaque jour… Ils préfèrent me savoir joyeux là-bas. Je ne me fatigue pas d'eux, mon âme est ailleurs… Je veux réagir, c'est impossible. Quelque chose m'appelle, j'écoute…

      —Ravi?

      —Ennuyé de ne plus l'être.

      —Et ils pardonnent, parce que tu leur dois ton intelligence et ton coeur…

      —Mais tu ne les connais pas, Jean!

      —Oui, Paul, ils t'ont compris, n'est-ce pas assez? Te comprendre, n'est-ce pas être un peu digne de toi? As-tu des objections, mon ami?

      —Je proteste! Je ne mérite pas qu'on soit digne de moi.

      —S'il fallait attendre que tu l'admettes pour savoir ce que tu vaux, tu aurais le temps….

      —De ne plus rien valoir du tout! railla Paul Garneau, pour faire dévier la conversation.

      —Mais nous sommes là, nous savons!…

      —Qui, nous?

      —Les amis! Cela doit être bon à quelque chose, les amis, à dresser un bouclier contre les flèches venimeuses de l'opinion publique, au moins!

      —L'opinion! que c'est urbain, ce mot-là, que c'est étroit! Tu me parles d'une chose qui, vraiment, ne m'est plus familière…

      —L'autre jour, encore, on t'attaquait devant moi!

      —Vite, dis-moi cela.

      —Paul Garneau, c'est un poseur, affirmait-on!

      —Par tous les petits diables! comme disait le guide à mon dernier voyage, c'est intéressant!

      —Cela t'amuse?

      —Tu ne t'es pas donné le trouble de répondre, j'espère?

      —Si, il y avait de la malice, il y avait là plusieurs jeunes gens qui ne te connaissaient pas.

      —Mais c'est idiot! Je suis toujours moi-même! Devant qui ai-je étalé des connaissances, de l'orgueil, de la supériorité? Quand je discute, je me bats, tout simplement, pour une idée, pour une conviction. Il faut dans la bataille que la fusillade crépite: on n'attaque pas avec des sourires vaincus… Violent, j'ai pu l'être: poser à l'esprit supérieur, cela, jamais!

      —Tu n'y es pas du tout, cher ami, tu poses à l'excentrique. On ne te pardonnait pas cet amour de la forêt; tu en auras fait la confidence, avec ta franchise la plus loyale, à l'un de ces faussaires d'amitié qui dénaturent les effusions dont on les croit dignes et qui les salissent. Etre indépendant, c'est une infamie! Un excentrique, c'est-à-dire, un maniaque, un déséquilibré! Ah, celui qui t'a trahi savait ce qu'il faisait! L'opinion te marquera d'un fer rouge, t'inscrira sur ses tablettes d'exil.

      —Il est vrai que je suis expansif, quelqu'un en a abusé… Qu'as-tu répondu?

      —Ce qu'il fallait répondre, que c'était faux, que tu étais sincère, que tu ne méprisais pas ta vie ancienne, parce que ta vie nouvelle t'enchantait, que…

      —Je te remercie de l'avoir fait, j'en suis touché, Jean. Ne t'offense pas, si j'ajoute: à quoi bon? Peut-on me ravir cette liberté dont on me flagelle comme d'une honte? Il y a des gens qui, ce soir, au nom de liberté sonnant comme une fanfare, déliraient qui demain railleront leur voisin, parce qu'il ne fait pas comme eux, disons, parce qu'il ne se rend jamais au spectacle des vues animées. Il y vont, eux: donc, c'est un imbécile! On leur apprendrait, le lendemain, qu'il a été écroué à Beauport, qu'ils n'en seraient pas étonnés. Ne pas faire comme eux et l'asile, c'est presque la même chose!

      —Au fait, Paul, quelles conclusions dégages-tu de cette première séance du Congrès?

      —Et quelles sont les tiennes, Jean?

      —Nous sommes d'assez vieilles connaissances pour nous parler franc et net. Avoue-moi ce que tu penses, je ne te dissimulerai rien moi-même…

      —De fortes paroles nous ont secoués, de véritables élans d'enthousiasme m'ont soulevé… et puis…

      —Et puis? ce n'est pas tout?

      —Pour moi, c'est tout…

      —Si c'est tout pour toi, comment peut-il en être davantage pour tant d'autres, presque tous les autres?

      —Que veux-tu dire, Jean?

      —Que je suis triste…

      —Allons! tu badines, et pourtant, c'est vrai! Ton visage trahit une souffrance… et pour ce que j'ai dit…

      —Comment t'expliquer?

      —Tu étais bien taciturne tout à l'heure: est-ce la même chose qui pèse?

      —Oui, tous avaient applaudi; combien de ceux-là feront quelque chose pour leur langue, pour la race canadienne-française? Tous retournaient à leur confort, à leurs égoïsmes…

      —Eh bien! j'y retourne, moi! Quel dommage!… Les ingénieurs forestiers sont-ils supposés faire oeuvre de patriotes, d'orateurs? Nous avons tellement d'orateurs que notre ciel en est obscurci! De linguistes? La société du Parler français est prodigieuse: que ferait-elle de moi? Je parle ma langue, j'en suis fier!… Je veille au salut de la forêt canadienne, ne suis-je pas un patriote?… Et les excentriques ont un coeur, n'en déplaise a, ceux qui me font l'honneur d'un sarcasme: une femme viendra… Tu souris? Très-bien, chasse-moi cette peine trop subtile.

      —Je ne le puis. Est-ce du sentimentalisme patriotique, une réaction nerveuse? Au sortir de la salle, un flot de réflexions m'a envahi subitement: on était venu comme au théâtre, pour voir, pour se distraire de la monotonie quotidienne. On a vibré comme on vibre à la tirade brûlante d'un acteur qui est oubliée le lendemain. Il y avait un peu de carnaval en tout cela, très peu, sans doute, mais assez pour que la démarche fût moins noble, l'élan moins pur: il s'y mêlait tellement de curiosité superficielle… Eh bien, j'ai eu l'intuition, de tout cela, comme si le poids de toutes les indifférences me fût tombé dans l'âme. Car, au fond, c'est de l'indifférence!

      —C'est qu'il y a du vrai, énormément de vrai dans ce que tu viens de dire, murmura Paul Garneau, pensif, le regard fixe. Je me suis presque reconnu. Mais oui, «on», c'est presque moi. Je suis parti de chez nous, le plus tranquillement du monde. Mon coeur ne battait pas autrement qu'à l'ordinaire. Tu as raison, je t'admire d'être plus profond, d'avoir…

      —Ne m'admire pas, je ne suis pas plus admirable que toi, va!… Je suis allé là en dilettante, avec l'espoir d'entendre quelques merveilleux discours. Je désirais enrichir mou album de souvenirs d'une photographie nouvelle, d'un spectacle rare. Rien du soldat ne palpitait sous ma chemise de luxe…

      —Et là?

      —J'ai été pris!

      —Moi aussi, Jean!

      —J'ai pleuré…

      —Vraiment?

      —Tu me trouves ridicule?

      —Non,


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