La capitaine. Emile Chevalier

La capitaine - Emile Chevalier


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deux hommes furent bientôt au cimetière, situé aux portes de la ville.

      En approchant, ils perçurent des sons de voix, et distinguèrent une faible lumière qui semblait voltiger au milieu des arbres dont les tombeaux sont ombragés.

      – On dirait un feu follet, murmura le comte qui n’avait pas desserré les dents pendant tout le trajet.

      – Oui, maître.

      – Mais, vois-tu ces ombres qui remuent là-bas?

      – Oui, maître!

      – Ah! je parierais que ce sont quelques misérables étudiants en médecine, qui pour avoir un cadavre profanent la sépulture… Qu’est-ce que cela?

      Un cri de frayeur s’était élevé du cimetière et un spectre se dressait au milieu.

      Trois ou quatre individus, fuyant à toutes jambes, passèrent presque aussitôt près de Lancelot et de son domestique.

      Le spectre avait l’air de marcher sur eux.

      – C’est extraordinaire, dit Arthur. Mais tu n’as pas peur?

      – Non, maître.

      Ils entrèrent dans le lieu saint. L’apparition s’était évanouie, comme, si elle était rentrée soudainement en terre.

      Samson alluma sa lanterne et ils s’avancèrent vers la tombe de Bertrand.

      La fosse était découverte; elle était vide!

      – Mon Dieu! ces jeunes gens, ces résurrectionnistes[1] auraient-ils emporté le cadavre, pour le disséquer! s’écria Lancelot avec une expression d’angoisse.

      – Non, maître.

      Et Samson montra, avec sa lanterne, un corps enveloppé d’un suaire, étendu dans des touffes de hautes herbes.

      II. Le ressuscité

      L’habitation de M. du Sault se composait d’un gros pavillon carré, bâti à la cime d’un cap énorme, que battaient incessamment les flots de la mer.

      Ce pavillon avait trois étages, couronnés par une terrasse, du haut de laquelle se déroulaient des tableaux sublimes ou charmants. Ici, l’Océan avec toutes ses grandeurs, ses abîmes, ses mystères, sa vie prodigieuse, mais à peine soupçonnée, l’Océan avec ses infinis horizons; là, des campagnes nouvellement ouvertes à l’industrie humaine, et déjà fécondées par son travail ingénieux, égayées par ses maisons, ses troupeaux; plus loin de sombres forêts vierges encore, que le pied de l’homme civilisé ne foula jamais; à droite une côte découpée et tailladée comme de la dentelle qui serpente, blanche ligne de démarcation, entre le bleu foncé des eaux et le vert éblouissant des prairies salines; à gauche, la ville d’Halifax, avec son port plein de mouvement, sa forêt de mâts, les rochers pittoresques et les forts qui la défendent, les vastes entrepôts, les chantiers, présages certains d’un florissant avenir, les édifices publics dont elle s’enorgueillit déjà, les beaux massifs d’arbres desquels on lui a fait une ceinture, et la gracieuse colline qui l’abrite contre les froides haleines de la bise.

      Où que vous vous tourniez, sur la terrasse de M. du Sault, le spectacle enchantait.

      La maison était construite, sur fondations en pierre de taille, avec des briques rouges, striées de filets blancs, qui lui donnaient un air de fête et conviaient le voyageur fatigué à s’y venir reposer.

      On arrivait au premier étage par une double rangée d’escaliers formant à leur sommet un perron, sur lequel quatre colonnes en marbre vert servaient d’assises à un balcon, placé au deuxième étage.

      Le reste de la façade était tout uni.

      Devant cette façade se déployait une pelouse, arrosée par un jet d’eau et entourée d’une haute grille en fer qui enveloppait aussi, dans son corset, plusieurs bâtiments adjacents: une belle métairie, avec ses écuries, ses granges, ses cour et basse-cour, son pigeonnier, tout son matériel d’exploitation; puis l’établissement de pêcherie de M. du Sault, consistant en une série de hangars et séchoirs en bois qui n’avait pas moins d’un quart de mille de longueur.

      La métairie et la pêcherie se trouvaient entre la villa et Halifax; mais, de l’autre côté, s’étalait un parterre délicieux, suivi d’un parc immense, longeant la mer où il baignait son pied.

      Un ruisseau, dérivé de son cours naturel, l’arrosait par cent festons capricieux et lui communiquait une fraîcheur avidement recherchée pendant les ardeurs de l’été.

      Quelques kiosques, tapissés de lierre, liserons, clématites et autres plantes grimpantes, s’enchâssaient çà et là dans le parc, soit sur le bord du ruisseau, soit sur une haute falaise, dominant l’Atlantique.

      Dans ces kiosques, tantôt sous les ombrages, au concert de mille oiseaux aimables, tantôt sur la roche nue, aride, au formidable solo de l’Océan dont les fureurs rejaillissaient, en blanche écume, jusque sur eux, que de douces et rapides heures Bertrand et Emmeline avaient coulées! que de projets d’avenir, de bonheur ils avaient fait éclore et miroiter au souffle de leur vive imagination, comme ces bulles de savon que les écoliers lancent en jouant dans l’air!

      Autant en emporte le vent, mais autant en retrouve notre esprit quand il est jeune, enflammé par l’amour ou l’ambition.

      En l’un de ces adorables réduits, devant une pièce d’eau où s’ébattaient deux beaux cygnes, par une chaude après-midi du mois de juillet, Emmeline et Bertrand causaient, tendrement enlacés l’un à l’autre.

      L’endroit était ravissant. Aussi avait-il la prédilection des deux jeunes gens.

      Des arbres séculaires, reliés par des buissons de houx impénétrables, et des acacias aux épines acérées, l’environnaient de mystère en le protégeant contre les regards indiscrets. On y arrivait par un étroit sentier dérobé, perdu dans un fouillis de végétations sauvages, épaisses et repoussantes.

      Avant d’aboutir à l’Oasis, – ainsi le frère et la sœur avaient-ils dénommé leur Éden, – le sentier se tordait comme un écheveau de fil, et fatiguait le non-initié par des méandres qui paraissaient inextricables.

      Mais à l’extrémité de ce labyrinthe quel dédommagement!

      Un vaste réservoir, dont les rives sont émaillées de fleurs chatoyantes et odoriférantes; des ondes limpides, diaphanes ainsi que le cristal, où se jouent, à travers les larges feuilles du nénuphar, aux corolles blanches et jaunes, des poissons qui brillent comme le diamant, chaque fois qu’un rayon de soleil effleure leurs écailles.

      De la musique enchanteresse que font sous la feuillée les fauvettes, les chardonnerets et le roi des ténors ailés, l’oiseau moqueur, pourquoi parler? Mais, comme le gazouillement du ruisseau qui frétille là-bas, sur une cascatelle, avant de tomber dans sa vasque d’émeraude, est donc argentin! comme il charme l’oreille! endort la mélancolie! Que ces gazons sont frais! Que ces centenaires de la forêt ont de séduction avec leurs troncs noueux, habillés de lierre; leurs longs rameaux chargés de gui, avec la pénombre qu’ils étendent mollement à leur pied! Que l’on aime à suivre ces fleurs d’acacia, sveltes carènes détachées de la tige, sillant le petit lac en tous sens au gré de la brise!

      Le kiosque de l’Oasis s’élevait au sommet même de la cataracte en miniature, sur une voûte formant grotte jetée en travers du ruisseau. Il était rustique comme un chalet suisse, vêtu de mousse des pieds à la tête, et n’avait qu’une pièce.

      C’était une chambre octogone tendue de nattes de jonc et garnie de banquettes en canne.

      Une table, une bibliothèque composée avec goût, voilà pour le mobilier. On s’était bien gardé d’y mettre une pendule, une horloge, ou quoi que ce soit qui rappelât la marche du temps.

      – Oh! dit Emmeline en embrassant son frère, comme c’est bon de te sentir près de moi!

      – Et comme c’est bon d’être


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