Au large de l'écueil: roman canadien. Hector Bernier

Au large de l'écueil: roman canadien - Hector Bernier


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qui nie sa gloire au grand Wolfe?…

      —Ils l'apprennent, notre histoire… reprit Jules. Mais vous savez ce que c'est, au collège, apprendre l'histoire… C'est la corvée des dates à retenir, le poids des faits à traîner dans le cerveau!… Ils n'essayent pas de s'assimiler l'âme canadienne-française, ne pénètrent-pas l'essence réelle de nos revendications… N'en est-il pas de même de nous, mon père? Nous apprenons l'histoire, nous nous indignons contre eux… C'est notre devoir, oublier serait lâche… Mais nous n'allons pas au-delà, nous ne fouillons pas assez les causes du ressentiment contre nous… Autrefois, l'assimilation du conquis par le vainqueur était fatale, la logique des choses… La résistance du vaincu fut, pour eux, quelque chose d'anormal, d'offensif, de menaçant, leur inspira des défiances presque nécessaires… Entre nous, les rancunes s'amoncelèrent… Oui, autrefois, le vainqueur absorbait le vaincu, ou c'était la haine éternelle!… Mais alors, la liberté britannique n'existait pas, ou, du moins, n'avait pas sa puissance d'aujourd'hui… Grâce à elle, il n'y avait pas d'absorption, ce ne sera pas non plus la haine éternelle, mais l'amour dans la liberté!…

      —L'amour entre les deux races est une utopie, mon fils… Les Anglais croient qu'ils sont tout, que nous ne sommes rien… Et nous, nous voulons être quelque chose, bien que demeurant nous-mêmes… Ils le tolèrent, mais ils ne l'admettront jamais… Aussi longtemps que nous serons nous-mêmes, ton âme canadienne n'est qu'un rêve… Rappelle-toi ces assassins de la gloire dont le ciseau impie profana le nom de Lévis sur le Monument des Braves!… Il nous faut monter la garde auprès de nos héros: sinon, une main sacrilège les outrage!…

      —Un fanatique outragea Lévis, mon père, un seul que la colère rendit fou… Te ne crois pas qu'il y ait eu deux Anglais capables de faire cela!… Vous n'êtes pas juste!… Un seul fit cela, les autres n'y ont pas applaudi… Ils sont magnanimes, ils comprennent la grandeur… C'est sacré, les héros! Ils lie peuvent nous enlever les nôtres!… Qu'ils se figurent ce que leur enlever les leurs serait pour eux!… L'amour de notre langue s'identifie avec l'amour des mères qui nous l'apprennent! Ils ne peuvent nous faire un crime de l'aimer, pas plus qu'ils ne peuvent, nous eu faire un d'aimer nos mères!… Qu'ils songent à la révolte de tout leur être, si on tentait, de leur arracher le doux parler de leurs mères!… La liberté britannique leur ordonne de respect de nos droits! N'est-ce pas leur orgueil, la merveilleuse liberté anglaise?… Nous naissons et grandissons dans la foi catholique: elle est celle de nos pionniers, de nos missionnaires, de nos martyrs, de nos ancêtres, de nos clochers! Ils ne peuvent y toucher, elle est inséparable de notre race!…

      Qu'ils s'imaginent la façon dont ils accueilleraient l'attaque aux croyances de leur berceau!… Nous aimons le Canada: les souffrances et les joies de vivre y attachèrent nos aïeux, les nôtres nous le rendent plus cher, le rendront plus cher à nos fils! Ils ne peuvent nous refuser une part dans l'avenir canadien!… ils l'aiment eux aussi, la terre divine de Cartier! Elle est à eux, nous ne leur en voulons pas, mais qu'ils nous laissent, avec eux, la faire grande!… Non, mon père, l'âme canadienne n'est pas un rêve, c'est la réalité prochaine… Ce n'est pas notre ambition patriotique, nos droits, notre langue, notre religion que les Anglais abhorrent, c'est le défi qu'ils croient trouver dans chacune de nos revendications… Ils se trompent, il n'y a de défi que dans la mesure où ils le prennent ainsi!… Il n'y a pas de défi, quand nous réclamons!… Cela paraît, ainsi, parce qu'on se méfie de nous… Le jour arrive où ils comprendront que notre attitude ferme n'est pas une bravade, où, perdant de vue l'offense qu'ils y voient toujours et qui n'y est pas, ils se mettront à notre place et réaliseront, que, dans la situation qui nous est faite, ils défendraient aussi jalousement leurs droits que nous défendons les nôtres, si ce jour-là, mon père, l'âme canadienne prendra son essor triomphal… A l'heure actuelle, ell frémit dans notre vie nationale, elle s'épure, encore incertaine, emprisonnée dans la gangue de rancunes et des méfiances… Mais la liberté britannique est là qui travaille: elle a fait de grandes choses, elle fera celle-là, dégagera de ses langes l'âme canadienne… Sous son égide, les deux races vont se respecter, s'aimer, autonomes, entière, fraternelles, par-delà les passions, les haines, les jalousies, les mauvais souvenirs… Ou l'enseignera dans les foyers, dans les écoles, on l'écrira dans les lois!… Ce sera l'amour du pays dans l'autonomie des races, chacune d'elles étant fière de la liberté morale, du génie, du développement de l'autre dans la contribution de chacune à la prospérité, à l'immortalité de la patrie canadienne!

      Jamais, dans leurs discussions amicales d'auparavant, Jules et Augustin n'avaient eu une vigueur telle, une telle clarté. Les deux femmes, bien que souvent, témoins de la marge d'opinion entre le père et le fils, se sentirent en présence de convictions mûries, plus ardentes, plus enracinée. Un intérêt palpitant les avaient suspendues à leurs lèvres. Si le père eût cru le rêve de Jules réalisable, il se serait rallié à l'âme canadienne, mais le passé faisait de lui un sceptique incorrigible. Toutefois, l'éloquence, l'énergie de pensée, dont son fils venait de lui donner la preuve entraînante, l'enorgueillissaient, le rendait sympathique à ce qu'il appelait une chimère de jeunesse. Il s rappela les élections fédérales prochaines.

      —Mon fils, dit-il je comprends que le débat est clos pour l'instant… Mes doutes restent… Mais j'admire la noblesse de ton ambition, je lui offre même l'occasion de se donner cours… Les élections pour Ottawa auront lieu le premier Septembre… Les électeurs du comté de Salaberry me demandent… Vas-y, toi!…

      —Oh! mon père! quelle joie! s'écria Jules, dont le visage s'illumima. C'est donc vrai!… Mais je ne suis qu'un égoïste!… J'oublie les services que vous rendriez à notre race!… Non, la chose vous appartient, mon père!…

      —Voilà ta chance d'aller prêcher ta croisade pour l'allié canadienne!… Essaye, mon fils: qui sait l'avenir?…

      —C'est bien là vous, votre bonté, votre coeur!… Vous ne croyez pas à mon rêve, mais vous m'aimez plus que vous-même!… Je sais que vous refuser vous ferait de la peine!… Eh bien, j'irai!… Je serai le candidat de l'âme canadienne!… Ils comprendront!… Que je auis heureux!…

      —Vive Jules Hébert! Vive l'âme canadienne! cria Jeanne, folle d'enthousiasme.

      —Vive la Canadienne! cria Jules, en l'embrassant.

      Et ce fut, dans la maison ancienne des Remparts, le bonheur d'être ensemble et de s'aimer jusqu'au soir………… _____

      Le soir, dans la chapelle du Séminaire que les verrières opaques de bonne heure assombrissent, deux âmes offrent l'encens de leurs prières. La poudre rose du couchant se brise sur les vitraux en couleurs, et la lumière se retire des arcades profondes et de la nef recueillie. Dans la niche du grand autel blanc, le mystère d'amour de la Sainte-Famille se voile de gris. Il faut deviner la forme émouvante du Christ que retient la Croix debout sur le tabernacle de marbre. Les tableaux géants, là-haut, ne sont plus que des taches d'ombre. Les apôtres, dont le buste médite, s'enveloppent des premières ténèbres. L'atmosphère est imprégnée de mille choses saintes: le parfum des retraites, la voix des prêtres, les chants sacrés, les invocations des philosophes et des petits écoliers, les accents de l'orgue, les appels du Sanctus reviennent dans le silence. Dans le choeur où la nuit commence à descendre, la bougie tremblante rappelle au frère et à la soeur l'éternelle Lumière.

      —Mon Dieu, je vous remercie de m'avoir conservé les miens! disait l'âme forte de Jules.. Entourez-les de votre paix souveraine!… Donnez-moi le courage de ceux vous aiment!… Je vous confie le rêve patriotique auquel je consacre l'intelligence et la volonté que je vous dois!… Si vous le croyez juste, faites-le triompher!… Puis, s'attendrissant soudain, il ajouta: Soyez clément à Marguerite, cette amie d'un jour, quand vous l'appellerez à votre éternité!…

      —Que vous êtes bon de m'avoir redonné mon frère! murmurait l'âme timide de Jeanne. Ne me le reprenez jamais!… Bénissez-le dans son ambition généreuse!… Écartez de sa route les défaillances et les lâchetés!… Protégez-le contre cette fille de France!…

      Et ils sortirent de la chapelle où Jules avait


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