Ruines et fantômes. Jules Claretie

Ruines et fantômes - Jules Claretie


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Veille assez bien sur Pierre-Cise

       Pour être sûr de l'empêcher.

       Il est bienfaisant au possible,

       Affable, humain, compatissant,

       Mais pour avoir le coeur sensible

       Il n'a pas moins l'oeil vigilant.

      Verselets qui semblent tirés du Chapelle et Bachaumont de la captivité!

       Table des matières

      Mais, sur ces entrefaites, 89 était venu, et cette secousse profonde, ce tremblement de terre moral qui allait renverser la royauté, renversa d'abord les Parlements. Toute la procédure instruite contre l'abbé Jacques-Maurice-Bruno Hardy fut réduite à néant, et, amené à Paris, le ci-devant abbé fut traduit au 6° tribunal criminel établi par la loi du 14 mars 1791. Le 16 septembre, l'instruction recommence, les témoins sont rappelés, le chirurgien Dupuis mandé et interrogé, les confrontations faites de nouveau. Bien des preuves manquent alors. Où est Lucile? où est Gautier? Pas plus que le mari, la femme n'a reparu. Elle est morte sans doute à Venise, ou cachée. Lesage, qui a dénoncé Hardy, a pris soin évidemment de la soustraire aux poursuites. C'est sa maîtresse maintenant, il l'aime, elle l'aime peut-être. Elle vit fort honnêtement là-bas, est-ce qu'on sait? Bref, quoique l'affaire soit portée comme pressée sur les rôles, elle traîne, elle ne finit pas.

      Le 22 septembre 1791, Lempereur, commis-greffier, lit le jugement qui annule la procédure de 1787 à Hardy, entre les deux guichets de la Force comme lieu de liberté. Hardy y acquiesce et refuse de signer. A la Force, malgré les versiculets de tout à l'heure, il tente de s'évader. Enfermé au Châtelet en 1790, il avait réussi déjà à sortir de prison; il avait erré dans Paris pendant trois jours, sans ressources. Il s'était présenté chez M. de Pastoret, lui demandant de l'argent. Arrêté bientôt, on avait trouvé sur lui un certificat du district des Cordeliers sous le nom de Moïse Delcamps, de Bordeaux. En mars 1791, porté comme malade à l'infirmerie de Bicêtre, Hardy avait fait mieux. Après avoir fabriqué de faux assignats dans sa prison (ce qui est à peine croyable), il avait acheté les gardiens avec ces papiers, donné 50 livres assignats à chacun des infirmiers-prisonniers et s'était fait ouvrir la grille. Son portefeuille, qui existe encore, bourré de notes, d'adresses, de projets, contient des renseignements curieux, des lettres faites pour dérouter les poursuites, l'une datée de Chambéry, l'autre de Laon; des memoranda: chez le fruitier, rue des Blancs-Manteaux, à côté de la rue de l'Homme-Armé.De Soissons à Laon.De Laon à Marle, chez la veuve Mauclerc, aubergiste sur la route de Moncornet; et des projets d'étapes: des trajets sont faits, au nord, au midi, en divers sens!

      De Paris à le Bourget: 1-1/2 poste.—De Paris à le Ménil-Amelot: 2.—De

       Paris à Dammartin: 1.

      Et toujours, toujours, au bout de la route la frontière bénie: que ce soit l'Allemagne ou l'Espagne, Maubeuge, Liége ou Londres,—l'étranger, le salut!

      L'administrateur de police fut instruit de la tentative d'évasion. Hardy y gagna d'être à l'avenir plus strictement verrouillé.

      Et le temps passait. L'accusé ne perdait ni ses espoirs ni son énergie. Une terrible maladie, qu'il n'avait pu soigner dans sa prison, l'avait rendu chauve. Il était pourtant encore superbe. Le mercredi 22 février 1792, il produisit un grand effet sur l'auditoire lorsque, transféré des prisons de l'Abbaye, il comparut dans la salle d'audience du 6e tribunal criminel, au Palais, le président dudit tribunal étant Claude-Emmanuel Dobsent qui devait présider bientôt le tribunal révolutionnaire pendant l'intervalle de la destitution de Montané à la nomination d'Herman.

      Là, Hardy déclara se nommer Jacques-Maurice-Bruno Hardy, âgé de trente-trois ans, né à Montpellier, et quant à ses qualités, se dit «jurisconsulte et docteur ès lois en l'Université de Paris.» De son état ecclésiastique, pas un mot.

      Le drame touchait à sa fin. Le procès certes paraissait près du dénoûment. L'arrêt cependant ne fut pas rendu encore, et l'abbé Hardy, transféré de prison en prison, de la Conciergerie du Palais à l'Abbaye et de l'Abbaye à la Force, devait finir bizarrement, fatalement, comme il avait vécu.

      J'ai dit qu'on n'a jamais su ce qu'était devenue Lucile.

      Le 3 septembre 1792, les massacres commencèrent dans les prisons de la Force vers une heure du matin. Les vengeances voulaient du sang. Le peuple réclamait, lui aussi, sa Saint-Barthélémy. Les prisonniers, jugés entre les deux guichets, étaient poussés à l'entrée du guichet de la Force, rue des Ballets, et sur-le-champ massacrés, expédiés. Weber et Mathon de la Varenne, enfermés là et épargnés, ont raconté ces terribles scènes. «A une heure du matin, dit Mathon, le guichet qui conduisait à notre quartier s'ouvrit; quatre hommes en uniforme, tenant chacun un sabre nu et une torche ardente, montèrent à notre corridor, précédés d'un guichetier, et entrèrent dans une chambre attenante à la nôtre… J'entendis en même temps appeler l'abbé Hardy, qui fut massacré sur l'heure ainsi que je l'ai su…» L'écrou consulté, Chépy, président du tribunal de la Force, et Pierre Chantrot, accusateur public, n'eurent pas fort à faire pour déclarer l'homme coupable. Leur justice était expéditive. Jacques Hardy l'attendait depuis cinq ans! On retrouvera le nom de l'abbé sur la liste des victimes remises par le concierge de la prison au commissaire de police de la section des Droits de l'Homme.

      Étrange destinée! le nom du fratricide devait être inscrit sur le feuillet sanglant où l'histoire peut lire le nom de l'infortunée Mme de Lamballe.

      LE VINGT JUIN 1792

      Nous avons aussi nos anniversaires.

      La France se souvient de certaines dates qui sont comme ses titres de gloire et, à côté de l'anniversaire douloureux du 18 juin, qui dit Waterloo, l'anniversaire du 20 juin dit Résistance et Affirmation du droit.

      Au 20 juin 1792, la question était nettement posée entre ces deux adversaires irréconciliables: la Révolution et la cour. La Révolution voulait le progrès, la marche en avant, la délivrance suprême. La cour était bien décidée à la réaction. La garde suisse chargeait ses fusils, les gentilhommes fourbissaient leurs épées ou aiguisaient leurs poignards. On parlait de fermer les clubs, d'enlever aux sections leurs canons et d'envoyer sous bonne garde à l'Abbaye les orateurs populaires.

      La Fayette, campé à Maubeuge, était prêt à faire sonner le boute-selle et à lancer ses cavaliers sur Paris, balayant les rues et sabrant les gens—comme au champ de Mars.

      Il écrivait au roi ce mot terrible:

       Persistez, sire!

      Persistez dans la résistance, dans la guerre au droit, dans l'insolent veto, dans le défi jeté à la nation. Persistez dans le faux, dans l'odieux et dans l'absurde.

      Cette lettre signifiait cela. Les conseillers des monarchies sont tous les mêmes: aveugles et fous.

      Le roi persistait. Le roi n'avait pas besoin d'être encouragé dans son appétit de réaction. Il en était comme nourri: il en avait la pléthore. Il se sentait protégé par les trois bataillons suisses, quatre mille huit cents hommes; soldats achetés qu'il pouvait, d'un signe, jeter sur l'Assemblée nationale, à la moindre velléité de coup d'État.

      Il prenait déjà le ton tranchant et dur avec le girondin Roland, qu'il subissait comme ministre de l'intérieur. Il se sentait appuyé, jusque dans l'Assemblée, par les Feuillants qui se rallieraient à La Fayette et applaudiraient à tous ses actes, fusillades et décrets d'accusation.

      La reine disait:

      —Bientôt, tout le tapage cessera!

      Et le roi répétait:

      —Bientôt.

      Alors,


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