Ce que disait la flamme. Hector Bernier

Ce que disait la flamme - Hector Bernier


Скачать книгу
être capable de vous étonner! Vous connaissez tous les caprices de ma tête…

      —Elle est jolie, votre tête, peignée avec un art si vaporeux!

      —Ce n'est pas moi qui l'ai peignée!…

      —Mais c'est à vous qu'elle appartient!

      —Vous avez toujours le dernier mot spirituel, c'est entendu! Je vous admire!…

      —Encore ce persiflage, Yvonne! Tout-à-l'heure, mes compliments, bien accueillis, vous faisaient merveilleusement sourire. Votre sourire…

      —Qu'est-ce qu'il était?

      —Une fleur vermeille où vos yeux, profondeurs du calice, distillaient le parfum de votre âme!

      —Charmant! mais quelle fleur, s'il vous plaît?

      —Vous êtes inconcevable, vous m'abasourdissez!

      —Ah! Ah! je vous… je vous intrigue, hein? Quelle mine! mais il ne faut pas prendre la chose austèrement!…

      Le salon vibra d'un éclat de rire perçant et gamin. Lucien, morose, demeura coi.

      —Il faut oublier ce vilain quart d'heure! s'écria la jeune fille, surprise d'elle-même, de son audace. Allons! ne suis-je pas la même? Pourquoi aurais-je modifié mon humeur à votre égard? Pardonnez-moi ces espiègleries! Pourquoi seraient-elles méchantes?…

      —Oui, pourquoi? Tout de même, on a beau connaître les femmes… Quelles habiles comédiennes!… J'ai eu peur…

      —De quoi?

      —De ce ramage d'oiseau-moqueur.

      —Me voici devenue un oiseau. Tour à tour une fleur et un oiseau: quelle charmante métempsycose que la religion des amoureux!

      —L'idée est juste, Yvonne, puisque je vous aime depuis les âges lointains de la métempsycose, depuis toujours!…

      Bien qu'elle eût, encore un peu la tentation d'esquiver ce compliment fort lourd de fadeur, elle n'y put succomber. La voix de Lucien, quand elle avait cette résonance câline et chaude, attendrissait la jeune fille. Elle est ressaisie par sa croyance à un Lucien meilleur, plus cultivé, plus profond, plus viril qu'on le croit. L'injustice des jaloux le persécute, le profane. En somme, elle a été détestable, ce soir, perfidement ingrate. Alors qu'il étale son amour eu un si joli langage, elle s'en gaudit, elle qu'il aime. Capable d'une telle bassesse, peut-elle exiger qu'il soit parfait? Elle a honte d'elle-même. La pitié surabonde en elle, fait remonter l'amour à pleins bords de son coeur. Jean redoute Lucien Desloges sans le connaître, sans avoir pu l'approfondir. A-t-il, comme elle, eu la révélation du Lucien intime, entrevu cette âme plus loyale qu'il ne le craint, correspondu avec cette intelligence plus riche qu'il ne l'appréhende, entendu battre ce coeur moins vil qu'il ne l'affirme? Le remords d'Yvonne creuse davantage: elle regarde son ami avec beaucoup de tendresse et lui dit, contristée:

      —Mon ami, vous avez tout oublié, n'est-ce pas?

      —Mais je ne comprends pas… vous auriez.

      —Je m'accuse!

      —Vous vous accusez?

      —De m'être moquée de vous. C'est stupide, en faire l'aveu, quand vous n'y songiez plus. Eh bien! il le faut, pour vous demeurer loyale. La dissimulation me pesait. Tenez, je me sens plus à l'aise, maintenant!

      —Tout ce que vous avez dit de mon langage, alors?…

      —Je fus méchante!

      —Mais c'est la première fois qu'il vous arrive de vous payer ma tête aussi…

      —Impudemment, oui, je le confesse!

      —La première fois que vous raillez mon langage, Vous pensiez donc, au fond, qu'il est maniéré, faux, alambiqué?…

      —Là, vous allez trop loin encore! J'ai cru, un moment, un seul, un déplorable moment, que vous vous écoutiez parler, rien de plus… Tranquillisez-vous, je vous en prie, j'ai été sotte, affreusement sotte. Allons! déridez-moi ce front barré d'orages… Noir? Pourquoi pas? vous n'êtes plus gentil du tout: la rancune, je l'exècre!

      —Une fois, c'est trop avoir douté de la franchise et du naturel de ma phrase! Vous m'avez blessé!

      —Je vous répète que j'en ai de la peine, Lucien! Je n'ai pas voulu vous offenser, ou plutôt, je l'ai voulu, mais sans le vouloir…

      —Cette explication n'est-elle pas étrange?

      —C'est idiot, oui. Et pourtant, c'est exact, c'est, tout ce que j'en peux dire. Mon coeur se révoltait, mon humeur m'entraînait. Mon coeur ne voulait pas, mon esprit, voulait. Est-ce plus clair?

      —Je ne comprends guère pourquoi votre esprit a voulu, pourquoi votre humeur fut si impulsive!

      —Ne suis-je pas une impulsive? Vous me l'avez redit cent, mille fois!

      —Impulsive contre moi? Ce n'est pas le motif de votre persiflage à mon égard. On vous a aigrie contre moi, quelqu'un se glisse entre nous, quelqu'une vous insinue d'adroits mensonges! Une jalouse, probablement…

      —Une jalouse? dit-elle, impuissante à contenir un malaise bizarre dont son âme est subitement inondée.

      —Pourquoi cette exclamation violente?

      —Croyez-vous que vous ne puissiez rendre une femme heureuse qu'en rendant les autres malheureuses?

      Ahuri, Lucien ne sait que répondre. Avec de grands yeux béants de gazelle surprise, il interroge Yvonne; cette brusquerie le déconcerte, il ne veut pas croire, demeure stupide. Yvonne n'eût pas sitôt donné libre cours à cette boutade amère qu'il lui semblât, avoir dit la chose en rêve. Elle a parlé d'un élan de toute elle-même instantanément, sans réfléchir, sans prévoir. D'où vient cette révolte? De quelles sources intimes a-t-elle jailli? Comment se fait-il qu'elle n'a pas même eu la pensée d'endiguer ce flot de malice? Des contradictions se mêlent dans sa pensée tumultueuse. Elle se réjouissait que d'autres jeunes filles fussent jalouses d'elle, et plus elles en sèment le témoignage par leurs sarcasmes, plus son amour pour Lucien pousse des racines tenaces. Et maintenant, elle est indignée qu'il se croie adoré par d'autres femmes qu'il désespère? C'est vrai: pourquoi le blâmer de s'en être aperçu? Eh bien, oui, il est impertinent d'affirmer qu'il est témoin de sa vogue, il est énervant de suffisance et de fatuité, voilà. C'est trop fort! à la moindre boutade, il grince des dents. A coup sûr, il regorge trop de lui-même. Et cependant, il ne diffère pas de ce qu'il est toujours. Le ressentiment d'Yvonne contre Jean s'avive: c'est lui qui a rompu la tranquillité de son amour et dont les réticences ont exaspéré ses nerfs avant le dîner. Lucien est le même, c'est elle qui ne le voit plus qu'à travers le clair-obscur troublant que lui a dépeint son frère. Malgré elle, son esprit lutte, oscille entre la foi la plus invincible et les doutes qui tout-à-coup l'empoignent. Qu'ils sont affreux, ces doutes, et, qu'ils irritent! Qu'il a été maladroit, ce Jean, cet intrus dans son bonheur! Avait-elle besoin de ces conseils incommodes? Sans eux et sans lui, elle n'aurait pas, sans avoir eu le temps de soupçonner même leur indélicatesse et leur gravité, proféré de telles paroles difficiles à reprendre. L'amour est souvent à la merci des querelles anodines: celle-ci pourrait dénouer la tendresse qu'ils ont l'un pour l'autre… Il faut que, par des flatteries et des sourires, elle répare, elle fasse oublier…

      Toutes ces réflexions d'Yvonne, alors que le silence entre eus s'alourdit, ne diminuent pas la perplexité de Lucien. Il n'y comprend rien il est comme hébété. Quel est le mystère de cette humeur tracassière? Est-elle réellement jalouse? Mais elle n'a pas de motif soutenable de l'être, il ne se reproche aucune manoeuvre infidèle qu'elle puisse lui jeter à la figure. Il n'a jamais été aussi constant, aussi religieusement assidu auprès d'une jeune fille, il éprouve même une certaine confusion de s'être laissé emmitoufler de la sorte. En aurait-elle assez de lui? Elle serait la première jeune fille qu'il eût lassée! D'ordinaire, il se fatigue, ce n'est pas lui qu'on


Скачать книгу